mardi 13 septembre 2016

LC 20160913 La faute de Barroso

L’embauche de l’ancien président de la Commission européenne par Goldman Sachs va faire l’objet d’un nouvel examen à Bruxelles
Voilà une affaire qui n’aurait fait aucun bruit il y a quelques années. Qu’un ancien président de la Commission européenne devienne conseiller d’une banque d’affaires américaine serait apparu du dernier banal. Pas forcément de bon goût mais dans les mœurs de l’époque, que l’on s’en réjouisse ou pas. Désormais, l’état d’esprit a changé et l’embauche, au mois de juillet, de José Manuel Barroso par Goldman Sachs, décidément, ne passe pas. Au point que l’actuel président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a dû an- noncer hier qu’il soumettrait le cas Barroso à un nouvel examen.
Longtemps, il est apparu, disons, logique que de hauts responsables publics, après avoir quitté leurs fonctions, aillent mettre leur expérience et leur capital relationnel au service d’institutions privées. Comme salarié, ou bien en tant que conseiller, consultant ou avocat. Il y a, en pareil cas, des règles à respecter mais elles ne sont pas très contraignantes. Par exemple, en ce qui concerne José Manuel Barroso, il lui fallait simplement attendre dix-huit mois après avoir quitté son poste.
Ce qui a déclenché la colère, dans le cas Barroso, est qu’il soit allé chez Goldman Sachs pour conseiller cette banque sur le Brexit. Or cette institution financière a joué un rôle particulièrement trouble dans le déclenchement de la crise grecque, aidant le gouvernement d’Athènes à maquiller ses comptes tout en spéculant parallèlement sur la faillite du pays. Comme beaucoup d’autres, José Manuel Barroso aurait dû se dire : plus jamais ça. Pour ne l’avoir pas compris, il se retrouve aujourd’hui objet de la plus grande méfiance et Goldman Sachs avec un conseiller discrédité. Tant mieux.

Guillaume Goubert

lundi 12 septembre 2016

LC François Sureau La banque maudite

Le dimanche 5 mai 1996, je revenais du Caire et, en passant en taxi sur le périphérique, je vis d’épaisses colonnes de fumée noire qui s’élevaient dans le ciel, voilant par instants jusqu’au dôme du Sacré-Cœur. « Elle brûle, la banque maudite », me dit le chauffeur. Le Crédit lyonnais partait en fumée dans un matin de printemps. Le taxi y voyait comme une punition d’un ciel peu favorable aux banquiers. C’est une tradition parisienne. Avant lui, Léon Bloy avait déjà cru discerner les prodromes de la Parousie dans l’incendie du Bazar de la Charité, dont le nom avait en effet de quoi effrayer les moins superstitieux. L’incendie du Printemps, en 1921, décrit par Jacques Laurent dans Les Bêtises, avait appelé quelques commentaires semblables.
Je ne suis pas naturellement badaud, pourtant je me rendis sur place. Il me semblait confusément qu’il y allait de la fin d’un monde, celui des années 1980, qui avait vu la bureaucratie française, dans ses strates les plus élevées, se fracasser sur le mur de l’argent, mais cette fois par l’effet de sa seule incompétence. Un mystérieux itinéraire joignait Sarajevo, Phnom Penh, le Koweït et le boulevard des Italiens. Il en résulterait une angoisse qui ne disparaîtrait pas de sitôt, qui dure encore aujourd’hui. Le peuple avait délégué son pouvoir et ses destins aux meilleurs, soigneusement passés par le tamis des concours, et les meilleurs étaient des nouilles. Là peut-être résidait la vraie malédiction. Un pays intelligent s’était abandonné aux imbéciles, dans l’éclat trompeur des vessies commodément prises pour des lanternes, et seuls les coquins y avaient trouvé leur compte.
Le Crédit lyonnais avait été l’une des premières banques universelles, au début du XIXe siècle, ce dont témoignait son siège social, construit vers 1880 en style Renaissance, avec un grand escalier inspiré de Chambord. Les statues allégoriques des grandes villes commerçantes – Alexandrie, Marseille, Lyon, New York, Hambourg – ornaient la salle du conseil. Ce jour-là, à onze heures du matin, les pompiers ne parvenaient pas à entrer, le plomb fondu de l’immense verrière en feu, tombant en pluie, perçant les combinaisons. Au dehors il y avait foule, des passants, des épargnants aussi, des gens qui possédaient un coffre dans la plus belle salle de coffres du monde, qui bientôt allait se transformer en lac souterrain, où des employés iraient en barque procéder à d’improbables sauvetages, tableaux de maîtres, millions en lingots, objets sexuels et correspondances amoureuses. Appelé en hâte, Jean Peyrelevade, qui avait accepté de redresser l’entreprise ruinée par son prédécesseur, s’évanouissait devant cet ultime coup du sort.
Peyrelevade vient de publier ses souvenirs de l’affaire. Il s’agit de notes, tenues jour après jour. Léautaud disait préférer à toute littérature un rapport bien écrit sur le scandale du Panama. C’était pour ce vieux stendhalien la seule littérature qui vaille, débarrassée des effets. Nous y sommes. C’est une histoire à présent évanouie sans qu’on se soit trop soucié d’en élucider la nature, peut-être parce que l’exercice aurait révélé des défauts, des conduites que les Français ne peuvent, l’actualité le montre encore, regarder en face. C’est une thèse qui montre comment une catégorie particulière de hauts fonctionnaires a fait disparaître l’objet de son échec le plus retentissant pour éviter les questions gênantes, passez muscade ! C’est, surtout, une extraordinaire galerie de portraits. On y contemple, au fronton calciné par les flammes, le jugement dernier des élites. Tout le monde jouit de sa position jusqu’à l’extase et personne n’est responsable de rien. Des fondés de pouvoirs jouent au jeu de la vérité avec Sharon Stone dans la nuit de Hollywood. Des canailles privées font leur beurre. Des canailles publiques espèrent l’avancement. La faveur et l’apparence règlent tout. Les plus honnêtes ne sont pas les plus intelligents. Des ministres de rencontre lisent des bilans à l’envers. Le lecteur est pris souvent d’un rire gras et triste.
Je suis frappé que ces années n’aient pas trouvé leur chroniqueur ou leur romancier. En Angleterre, Julian Barnes a décrit la faillite du Lloyd’s, mais c’est encore un travail de journaliste. Ces grandes aventures de la lâcheté et de la nullité appellent le fantastique social d’un Balzac, le point de vue transcendant d’un Saint-Simon. En fait, de Saint-Simon nous n’aurons eu que l’autre, qui aurait hanté sans doute les couloirs de Bercy s’il les avait connus. Ces milliards évanouis, ces vies perdues, cette histoire en fumée n’ont pas trouvé leur barde républicain. Puissent-ils connaître un jour la rédemption dans l’art.

François Sureau

LC François Sureau "Sire, vous jugerez vous-même"

Oserai-je l’avouer ? J’aime les juges, surtout à notre époque où la police est partout. J’en ai connu de toutes sortes. Certains étaient d’attendrissants imbéciles et d’autres violaient les principes en adressant aux journaux leurs procès-verbaux confidentiels dès que le prévenu avait tourné les talons. Beaucoup étaient de regrettables moralisateurs. Souvent aussi ils se voyaient comme des demi-dieux, installés par nature au-dessus du vulgaire. Il y en avait aussi d’intelligents, impartiaux, diligents, modestes et détachés d’eux-mêmes. Il n’importe. Je préfère qu’ils soient là. Au fond, notre société n’aime guère ses juges. Elle se trouve d’instinct d’accord avec Simenon, pour qui l’essentiel était de comprendre et non de juger. Elle vient leur demander « réparation », « reconnaissance du travail de deuil », « statut de victime ». Elle ne voit pas que leur première fonction est de nous protéger contre l’arbitraire de l’État. Ce combat n’est nullement gagné d’avance.
C’est un combat si difficile que l’on passe volontiers aux juges toutes sortes de singularités. Le plus beau portrait d’un juge que je connaisse a été fait par Tallemant des Réaux, dans ses historiettes. On y voit un parfait original, M. de Turin, qui appelle son clerc « cheval », son laquais « mulet », et sa femme pire encore. Un gentilhomme lui offre du gibier, il attend qu’il sorte puis lui jette d’en haut le lourd paquet sur la tête, « en lui disant qu’il apprît à ne pas corrompre ses juges ». Un jour il doit juger un procès considérable entre les princes de Bouillon à propos de Sedan. Henri IV, qui était quand même un autre personnage que nos rois d’aujourd’hui, le convoque et lui ordonne de statuer dans tel sens. « Sire, rien de plus facile. Je vous enverrai les pièces et vous jugerez vous-même. » Un courtisan prévient le roi qu’il est homme à faire ce qu’il dit, le roi envoie un garde, et l’on trouve le digne magistrat chargeant lui-même les sacs de documents sur une charrette destinée au Louvre. Le roi décide alors de laisser le juge tranquille. Tout est là.
Ce qui protège le citoyen, c’est ce qu’on appelle la procédure pénale, et qui est bien autre chose qu’un recueil de préceptes techniques. La procédure pénale, c’est d’abord une philosophie. En cas de crime ou de délit, la police rassemblera les preuves, constituera un dossier. Puis elle soumettra l’ensemble à un juge indépendant, qui exercera en effet son jugement. Ce qui sépare un régime de liberté d’un régime de servitude tient à cette coupure, qui est infranchissable. Peu importe à cette aune que le juge soit « judiciaire » ou « administratif », dès lors qu’il statue avant que l’irréparable (violation du domicile, assignation à résidence, incarcération) n’ait été commis.
Notre gouvernement tend ces jours-ci à franchir cette ligne, en toute innocence, en employant, le premier ministre d’abord, en 2012, le président plus récemment, les mots affreux de « chaîne pénale ». Il faut se méfier des métaphores qu’emploient les politiciens, ou plutôt scruter avec attention le langage imagé qu’ils emploient. Le plus souvent, un principe éprouvé disparaît au passage. La « chaîne pénale » évoque ce mécanisme bien huilé qui conduit du crime à la prison, où le juge n’apparaît plus que comme un figurant, et il n’est pas innocent que ce concept ait été employé afin de calmer le mécontentement des syndicats de policiers. La « chaîne pénale », au bout de laquelle on trouvera un jugement pré-rédigé par le législateur, avec son tarif obligatoire, signe rien de moins que notre répudiation de cette idée de la justice qui a fait notre grandeur, depuis avant même la République.
On dira que les circonstances l’exigent. Mais à l’époque où ces droits furent inventés, on ne traversait pas la forêt de Bondy sans escorte, et nos grands-parents ne s’en sont pas affranchis quand les anarchistes assassinèrent le président Sadi Carnot ou lancèrent des bombes en pleine séance de la chambre des députés. Les droits ne sont pas faits seulement pour les temps paisibles. L’article de la Constitution qui dispose que le juge est le gardien des libertés a été écrit par Michel Debré, qui n’était pas un mou, au milieu d’une guerre d’Algérie qui mobilisait six cent mille soldats et faisait des dizaines de morts par jour. On ne sait ce qu’il faut incriminer le plus, chez ceux qui gouvernent, du manque de sang-froid ou du manque de culture.
Le terrorisme est un mal. Le crime est un mal. Ni l’un ni l’autre ne justifient ni ces paroles, ni ces mesures désordonnées. Comme l’écrivait Jacques ­Maritain : « De toutes les tentatives d’action qui pourraient augmenter le trouble et aigrir les passions, sans avoir chance de réussir dans le pays, chacun sent l’amertume et le danger. » Nous en sommes là.

François Sureau


http://www.la-croix.com/Sire-vous-jugerez-vous-meme-2016-04-11-1100752726?&PMID=d6c105ff084145913ded2e1bfaee96f0

HERODOTE La violence dans l'histoire : survol

et mort de sottises médiatiques 
https://www.herodote.net/articles/article.php?ID=1193&get_all=1&ID_reac=9346&tout=1#9346

mercredi 7 septembre 2016

religion d'Israël, christianisme, islam

« La religion d’Israël est une histoire qui aboutit à un livre,
le christianisme est une histoire racontée dans un livre,
l’islam est un livre qui aboutit à une histoire »
Rémi Brague