mardi 28 novembre 2017

Sous le pont Mirabeau

Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.


Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure


Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse


Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure


L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente


Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure


Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine


Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure


Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

samedi 25 novembre 2017

DS 20171123 (ou 22) Le 11ème commandement suivant Winston Churchill

" Thou shall  not be caught."


en quoi il a eu de très nombreux prédécesseurs et contemporains et aura une innombrable postérité bien supérieure à celle d'Abraham "in saecula saeculorum".

mercredi 15 novembre 2017

EXTRAITS de Le silence de la Vierge, de Marie-Laure Janssens

Pendant onze ans l'auteur a été religieuse dans la communauté des soeurs contemplative de Saint Jean  dont les responsables tenaient leur troupeau en laisse par des pratiques de secte. A sa place j'aurais senti l'oignon dès avant d'entrer. La poétesse Marie Noël se gardait des gens d'Eglise tout en étant profondément religieuse. Preuve de bon sens.
" La secte est à la fois celle qui vole et celle qui donne, elle administre tour à tour le poison et l'antidote. "

LC 20171115 Le pasteur qui explorait la carte du tendre

note préliminaire

La carte du tendre est une déformation de La carte DE Tendre, Tendre étant le nom d'un pays - et de ses trois capitales - où se passe "Clélie, histoire romaine" de Madeleine de Scudéry, "best-seller" du XVIIème siècle.

portrait

Le pasteur qui explorait la carte du Tendre

Céline Hoyeau
Gary Chapman est devenu, malgré lui, un conseiller conjugal de renommée mondiale. Travis Dove/NYT/Redux/Rea
Gary Chapman Pasteur évangélique L’auteur du best-seller « Les Cinq Langages de l’amour » est un pasteur évangélique qui se rêvait missionnaire.
Winston-Salem (États-Unis)
De notre envoyée spéciale
Originaire d’une bourgade de Caroline du Sud, il se rêvait missionnaire. C’est pour cela que l’apprenti pasteur avait étudié l’anthropologie, afin de se préparer à « mieux comprendre d’autres cultures ». Son horizon, pourtant, s’est avéré tout autre : depuis plus de cinquante ans, Gary Chapman, 79 ans, explore la carte du Tendre (1), dont il est devenu, presque malgré lui, un spécialiste renommé aux États-Unis. Publié en 1992, son livre, Les Cinq Langages de l’amour (2), à destination des couples en difficulté, s’est vendu à dix millions d’exemplaires pour la seule version anglaise. Il a été traduit en 50 langues…
Comment un modeste pasteur du Sud américain est-il donc devenu un conseiller conjugal de renommée mondiale ? « La réponse courte, c’est Dieu ; la réponse longue, c’est encore Dieu »,plaisante-t-il, dans son bureau de la Calvary Baptist Chapel, à Winston-Salem, en Caroline du Nord. « J’ai toujours voulu m’adresser à un large public, les chrétiens comprendront que tout cela est enraciné dans l’Évangile. »
Au moment où il s’apprête à postuler pour le Nigeria, après cinq années d’études au Texas, sa femme tombe malade, et le jeune couple doit faire une croix sur l’étranger. Un doctorat en sciences de l’éducation en poche, le pasteur se tourne vers l’enseignement à l’université de Winston-Salem, avant de bifurquer pendant dix ans vers un ministère auprès des jeunes, pour l’église baptiste locale.
Durant les dix années qui suivent, Gary Chapman se consacre aux célibataires et aux personnes divorcées, puis à l’accompagnement des couples. C’est en recevant l’un d’eux qui ne s’en sortait pas qu’il va « inventer » sa théorie des cinq langages de l’amour. « La femme me disait ne plus ressentir d’amour pour son mari.“Il fait ses affaires et moi les miennes, il n’y a plus rien entre nous”. Le mari, lui, me disait ne pas la comprendre :“Je prépare le dîner, je fais la vaisselle, je lave la voiture et tonds la pelouse et, pourtant, elle se plaint de ne pas se sentir aimée.” J’ai alors compris qu’on pouvait être sincère en aimant l’autre sans pour autant parler son langage de l’amour. »
Aussi fin que pragmatique, Gary Chapman raconte avoir alors relu dix années de notes pour repérer les besoins émotionnels exprimés par ses clients. « Pour qu’un couple dure, il faut que chacun remplisse le réservoir émotionnel de l’autre. Or tout le monde n’exprime pas son besoin d’affection de la même façon. »
Il identifie cinq langages principaux de l’amour : les paroles valorisantes, les moments de qualité, les cadeaux, les services rendus et le toucher physique. « Si chacun apprécie de recevoir ces cinq marques d’amour, une personne sera généralement plus sensible à l’une qu’aux autres. Et rares sont les couples qui ont la même. D’oùl’intérêt d’apprendre la langue de l’autre. » Lui-même confie avoir découvert que sa femme appréciait qu’il participe aux tâches ménagères, et lui, qu’elle lui dise à quel point il était extraordinaire…
Ce conférencier a décliné ses travaux de multiples façons : pour les parents avec leurs enfants, les célibataires, les militaires qui doivent maintenir la flamme à distance et pour les familles frappées par la maladie d’Alzheimer…
Les langages de l’amour, c’est toutefois d’abord dans son couple qu’il les a appris. « Je ne ferais sans doute pas ce que je fais si je n’avais traversé autant de difficultés », raconte celui qui s’est marié à 23 ans, avec une jeune fille de son village, musicienne. « Nous croyions tous les deux que notre mariage faisait partie du plan de Dieu pour nous, mais nous étions très différents. Nous avons beaucoup bataillé. »
Dès le début, ils n’ont pas caché à ceux qu’ils accompagnaient leurs propres turbulences. « Elles m’ont donné beaucoup d’empathie pour les couples en difficulté, explique-t-il. Lorsqu’ils s’assoient sur notre canapé, sans plus aucun espoir pour leur mariage, je me rappelle ce que j’ai vécu, lorsque je pensais m’être trompé de femme. Quand on traverse des difficultés dans le mariage on perd toute motivation pour trouver une solution. Mais si on choisit de travailler, alors les choses peuvent changer. »
Lui-même, père et grand-père, l’a expérimenté – et l’auteur des Saisons du mariage l’affirme : après cinquante-cinq ans de mariage, et le cancer de sa femme il y a cinq ans, c’est aujourd’hui « l’été » dans leur couple.

(1) Carte d’un pays imaginaire appelé Tendre inventé au XVIIe, sur laquelle on retrouve tracées les différentes étapes de la vie amoureuse selon les « précieuses » de l’époque.
(2) Sorti en France en 1997. Éd. Leduc, 256 p., 7 €.

LC 20171115 à propos de Le monde du silence, de Todd Haynes, d'après Brian Selznick

Brian Selznick

Todd Haynes

Le monde du silence

Jean-Claude Raspiengeas

1927 (en haut). Rose (Millicent Simmonds) veut rencontrer son idole à New York. Myles Aronowitz
À cinquante ans de distance, deux enfants, Rose et Ben, sourds l’un et l’autre, fuient vers New York pour comprendre d’où ils viennent. Leurs histoires vont se rejoindre au terme d’une fresque somptueuse et bouleversante, d’après le beau roman graphique de Brian Selznick.
Le Musée des merveilles ***
de Todd Haynes
Film américain, 1 h 57
Savons-nous vraiment d’où nous venons ? La connaissance de nos origines est-elle à notre portée ? Peut-on échapper à son obscure généalogie ? À cinquante ans de distance, en 1927 et en 1977, Rose, sourde de naissance, et Ben, qui l’est devenu, frappé par la foudre un soir d’orage, cherchent à comprendre le mystère qui entoure leur vie, à percer leur secret de famille.
1927, New Jersey. Rose, 12 ans, vit dans une vaste maison avec un père autoritaire et distant. Spectatrice assidue des films muets, attirée par une actrice qui rayonne dans les mélodrames, elle archive tous les articles de presse qui parlent d’elle. Une double malédiction s’abat sur elle. L’arrivée du cinéma parlant et la volonté de son père de la confiner dans un pensionnat. Rose (la si expressive Millicent Simmonds, elle-même sourde, au visage d’égarée lucide) s’enfuit de chez elle pour gagner New York et tenter de retrouver l’icône en celluloïd dont les journaux lui ont appris qu’elle allait se produire au théâtre.
1977, Minnesota. Ben, 14 ans, qui vient de perdre sa mère, n’a jamais réussi à savoir par elle qui était son père. Une énigme plane sur la rencontre de ses parents disparus. Son géniteur évaporé a laissé une phrase mystérieuse : « Nous sommes tous dans le caniveau mais certains d’entre nous regardent les étoiles ». L’adresse d’une librairie trouvée dans la page de garde d’un livre, accompagnée d’un mot doux et d’un prénom inconnu, le pousse à fuguer, lui aussi, vers New York pour tenter de retrouver des traces enfouies.
Quand Rose débarque, enfermée dans sa surdité, elle se sent écrasée par ce décor d’immeubles majestueux, dans cette ville suractive surplombée entre l’héritage victorien et les premiers gratte-ciel. Un demi-siècle plus tard, Ben (Oakes Fegley) découvre, choc visuel affolant, un New York psychédélique, bariolé, métissé, bourré d’énergie mais aussi déglingué. Tous les deux errent en quête de réponses insaisissables. Leurs destins parallèles vont se rejoindre au terme d’une fresque somptueuse, inspirée par le superbe roman graphique de Brian Selznick, adapté et scénarisé par lui-même (lire les repères).
Todd Haynes (The Hours, ­Carol) distille, en reprenant le style des films muets, l’histoire de Rose en noir et blanc, plongée dans le silence, et celle de Ben en couleurs avec la bande-son des effervescentes années 1970. Le cinéaste entraîne ses personnages dans les coulisses d’un théâtre du New York des années 1920, dans le dédale du Musée d’histoire naturelle en 1927 et 1977, et à l’intérieur du spectaculaire Queens Museum qui abrite une maquette géante du panorama de New York, clou de l’Exposition universelle de 1964. Cette intrigue magnifique culmine lors d’une poignante scène de révélation, d’une bouleversante sobriété, soudain illuminée par l’actrice Julianne Moore qui fait le lien entre les deux époques et les deux personnages.
Comme dans le roman de Brian Selznick, Todd Haynes parvient, avec brio, à tenir en équilibre la symétrie de ces deux histoires, tout en déployant un univers visuel chatoyant, un mode de récit fascinant. Il sollicite aussi l’attention soutenue du spectateur qui, comme ces enfants, cherche à déceler où se niche le trou noir de leurs existences. Outre la magnificence de cette traversée du XXe siècle, d’une époque à l’autre, il sculpte une bande-son originale pour traduire la perception d’une enfant sourde de naissance et celle d’un gamin qui le devient brutalement et passe le restant de ses jours hanté par des « sons fantômes », déformés et feutrés.
Si l’on veut bien admettre que le cinéma ressemble à un cabinet de curiosités, où le spectateur est envoûté par ce qu’il ne s’attendait pas à découvrir, la nouvelle réalisation de Todd Haynes l’enchanteur se hisse à la hauteur de son titre. Son labyrinthe, qui serpente au milieu d’un passé figé, est un musée des merveilles.

1977. Jamie (Jaden Michael), Ben (Oakes Fegley) et Lillian Mayhew, l’idole de Rose (Julianne Moore) explorent le Musée d’histoire naturelle. Myles Aronowitz et Mary Cybulski

LC 20171115 Une nouvelle servitude volontaire - et par une femme encore !

chronique

Une nouvelle servitude volontaire

Cécile Guilbert

Bien que je sois vent debout contre tout ce qui s’oppose à l’accession des femmes aux métiers, emplois, grades et rémunérations auxquels elles peuvent prétendre à égalité de compétences et de mérites avec les hommes, la féminisation de leurs titres me défrise. Outre que le droit de ne pas être perçue et traitée en fonction de mon sexe (définition précise de l’antisexisme) est le seul féminisme dont j’ai envie de me réclamer, je pense comme les fondamentaux de la linguistique que quand bien même y demeureraient des traces de domination masculine, la langue ne recoupe pas l’ordre du monde. Autant dire que je ne consentirai à me faire nommer « auteure » ou « autrice » que quand les poules auront des dents.
À vrai dire, ce qui m’a le plus estomaquée dans les débats autour de l’écriture dite « genrée » et de la grammaire inclusive, c’est d’apprendre que plusieurs auteur.e.s ou auteur.rice.s (pour écrire la novlangue en question) les approuvent et s’apprêtent même à les mettre en œuvre. Ces bonnes gens s’imaginent-elles dotées d’une maestria mirifique telle que la contrainte de cisailler leurs mots par des points médians ne saurait porter préjudice à leur prose, tant du côté de l’écriture que de la lecture ? Sont-ils tellement artistes, ces auxiliaires policiers, pour pouvoir se permettre de dédaigner les inconvénients d’ordre euphonique et rythmique qui résulteraient du devoir d’user des adjectifs et des noms dans l’ordre alphabétique comme de changer les règles d’accord ? En deux mots comme en cent, ont-ils les moyens de se foutre des perturbations infinies que ces nouvelles directives induisent dans la construction de leurs phrases ? C’est tout le contraire. Car leur consentement à cet asservissement, nouvel avatar de la fameuse servitude volontaire diagnostiquée par La Boétie, me semble précisément le signe qu’« ils et elles » ne sont que desauteurs : des gens qui signent et publient des livres. En cela incapables de penser le propre de leur langue – je m’explique.
À la différence des pigments qui sont le privilège du peintre, du solfège et des notes qui sont ceux du musicien ou de n’importe quel matériau qui serait l’apanage du sculpteur – voire du plasticien (mot affreux) –, le langage appartient à tout le monde. Raison pour laquelle les tentatives de normalisation idéologique dont il fait l’objet, toujours très polémiques, nous concernent tous. Mais le langage ne saurait être qu’un simple vecteur d’intelligibilité servant à parler et se faire comprendre. Car incluse en puissance dans sa dimension commune, souvent lisse et sans saveur, existe la langue, instrument forgé au fil des siècles par les grammairiens (parfois sexistes, certes), mais surtout les écrivains qui n’ont à son égard aucun devoir, seulement des droits et mieux encore : tous les droits. Car ce sont eux qui la créent, l’affinent, la fixent ou la font décoller ailleurs comme bon leur semble et la réinventent. Eux aussi qui décident de laisser vivre ou mourir les tournures et les mots du passé, en créent de nouveaux, bref, la propulsent dans de nouvelles dimensions.
Proust affirmait que « les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère ». Ce que n’aurait pas démenti l’immense écrivain italien Carlo Emilio Gadda, pour qui il y avait d’un côté la « langue d’usage », monnaie d’échange dévaluée par toutes les facilités de pensée, les slogans, les clichés, et de l’autre la langue littéraire à valeur « absolue ». Un rêve autant qu’un luxe qu’il convient d’enseigner aux enfants à partir de ses fleurons les plus sophistiqués et les plus créatifs, de Rabelais à Patrick Chamoiseau : autant d’écrivains qui ont su plier la langue à leurs désirs, ont su parfois la torturer pour la faire jouir, bref, en ont fait quelque chose et du mémorable.
Gadda encore : « Celui qui utilise les mots au hasard, en faisant froidement et anti-historiquement abstraction du contexte vivant et vécu auquel est parvenue la langue, à la façon dont on extrait d’un code un signe télégraphique fini et conventionnel pour rédiger un câble chiffré, celui-là ne sera jamais poète mais pourra rendre de forts utiles services comme petit télégraphiste d’une station de chemin de fer. » Or quand bien même un auteur ne pourrait avoir commerce qu’avec un langage fluide, simple et harmonieux, ne possédant pas le génie d’un Joyce ou d’un Jarry demeurant bien sûr l’exception, son honneur n’est-il pas de travailler à augmenter la puissance de sa langue plutôt que de collaborer à ce qui l’entrave ?

dimanche 12 novembre 2017

LC La règle de Saint Augustin

La règle de saint Augustin

Malo Tresca
Saint Augustin dans son atelier. Sandro Botticelli, 1480. Raffael/Leemage
« La Croix » revient sur ces textes anciens qui ordonnent le quotidien de milliers de religieux, inspirant aussi de nombreux laïcs.

Quelle est la genèse de cette règle ?

C’est, chronologiquement, la première règle monastique d’Occident. Converti tardivement au catholicisme, dans sa 32e année, saint Augustin (354-430), l’un des quatre Pères de l’Église occidentale, aurait principalement commencé à la rédiger alors qu’il venait d’être nommé évêque de la ville d’Hippone, au nord est de l’actuelle Algérie, en 395. La genèse de sa règle reste encore difficilement retraçable, mais elle puiserait aussi ses origines dans d’autres écrits augustiniens, dont notamment une authentique lettre datée de 423, adressée à des jeunes filles et des veuves chrétiennes de la région.
« Son attribution historique au philosophe chrétien, qui a pu être discutée par le passé, est aujourd’hui tranchée et fait autorité en la matière », confirme le père François-Marie Humann, abbé de Mondaye et auteur de l’ouvrage Règle de saint Augustin, texte intégral et commentaire (1).Sans appeler explicitement à la fondation d’un nouvel ordre monastique, la règle augustinienne entend alors prodiguer des conseils pour guider la vie religieuse de communautés d’hommes et de femmes pieux de l’époque.

Quelles sont ses caractéristiques ?

Nette et précise, la règle de saint Augustin, qui se décline en huit chapitres, est très pratique. En prônant un modèle de vie inspiré de celui de la première communauté chrétienne de Jérusalem telle qu’elle est décrite dans le livre des Actes des Apôtres (4, 32), elle insiste sur la charité fraternelle, qui se concrétise principalement au quotidien par la pauvreté personnelle et par la mise en commun des biens, pour parvenir à l’unité communautaire : « Avant tout, Vivez unanimes à la maison, Ayez une seuleâmeet un seul cœur tournés vers Dieu. N’est-ce pas la raison même de votre rassemblement ? Et puis, qu’on n’entende pas parler parmi vous de biens matériels, mais qu’au contraire tout vous soit commun » (Règle, chapitre I, 2-3).
Cet idéal de désappropriation, qui s’accompagne d’un partage des compétences et des talents de chaque membre de la communauté – tout en acceptant ses différences ou ses infirmités –, ne prône cependant pas une égalité absolue : « Votre frère prieur doit distribuer à chacun de vous de quoi se nourrir et se couvrir, non pas selon un principe égalitaire, puisque vos santés sont inégales, mais plutôt à chacun selon ses besoins » (Règle, chapitre I, 3).
Rappel de l’importance de l’assiduité aux offices quotidiens (chapitre II), du jeûne alimentaire (chapitre III), de la chasteté dans la vie consacrée – « Soyez les uns pour les autres les gardiens de la pureté » – (chapitre IV), de la concorde et de la convivialité au sein de la communauté – « N’ayez pas de disputes, ou du moins, venez-en à bout le plus tôt possible » – (chapitre VI)… De chapitre en chapitre, le souci « pragmatique » de la règle l’emporte sur les grandes considérations théologiques. « Elle constitue ainsi une sorte d’itinéraire spirituel ; elle part des choses les plus matérielles, les plus concrètes du quotidien pour tendre vers un même but : l’unité communautaire dans le désir d’accomplir, ensemble, la volonté de Dieu », résume le père Humann.

Qui la suit aujourd’hui ?

« La lucidité de la pensée (augustinienne), sa pertinence, la profondeur de sa vie spirituelle continuent d’attirer largement et offrent une réponse convaincante aux besoins spirituels, de façon renouvelée, des institutions aujourd’hui encore naissantes », expliquait en 2016 le père Jean-François Petit, augustin de l’Assomption, et professeur de philosophie à l’Institut catholique de Paris (ICP), lors d’une rencontre de l’Académie catholique du Val-de-Seine. « Elle est aujourd’hui suivie par plus de 50 000 religieux et religieuses, dans plus de 130 instituts de vie consacrée, organisés dans des communautés », estimait encore le spécialiste (2).
La règle de saint Augustin a connu un fort regain d’intérêt à partir du XIe siècle, alors que les chanoines réguliers des temps féodaux commençaient à l’adopter. Depuis, des dominicains aux trinitaires, des mercédaires aux assomptionnistes – ou augustins de l’Assomption –, des servites aux camilliens, elle est restée le document de référence de nombreux ordres et congrégations.
Et parmi ces derniers, tous, ou presque, ont leur pendant féminin. Il existe ainsi plusieurs communautés de chanoinesses de Saint-Augustin, dont beaucoup ont été regroupées en une fédération (dite « de Malestroit »). Quant à l’appellation d’augustines, elle est généralement réservée aux religieuses hospitalières, desservant les hôtels-Dieu ; en France, elles officieraient actuellement dans une vingtaine de communautés diocésaines.

En quoi cette règle monastique peut-elle aussi guider des laïcs ?

Dans la mesure où cette règle, très accessible, décrit comment vivre ensemble dans une communauté, son propos peut aussi « intéresser et inspirer tout chrétien laïc – voire un lecteur non religieux – dans l’apprentissage de la vie commune, qu’elle soit à l’échelle conjugale, familiale, dans les relations au sein d’une paroisse, d’un diocèse, d’une association ou même dans le monde professionnel », affirme le père Humann.
Concrètement, la méditation augustinienne promeut l’abnégation, incitant aussi les fidèles à la persévérance dans la charité. « En prônant la mise en commun des biens et leur redistribution selon les besoins de chacun, elle soulève la question d’une différence qui n’est pas nécessairement synonyme d’injustice : pourquoi jalouser le bien d’un autre, dès lors que l’on a ce qu’il nous faut ? », ajoute le spécialiste, précisant que « ce principe gagnerait à être davantage observé, dans une société parfois égalitariste à outrance ».

(1) Salvator, 154 p., 13,90 €. (2) Il est notamment l’auteur de Saint Augustin notre contemporain. Lectures du XXe siècle, Éd. Bayard, 418 p., 24,90 €.

LC Le billet d'Alain Rémond "La vie etc..."


La vie etc...

Alain Rémond
Figurez-vous qu’aujourd’hui, 30 octobre, nous sommes invités à célébrer la Journée mondiale de la vie. C’est une ONG de Côte d’Ivoire, judicieusement appelée « Les Amis de la vie », qui a eu cette idée, en 2008. Nous en sommes donc à la neuvième Journée mondiale de la vie. Sans doute en faudra-t-il quelques-unes de plus pour voir si ça marche. En tout cas, précise cette ONG, « chaque 30 octobre, à 13 heures précises, l’humanité tout entière est appelée à observer une minute d’acclamation en l’honneur de la vie ». Si vous entendez des cris sur le coup de 13 heures, pas de panique : c’est la minute d’acclamation qui bat son plein. À propos de la vie, justement, et puisque nous entrons dans la semaine de la Toussaint et du Jour des morts, propices à de roboratives introspections, je livre à votre méditation cette réflexion du dessinateur Geluck dans son dernier album (Chacun son chat) : « S’il y a une vie après la vie, j’aimerais qu’on m’explique quel est l’intérêt de mourir. » Que Geluck ne compte pas sur moi pour lui expliquer. C’est trop compliqué. La vie, de toute façon (et ne parlons pas de la mort), c’est incroyablement compliqué. Woody Allen a dit sur la question des choses définitives : « Non seulement la vie est horrible, mais en plus elle est trop courte. » Et aussi : « Bien que je n’aie pas peur de la mort, j’aimerais mieux ne pas être là quand ça arrivera. » Allez, tous sur le pont pour la minute d’acclamation, à 13 heures. La vie vous dit merci.

LC Si juste que soit la cause, par Geneviève Jurgensen


Si juste que soit la cause…

Geneviève Jurgensen
Estimer que c’est aux équipes de la Cinémathèque française de décider des films, séminaires, hommages et expositions qu’elles programment pour les proposer au public ne fait de personne le défenseur des criminels reconnus coupables de viols sur mineurs. Les tentatives de certains pour exiger le retrait de la rétrospective consacrée à Roman Polanski ont échoué, et pour son lancement la projection du dernier film du cinéaste a pu avoir lieu en sa présence, malgré quelques manifestations. On se souvient que des protestations pour le même motif – Polanski est poursuivi aux États-Unis pour le viol d’une mineure commis en 1977 – l’avaient fait renoncer à présider la cérémonie des Césars 2017. La situation était différente : c’est sa personne alors qui aurait été propulsée sur le devant de la scène comme une figure d’autorité, et même si son œuvre le justifiait pleinement, le choix de l’Académie des Césars semblait malheureux. Il en va autrement de la Cinémathèque, dont l’objectif est de donner à voir une œuvre majeure, qui vient de s’enrichir d’un film de plus, et on peut penser que l’auteur, à 84 ans, en a d’ores et déjà livré l’essentiel.
Nous avons la chance de ne rien connaître généralement de la vie des artistes qui nous ont faits qui nous sommes. Certains furent sûrement des criminels, des débauchés, des lâches. Sommes-nous seulement sûrs que Molière écrivit les pièces qu’on lui attribue ? Et Shakespeare ? Et Homère ? Cette semaine, après qu’un acteur se fut plaint d’avoir subi, adolescent, des avances insistantes et indécentes de l’acteur Kevin Spacey, ce dernier s’est vu immédiatement retirer la récompense (un Emmy Award) qu’il devait recevoir ce mois-ci. Les faits se seraient produits quand l’acteur avait 26 ans, il en a aujourd’hui 58.
Pourquoi insister pour qu’on laisse les tribunaux traiter ce qui est de leur ressort et la vie culturelle ce qui relève du sien ? Parce que les causes justes sont nombreuses et toutes, alors, justifieraient qu’un artiste et son œuvre cessent d’être proposés au public et programmés dans les cursus scolaires ou universitaires. Cause juste, la lutte contre les abus sexuels. Et pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Et contre la peine de mort. Et contre le racisme. Et contre l’exclusion. Et pour la liberté d’expression. Et pour les droits de l’enfant. Et pour la protection de l’environnement. Et contre les dérives du capitalisme. Et contre le colonialisme. On ne saurait toutes les citer avant même d’arriver à des causes d’importance secondaire.

Leurs défenseurs doivent-ils siéger dans les jurys de prix littéraires, de palmarès de festivals, doivent-ils être associés aux comités de lecture, aux commissions d’avance sur recettes ? Sans aller jusqu’à imaginer l’absurde, l’intimidation fait déjà des ravages. Ceux qui décernent des Emmy Awards se fichent sûrement comme d’une guigne de ce qui a pu se passer entre Kevin Spacey et un adolescent il y a plus de trente ans. Mais ils ne veulent pas de vagues. Pas de ce qu’on appelle aujourd’hui le « bad buzz ». C’est mauvais pour l’image, mauvais pour les affaires. Une de mes amies me dit, avec humour, réfléchir à la façon dont on pourrait édulcorer les œuvres littéraires pour qu’elles ne blessent personne, et indiquer à leurs auteurs les thèmes qu’ils ont le droit de traiter. Je lui suggère de commencer par dresser le portrait-type de l’auteur parfait. Nous subodorons qu’il s’agira d’un robot. Il aura suffi de le programmer en indiquant les thématiques encouragées et prohibées, le vocabulaire approprié à chaque situation, et naturellement lui avoir enseigné l’orthographe inclusive.
On a légitimement et abondamment poussé les hauts cris contre toute forme d’art officiel. L’art condamné à la clandestinité nous a toujours paru, au-delà de sa valeur formelle, être la marque profonde et belle de ce que l’âme produit de plus spécifiquement humain. Restons unis contre les tribunaux populaires et le tamis de tout ce qui ressemble à une ligue de vertu. De cause juste en juste cause, nous pourrions vite ne même plus avoir accès à de l’art officiel et devoir nous contenter des œuvres qui resteront, quand toutes les autres auront été censurées.

vendredi 10 novembre 2017

DS Over het overlijden van Stephanie Verbrakel; deadline-illustrator bij DS - 28 jaar


Is echt niemand onmisbaar ?


Ooggetuige



Stephanie Verbraekel 5/2/1989­—7/11/2017

Elke redactie telt meerdere deadline-schrijvers: redacteuren die pas net voor de persen gaan draaien hun stukken doorsturen. Vaak een kwestie van uitstelgedrag, of van wantrouwen tegenover eindredacteurs.
Deadline-illustratoren zijn veel zeldzamer. Collega Stephanie Verbraekel, die dinsdagavond fataal aangereden werd door een auto, was er één. Niet uit vrije wil of wantrouwen, wel uit noodzaak. Een laat stuk over liefdesverdriet, onthaasting of depressie; over privacy in internet­tijden, digitale oorlogvoering, het nieuwe analfabetisme: als de fotografie geen goeie oplossing bood, ging zij aan de slag. Intussen moest er ook nog vormgegeven worden. Landen deden we altijd, meestal met frisse pagina’s en een slimme illustratie.
Aanvankelijk maakte ze uitsluitend collages. Gaandeweg kwamen er technieken bij. Talloze vrije uren gingen op aan bijstuderen, de creatiedrang en de drive om zichzelf te vernieuwen, waren enorm.
Dat we goud in handen hadden: dat besef leefde hier ter redactie al een hele tijd. Ze kon nagenoeg alle onderwerpen aan, haar register aan tones of voicewerd gestaag breder. Er was één stem die ze voor geen meter beheerste: die van het cynisme. Dat kwam er, buiten haar wil, alleen helemaal op het einde.
De redactie van De Standaard leeft mee met de familie en de naasten.



jeudi 9 novembre 2017

La confusion quotidienne

NATHACHA APPANAH

Il y a plusieurs années, j’ai visité l’endroit où mes grands-parents sont nés. Il n’en restait plus grand-chose. La nature avait repris sa place ; il y avait des manguiers, des papayers et partout des lianes épaisses couraient, s’enchevêtrant parmi ce qui restait des murs. Ces lianes donnaient des petites fleurs aux pétales serrés dont l’odeur était forte. « Amère » était l’adjectif qui m’était venu à l’esprit. La terre était foncée, presque rouge. Cet endroit était appelé, au début du XXe siècle, un « camp » et était réservé aux travailleurs de la terre sur les plantations sucrières. Ils naissaient, se mariaient et, pour certains, mouraient ici. Plus loin, on pouvait encore voir la vieille cheminée de l’ancienne usine à sucre. Dans cet endroit, j’avais été interviewée par une équipe de télévision à propos de mon premier roman qui raconte l’histoire de cinq Indiens recrutés, à la fin du XIXe siècle, pour travailler dans les champs de canne. Ils faisaient partie de ces millions d’Indiens qui quittèrent l’Inde pour travailler dans les colonies. L’engagisme avait été mis en place par les colons anglais et français pour pallier au manque de main d’œuvre à la fin de l’esclavage. Même si ce livre était une fiction, je n’avais pas caché que j’étais une descendante d’engagés – mes deux arrière-grands-pères avaient quitté l’Andhra Pradesh et s’étaient retrouvés dans le nord de l’île Maurice. Je connais bien peu de chose d’eux – la transmission orale a malheureusement ses limites.
Ce qui m’avait frappée pendant cet entretien, c’était l’insistance de la journaliste qui voulait absolument que je sois choquée que cet endroit soit à l’abandon, que d’autres lieux d’habitation aient fait l’objet de conservation mais pas celui-ci, etc. Elle me parlait de traces, elle me parlait de mémoire mais moi, je n’avais pas besoin de tout cela. Mes grands-parents vivent en moi. Je n’avais pas été triste que cet endroit soit dans cet état, au contraire il m’avait fait penser (et c’est ce que j’avais dit à cette journaliste) à ces lieux oubliés dans les contes de fées, ces endroits un peu magiques qui ne font en réalité que semblant d’êtres morts. Cette femme avait alors haussé les épaules en me disant qu’elle avait cru, en lisant mon livre, que j’étais « plus engagée que cela ».
Cette expérience a planté en moi une crainte qui grandit à chaque fois que je dois avoir une parole publique. J’ai souvent l’impression de devoir non pas être à la hauteur de ce que j’ai écrit – je veux dire de donner à mieux comprendre un personnage, sa réaction, son histoire, d’éclairer un lien précis, un sentiment éprouvé, un propos – mais être à la hauteur des théories/pensées/études/actualités qui peuvent avoir un lien avec mon livre. Et plus notre monde ressemble à une poudrière, plus je ressens cette pression d’être « engagée », plus je comprends que le mot « écrivain », ou « fiction », ou « histoire » porte à confusion.
Très souvent, j’ai été interrogée non pas sur le contexte de ce que je racontais mais comment ce contexte-là pouvait se « comparer », se « mesurer » à d’autres contextes.
La concurrence des mémoires m’angoisse beaucoup. Je la sentais déjà poindre, à mon humble niveau, avec ce premier roman quand on me demandait si l’engagisme pouvait se comparer à l’esclavage, et elle n’a cessé de grandir. La mise en avant de l’histoire sous l’angle sacrificiel (la « sentimentalité », notre nouvel opium) est parfois comme un moyen de mesurer sa vie d’aujourd’hui mais il n’y a rien de plus trompeur : ce n’est pas parce que nos ancêtres ont traversé les mers, ont souffert, ont été enchaînés, que cela fait de nous des êtres meilleurs. Ce n’est pas parce que nous avons été victimes que nous le resterons. Il y a parfois une confusion totale entre les époques, les mentalités, les contextes historiques. La réactivité, l’émotivité, le terrible anonymat des réseaux sociaux font grandir, eux, la concurrence victimaire. Pourquoi vous parlez de telle victime quand vous savez qu’il y en a mille autres semblables ailleurs ? Pourquoi celle-ci vous touche moins que celle-là ? Pourquoi vous parlez d’un enfant mort il y a soixante-dix ans et pas de celui-ci, mort hier ? Qu’est-ce que cela dit de vous, en réalité, puisque vous faites un choix en parlant de ce drame-là plutôt que d’un autre ?
Peut-être que tout cela est le résultat de ce monde qui semble rétrécir, devenir « linéaire » alors que nous, êtres humains, sommes si complexes. Peut-être que ces questions-là disent une peur, en réalité. Une peur lointaine, familière, qui nous étreint dès que nous avons conscience d’être sur terre : celle de vivre et de mourir sans laisser de traces.

mercredi 8 novembre 2017

Citation de "Numéro zéro" de Umberto Eco, un bijou de méchanceté

"... le mot attribué à un chef d'orchestre, une vraie langue de vipère, à propos d'un musicien : "Dans son genre, c'est un dieu. C'est son genre qui est de la merde."

lundi 6 novembre 2017

LC 20171106 America, America - allusion au film d'Elia Kazan et à l'Amérique qui faisait rêver



America, America

Metin Arditi



A propos de Père Noël… Une scène de mon enfance me revient en mémoire. Elle se passe à Istanbul. Je devais avoir 4 ou 5 ans et j’étais accoudé à une fenêtre aux côtés de ma Madamika, la dame qui m’a élevé (j’ai souvent parlé d’elle dans cette chronique). Je lui demandai comment faire savoir au Père Noël ce que l’on souhaite comme cadeau. Il faut d’abord écrire une belle lettre, me dit-elle, puis se mettre à sa fenêtre et lancer la lettre au moment où passe « le grand avion pour l’Amérique ». J’ai grandi avec cette image d’un pays puissant et généreux, où rien n’était impossible. Amerika… disait-on à Istanbul, et chacun se mettait à rêver. Le nom était synonyme d’espoir et de liberté. Plus tard, durant mes années d’études aux États-Unis, ce sentiment s’est renforcé. La générosité et la bienveillance que j’ai rencontrées dans les milieux universitaires américains étaient telles qu’il me fallait parfois me pincer pour m’assurer que je ne rêvais pas. Mes sentiments de gratitude et d’admiration se sont solidifiés au cours de mes premières années de vie professionnelle. La règle d’or, c’était « Give a chance ». On donne une chance à celui qui y croit. On lui laisse la possibilité de l’échec, et en misant sur lui, on le construit.
L’Amérique de Donald Trump ne déclenche pas les sentiments d’antan. À l’aune des comportements de son président, l’égoïsme et l’exclusion ont pris la place de la générosité et de l’ouverture. America first, dit M. Trump. Les soixante-dix ans de politiques multilatéralistes menées par les États-Unis ? En phase terminale. L’accord de Paris sur le climat ? L’Amérique en sort. L’accord sur le nucléaire iranien ? Remis en cause. L’accord de libre-échange nord-américain (Nafta) ? Remis en cause lui aussi. Sur tous ces accords, M. Trump ne détient aucune autorité particulière. Ce sont des accords multilatéraux dont il se dégage en lançant au monde, en substance : « Tel est mon bon plaisir de ce jour. »
Le dernier abandon de M. Trump concerne l’Unesco. L’Amérique va s’en retirer, au motif que l’organisation aurait adopté, le 7 juillet dernier, à Cracovie, une résolution « anti-israélienne ». Cet abandon m’emplit de tristesse (quant à son motif, sans doute que quelque chose m’échappe : la résolution vise à protéger la vieille ville d’Hébron, où se situe le Tombeau des Patriarches. Elle ne fait aucune référence religieuse. Elle nomme la ville par ses deux noms, Hébron/Al-Khalil, son nom hébreu et son nom arabe, qui veulent l’un et l’autre dire « l’ami »…)
L’Amérique nous abandonne, l’Amérique nous blesse. En laissant la place à d’autres, elle s’éloigne, s’affaiblit et nous affaiblit aussi. Pourtant, il faut continuer d’aimer ce pays. De rester à son écoute. De lui garder une confiance. Son peuple est un grand peuple.
Une publication nous aidera dans cette démarche. Elle a pour nom America, et c’est bien américain, cette façon d’annoncer la couleur sans chercher midi à quatorze heures. Son créateur, François Busnel, et le directeur de la publication, Éric Fottorino, l’ont voulue éphémère. Elle est prévue pour durer quatre années, les années Trump, à raison de quatre numéros par an, et cette idée de vouloir précisément parler de l’Amérique lorsqu’elle est mise à mal montre bien que la démarche découle d’un vrai attachement à ce pays.
Il se retrouve à chaque page. Dans son numéro 3/16, comme dans les précédents, America offre tantôt le regard que des écrivains ou critiques français portent sur les États-Unis, tantôt des interviews d’auteurs américains, tantôt des textes classiques ou inédits, tantôt le regard d’écrivains américains sur leurs contemporains. Tout est dense, creusé, vivant et surtout authentique. Sur Huckleberry Finn, roman fondateur de la littérature américaine, le magazine propose rien de moins que quatre volets : une longue introduction d’André Clavel, un extrait de l’œuvre en version française (dans la dernière et très bonne traduction de Bernard Hoepffner), avec en vis-à-vis le texte original, et enfin le regard de six grands écrivains américains sur l’œuvre de Mark Twain. « Toute la littérature américaine vient de ce roman », dira Ernest Hemingway. L’interview de James Ellroy par François Busnel est jubilatoire. Elle fait vingt grandes pages. Ellroy ose tout (et fait mentir l’impayable réplique des Tontons Flingueurs). Ailleurs, en avant-première, America propose la dernière novella de Jim Harrison. Elle éclate d’émotion, de franchise, de courage. Elle bouleverse. Philippe Besson raconte le voyage qui l’a mené de Chicago à La Nouvelle-Orléans, une descente nord-sud, récit long, sensible, sincère de bout en bout. Au fil des pages se révèle la vraie Amérique, immense, engagée, authentique dans sa volonté (et quelquefois dans sa difficulté) de faire le bien. Un régal.




DS 20171106 Over het engels als taal van het hoger onderwijs in VL

Mind the gap!

Engels mag dan in diverse omgevingen ingeburgerd zijn, als we er de voertaal van maken aan de universiteit, zullen we daar volgens Gita DeneckereBruno De Wever en Antoon Vrints een hoge maatschappelijke prijs voor betalen.

Wie? Historici verbonden aan de UGent
Wat? De ontvoogding die de strijd aan universiteiten voor het Nederlands heeft teweeggebracht, houdt een waar­schuwing in tegen forse verengelsing.
Het debat over de taalwetgeving voor het hoger onderwijs zou in Vlaanderen eindelijk op gang ­komen, nu ook de bacheloropleidingen in het geding zijn. Pleidooien om ook op dat basisniveau de wettelijke taalteugels te vieren, komen onder meer van de Leuvense rector Luc Sels en de topman van de Hogeschoolraad Eric Vermeylen.
Ondertussen meet men in Nederland de schade op. Meer dan zeventig procent van de masters wordt er inmiddels in het Engels aangeboden. Van de bacheloropleidingen is twintig procent volledig Engelstalig. De neveneffecten voor de kwaliteit van het onderwijs aan de Nederlandse universiteiten zijn zonder meer rampzalig, zoals uit diverse indicatoren blijkt. Bij onze noorderburen laait het debat dan ook veel heviger op. Als gevolg van de commotie wil de nieuwe regering er nauwer op de taalwetgeving gaan toezien.
Gevecht om meer dan taal
Nederland is onbesuisder verengelst, omdat er – anders dan in Vlaanderen – nooit strijd voor de vernederlandsing van de universiteiten is gevoerd. In 1876 is men officieel van het Latijn op het Nederlands overgeschakeld, terwijl de voertaal van de universiteiten in het onafhankelijke België in 1835 het Frans werd, de taal van de economische en culturele elite. De strijd voor de vernederlandsing van zowel de UGent als de KU Leuven en de VUB was dan ook au fond een strijd voor democratisering.
Zo’n marktgerichte kijk op hoger onderwijs let niet op de sociale gevolgen
De vernederlandsing van de Rijksuniversiteit Gent paste in de bredere democratisering van de samenleving, die de integratie van de arbeidersklasse in de liberale democratie tot doel had. De Vlaamse beweging ijverde voor hoger onderwijs in de volkstaal om een nieuwe culturele elite te vormen door de toegangsdrempel te verlagen. Die elite zou ‘Arm Vlaanderen’ niet alleen intellectueel maar ook sociaaleconomisch optillen.
‘Leuven-Vlaams’ was op een vergelijkbare manier vervlochten met de studentenstrijd voor een ­democratischer universiteit. Vanaf de jaren 1960 schreven zich als gevolg van de democratisering van de universiteiten voor het eerst meer Nederlandstalige dan Franstalige studenten in en nam de druk toe om de tweetalige universiteit te splitsen. Na de afsplitsing van de Franstalige campus in Louvain-la-Neuve in 1968 volgde in 1969 de splitsing van de tweetalige Brusselse universiteit in de Nederlandstalige VUB en Frans­talige ULB. Het vernederlandste hoger onderwijs ontwikkelde zich tot een sterke emancipatiemachine en als vliegwiel voor een opwaartse sociale mobiliteit, al blijft de afkomst van studenten nog al te zeer hun toekomst bepalen.
Eén pot nat
Inmiddels willen bestuurders van het hoger onderwijs in Vlaanderen de bakens verzetten en naar Nederlands model veel meer opleidingen in het Engels aanbieden, zelfs op ­bachelorniveau. Dat staat haaks op honderd jaar democratisering van het hoger onderwijs in Vlaanderen. Het aanbod van Engelstalige programma’s is er vooral op gericht een internationale studentenelite te rekruteren in de steeds competitievere omgeving waarin de Europese universiteiten sinds de Bologna-hervormingen van 1999 zijn verzeild. Demografische ontwikkelingen in eigen land zouden de groei van de studentenaantallen afremmen. Meer buitenlandse studenten hebben zou bovendien gunstig zijn voor de plaats in de internationale rankings. Het zijn aannames die een wel heel marktgerichte kijk op hoger onderwijs verraden. Over de sociale gevolgen wordt nauwelijks nagedacht.
In Nederland is de dualisering van het hoger onderwijs al duidelijk merkbaar. De onderwijstaal werkt daar nu pas als de sociale filter die het Frans destijds in Vlaanderen was. De Nederlandse Academie voor Wetenschappen stelde recent dat de verengelsing de toegang tot het hoger onderwijs met name bemoeilijkt voor mensen uit minder gegoede milieus en voor mensen met een migratieachtergrond. Het Nederlands­talige onderwijs krijgt wegens het prestige­verschil al geduchte concurrentie van Engelstalige programma’s. Die krijgen bijna per definitie een kwaliteitslabel opgespeld, ook al is de onderwijskwaliteit bijlange niet gegarandeerd. Maar dat is bijzaak op de geglobaliseerde onderwijsmarkt. Het globish maakt van de universiteit een soort transitzone die er overal ter wereld hetzelfde uitziet en een internationele studentenelite klaarstoomt voor een internationale carrière.
Zo verwijderen de Europese universiteiten zich langzaam maar zeker van de maatschappelijke realiteit in de landen waar ze gevestigd zijn. Ook dat draagt bij tot het dreigende democratisch deficit, als het Engelstalige onderwijs de norm wordt.