lundi 25 juin 2018

RDDM La lutte de Jacob avec l'ange, par Thierry Moulonguet - 01/02/2016


En entrant à Saint-Sulpice, on peut voir tout de suite sur la droite le magnifique tableau de Delacroix, La Lutte de Jacob avec l’Ange. Tiré de la Bible, le thème est celui de l’éternel combat de l’homme contre son destin. Il ne peut pas gagner, mais il continuera toujours à se battre. Comme nous l’a dit Albert Camus : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ». L’homme se bat au quotidien contre les limites de son corps et les contradictions de son esprit pour tenir le cap, garder la bonne ligne de vie qui lui vient du fond des âges. L’homme se bat aussi pour se dépasser, comme dans ces fameux mano a mano que l’on retrouve dans le sport ou dans toute autre forme de compétition qui lui est proposée. Il se bat enfin pour une certaine idée du progrès qui le conduit sans cesse à repousser les limites du possible dans les sciences, les techniques ou l’industrie.
Mais la lutte avec l’ange, c’est aussi la lutte contre l’angélisme et c’est tout le thème du dernier numéro de la Revue des Deux Mondes. « Qui veut faire l’ange, fait la bête » et on sait où certaines formes d’angélisme ont conduit l’humanité, comme le rappelait le numéro d’automne sur Robespierre. Ce qu’il faut savoir affronter pour fuir l’angélisme, c’est la complexité du monde. Il est assez inquiétant de ce point de vue que trois hommes politiques français de la seconde moitié du 20e siècle ont vu leur élan cassé alors même que tout leur propos était précisément d’affronter cette complexité pour trouver les véritable chemins de l’avenir : Pierre Mendès France, Jacques Chaban-Delmas et Michel Rocard partageaient profondément cette vision de la politique. Ils se sont heurtés à la politique au carré, du blanc ou du noir et de l’invective. Retrouvons leur fil conducteur, c’est l’espoir que l’on peut formuler au moment où va s’engager une nouvelle campagne présidentielle.
Allons encore un peu plus loin dans l’observation de ce tableau majeur de Delacroix. Cet homme arc bouté contre l’ange, ne veut-il pas néanmoins le rejoindre, trouver son inspiration auprès de lui qui l’attire comme un aimant ? Évidemment, nous avons besoin de cet ange comme sommet d’un triangle dont les trois angles se nommeraient :
§  beauté : la beauté est ce qui nous permet de dépasser notre espace-temps, d’aller au-delà de notre condition, de toujours regarder vers le haut. Ce n’est pas un hasard si Daech s’attaque systématiquement aux témoignages éternels de cette beauté et dynamite statues, sculptures et monuments. Pour autant, nous savons aussi que la beauté ne suffira pas à sauver le monde. Les nazis étaient de grands collectionneurs et mélomanes…
§  bonté : le pape François en est la figure aujourd’hui et les acteurs en sont notamment la grande cohorte des bénévoles et humanitaires des ONG qui, partout dans le monde, sont au contact de ceux qui souffrent. Nous savons tous que c’est une source inépuisable d’inspiration.
§  tolérance : la reconnaissance de l’autre, de son histoire, de sa culture, de sa religion est un angle essentiel de ce triptyque. On peut imaginer un dictateur qui aime le beau, qui est soucieux d’aider les plus défavorisés ; mais on ne peut pas imaginer un dictateur tolérant, respectueux des opinions, garantissant le droit à la diversité, prêt à l’alternance démocratique.
Alors oui, auprès de cet ange qui tiendrait en ses mains ce triangle, nous pourrons être cet homme qui marche, comme celui de Giacometti ou de Rodin.

(Photo : La Lutte de Jacob avec l’Ange, par Eugène Delacroix, Saint-Sulpice / Wikimedia)

http://www.revuedesdeuxmondes.fr/la-lutte-avec-lange/

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