En entrant à
Saint-Sulpice, on peut voir tout de suite sur la droite le magnifique tableau
de Delacroix, La Lutte de Jacob avec l’Ange. Tiré
de la Bible, le thème est celui de l’éternel combat de l’homme contre son
destin. Il ne peut pas gagner, mais il continuera toujours à se battre. Comme
nous l’a dit Albert Camus : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».
L’homme se bat au quotidien contre les limites de son corps et les
contradictions de son esprit pour tenir le cap, garder la bonne ligne de vie
qui lui vient du fond des âges. L’homme se bat aussi pour se dépasser, comme
dans ces fameux mano a mano que l’on retrouve dans le sport ou dans toute autre
forme de compétition qui lui est proposée. Il se bat enfin pour une certaine
idée du progrès qui le conduit sans cesse à repousser les limites du possible
dans les sciences, les techniques ou l’industrie.
Mais la lutte avec l’ange, c’est aussi la lutte contre l’angélisme et
c’est tout le thème du dernier numéro de la Revue
des Deux Mondes. « Qui veut faire l’ange, fait la
bête » et on sait où certaines formes d’angélisme ont conduit l’humanité,
comme le rappelait le numéro d’automne sur
Robespierre. Ce qu’il faut savoir affronter pour fuir l’angélisme,
c’est la complexité du monde. Il est assez inquiétant de ce point de vue que
trois hommes politiques français de la seconde moitié du 20e siècle ont vu leur
élan cassé alors même que tout leur propos était précisément d’affronter cette
complexité pour trouver les véritable chemins de l’avenir : Pierre Mendès
France, Jacques Chaban-Delmas et Michel Rocard partageaient profondément cette
vision de la politique. Ils se sont heurtés à la politique au carré, du blanc
ou du noir et de l’invective. Retrouvons leur fil conducteur, c’est l’espoir
que l’on peut formuler au moment où va s’engager une nouvelle campagne
présidentielle.
Allons encore un peu plus loin dans l’observation de
ce tableau majeur de Delacroix. Cet homme arc bouté contre l’ange, ne veut-il
pas néanmoins le rejoindre, trouver son inspiration auprès de lui qui l’attire
comme un aimant ? Évidemment, nous avons besoin de cet ange comme sommet d’un
triangle dont les trois angles se nommeraient :
§
beauté : la beauté est ce qui nous permet de dépasser
notre espace-temps, d’aller au-delà de notre condition, de toujours regarder
vers le haut. Ce n’est pas un hasard si Daech s’attaque systématiquement aux
témoignages éternels de cette beauté et dynamite statues, sculptures et
monuments. Pour autant, nous savons aussi que la beauté ne suffira pas à sauver
le monde. Les nazis étaient de grands collectionneurs et mélomanes…
§
bonté : le pape François en est la figure aujourd’hui
et les acteurs en sont notamment la grande cohorte des bénévoles et
humanitaires des ONG qui, partout dans le monde, sont au contact de ceux qui
souffrent. Nous savons tous que c’est une source inépuisable d’inspiration.
§
tolérance : la reconnaissance de l’autre, de son
histoire, de sa culture, de sa religion est un angle essentiel de ce triptyque.
On peut imaginer un dictateur qui aime le beau, qui est soucieux d’aider les
plus défavorisés ; mais on ne peut pas imaginer un dictateur tolérant,
respectueux des opinions, garantissant le droit à la diversité, prêt à
l’alternance démocratique.
Alors oui, auprès de cet ange qui tiendrait en ses
mains ce triangle, nous pourrons être cet homme qui marche, comme celui de
Giacometti ou de Rodin.
(Photo : La Lutte de Jacob avec l’Ange, par
Eugène Delacroix, Saint-Sulpice / Wikimedia)
http://www.revuedesdeuxmondes.fr/la-lutte-avec-lange/
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