Archéologie expérimentale
Le château fort de Guédelon (XXIe siècle)
Très tôt, le jeune homme originaire du Berry se passionne pour les chevaux... et pour les châteaux. Avec son frère Jacques, il se lance dans l'acquisition et la restauration de quelques ruines.
En 1979, il découvre à la télévision que le château de Saint-Fargeau est à vendre. Situé dans le pays de Puisaye (Yonne), à 180 km au sud-est de Paris, c'est un édifice du XVIIIe siècle avec une façade médiévale. Classé monument historique, il appartient à la famille de Jean d'Ormesson et l'écrivain y a passé une partie de son enfance.
Michel Guyot revend ses précédentes acquisitions, s'endette, rachète le château et va financer sa restauration en organisant de grands spectacles nocturnes à la belle saison. Le succès se confirme d'année en année.
 
Visitant les fondations de son château, l'heureux propriétaire
découvre les restes d'un ancien château fort construit par le connétable
de Louis XI Antoine de Chabannes. Et il a l'idée folle de le
reconstruire, non pas sur le château actuel mais à proximité !
Enthousiaste, il rallie à son projet des archéologues et des universitaires. Il s'agit, à travers cette forme inédite d'archéologie expérimentale de redécouvrir les techniques de construction médiévales. Le chantier sera autofinancé par les visiteurs.
Michel Guyot se lance avec une poignée d'amis. Ensemble, ils repèrent une forêt à quelques kilomètres de Saint-Fargeau, avec en son centre une belle carrière de grès. C'est là qu'il pose la première pierre le 20 juin 1997. Le chantier, à ses débuts, se réduit à presque rien. Cinq ou six personnes et une cabane. Mais dès la première année, il attire pas moins de cinq mille curieux.
Vingt ans plus tard, pari réussi. Le chantier emploie à plein temps une cinquantaine d'oeuvriers dans tous les corps de métier. Il accueille aussi pour des périodes courtes des universitaires, étudiants et artisans désireux de s'initier aux techniques de nos aïeux.
Il attire aussi 300 000 visiteurs par an, dont 60 000 enfants sous la conduite de leurs maîtres. Grands et petits se promenent librement d'un atelier à l'autre et conversent avec les oeuvriers. Ces derniers se prêtent au jeu et font acte de pédagogie. Guédelon est ainsi devenu le premier site touristique de l'Yonne. De quoi rendre jaloux bien des parcs d'attraction à la thématique plus superficielle.
Le
chantier progresse sous l'égide des archéologues et des spécialistes de
l'INRAP (Institut national de recherche en archéologie préventive).
Chacun met un point d'honneur à travailler selon les méthodes et avec
les outils du XIIIe siècle.
Il n'y a que la vitesse de construction qui change. Au temps de Philippe Auguste, un château fort d'une dimension modeste comme celui-ci pouvait être achevé en trois ans.
Mais Michel Guyot n'est pas pressé. Le château, déjà aux deux tiers construit, pourrait être achevé vers 2020 mais à cette échéance, l'entrepreneur envisage déjà de lancer d'autres projets comme par exemple un prieuré.
Le chantier est autosuffisant et, mis à part les équipements de sécurité (gants et casques), chacun fait en sorte de n'utiliser que des outils à l'ancienne, parfois même fabriqués sur place.
Le grès, employé comme pierre de maçonnerie, est débité et taillé sur place, près du château. Il faut deux heures pour tailler une pierre simple. Le calcaire, employé comme pierre de décoration pour les entourages de portes et de fenêtres, vient d'une carrière des environs.
Une forge fabrique certains outils et pièces métalliques en fer (renforts de portes). Elle dispose même de bas fourneaux pour la production du métal à partir du minerai (hématite, limonite…).
Le minerai est disponible un peu partout à la surface de la terre ou en sous-sol. On le réduit en poudre avant de procéder à la réduction du fer dans un four à étages.
Dans ce bas fourneau en terre cuite, on introduit trois pelles de charbon de bois, une coupe de minerai et de la chaux. On réalimente régulièrement le bas fourneau au fur et à mesure de la cuisson tout au long de la journée, jusqu’à introduire un total d’environ trois kilos de minerai. Le soir venu, on ouvre le fond du fourneau pour laisser s’écouler la scorie liquide. À l’intérieur, on récupère la loupe de fer.
Guédelon fabrique aussi sur place ses poteries, tuiles et canalisations en argile.
Les pièces sont mises à sécher pendant trois mois avant d'être cuites à 1000°C pour obtenir la fusion de la silice contenue dans l’argile et stabiliser celle-ci.
Le bois vient de la forêt alentour. Les troncs de chênes et châtaigniers sont tirés par des boeufs puis débités en poutres et solives, à la hache.
Au Moyen Âge, les charpentiers étaient les plus estimés des oeuvriers. Sans doute parce qu'ils maniaient des outils en fer. Également parce qu'ils s'occupaient des machines de guerre. Ils pouvaient être reçus à la table du seigneur et aussi devenir maître d’œuvre et architecte.
Le site s'offre le luxe d'un atelier de teinture (pigments végétaux) et de peinture (pigments minéraux).
Dans la teinture de la laine, on emploie l’ammoniac pour ouvrir les fibres du support et faciliter la fixation des pigments. Même chose dans la tannerie pour l’assouplissement du cuir. Cet ammoniac provenait autrefois de l’urine et chacun connaît la réflexion de l’empereur Vespasien à son fils qui lui faisait reproche de taxer les latrines publiques : « L’argent n’a pas d’odeur ! »
Au Moyen Âge, à la suite des croisades, on a importé d’Orient la pierre d’alun qui fournit une source d’ammoniac plus stable. Un peu plus tard, la découverte de mines d’alun dans les territoires pontificaux a fait la fortune du Saint Siège ainsi que de Florence, le pape ayant confié aux marchands de cette ville le monopole de la commercialisation du précieux minéral.
En 2015, l'équipe de Guédelon a construit un moulin hydraulique à l'écart du château, au bord d'un cours d'eau.
L'eau est piégée dans un bief qui se resserre et devient le coursier. Elle entraîne la roue à pales qui transmet le mouvement de rotation à l’arbre, lequel actionne une roue dentée.
Une « lanterne » transforme le mouvement horizontal en mouvement vertical.
Le grain tombe par un trou au milieu de la meule tournante. Celle-ci a un angle légèrement plus incliné que la meule dormante sur laquelle elle repose, ce qui a pour effet de piéger le grain et de l’entraîner vers la périphérie tout en l’écrasant. La vitesse de rotation est de l’ordre d’un tour par seconde.
Le « babillard », un simple bâton, permet de coordonner automatiquement la chute du grain et la rotation de la meule.
Le moulin hydraulique est tout chevillé en bois, sans même une pointe de fer, par souci d’économie. Il mout le blé avec son écorce et l'on peut aussi trouver dans la farine du sable issu de l’abrasion de la meule. Gare aux dents. À noter qu’au Moyen Âge, en fait de blé, on utilisait de l’épeautre plutôt que du froment. On utilisait aussi du méteil, mélange de seigle et d’épeautre.
Les concepteurs de Guédelon se sont inspirés pour l'architecture et
les aménagements des châteaux dits « philippiens », construits au début
du XIIIe siècle sur le modèle du Louvre et de Dourdan, deux forteresses
dues à Philippe Auguste.
Standardisés par souci d’économie et d’efficacité, ils avaient vocation à sécuriser le territoire. On en trouvait dans le Bassin parisien et au-delà tous les vingt kilomètres environ.
Le roi finançait lui-même certains de ces châteaux avant d’en confier la garde à un vassal fidèle. Le vassal obtenait le droit d’exercer la justice et de lever les impôts sur son fief. En échange de quoi, il devait fidélité à son suzerain et l’assistait à la guerre. Cette politique a permis à la dynastie capétienne de se fortifier dans la durée.
Une expérience inédite d'archéologie expérimentale
Enthousiaste, il rallie à son projet des archéologues et des universitaires. Il s'agit, à travers cette forme inédite d'archéologie expérimentale de redécouvrir les techniques de construction médiévales. Le chantier sera autofinancé par les visiteurs.
Michel Guyot se lance avec une poignée d'amis. Ensemble, ils repèrent une forêt à quelques kilomètres de Saint-Fargeau, avec en son centre une belle carrière de grès. C'est là qu'il pose la première pierre le 20 juin 1997. Le chantier, à ses débuts, se réduit à presque rien. Cinq ou six personnes et une cabane. Mais dès la première année, il attire pas moins de cinq mille curieux.
Vingt ans plus tard, pari réussi. Le chantier emploie à plein temps une cinquantaine d'oeuvriers dans tous les corps de métier. Il accueille aussi pour des périodes courtes des universitaires, étudiants et artisans désireux de s'initier aux techniques de nos aïeux.
Il attire aussi 300 000 visiteurs par an, dont 60 000 enfants sous la conduite de leurs maîtres. Grands et petits se promenent librement d'un atelier à l'autre et conversent avec les oeuvriers. Ces derniers se prêtent au jeu et font acte de pédagogie. Guédelon est ainsi devenu le premier site touristique de l'Yonne. De quoi rendre jaloux bien des parcs d'attraction à la thématique plus superficielle.
Tout comme autrefois
Il n'y a que la vitesse de construction qui change. Au temps de Philippe Auguste, un château fort d'une dimension modeste comme celui-ci pouvait être achevé en trois ans.
Mais Michel Guyot n'est pas pressé. Le château, déjà aux deux tiers construit, pourrait être achevé vers 2020 mais à cette échéance, l'entrepreneur envisage déjà de lancer d'autres projets comme par exemple un prieuré.
Le chantier est autosuffisant et, mis à part les équipements de sécurité (gants et casques), chacun fait en sorte de n'utiliser que des outils à l'ancienne, parfois même fabriqués sur place.
Le grès, employé comme pierre de maçonnerie, est débité et taillé sur place, près du château. Il faut deux heures pour tailler une pierre simple. Le calcaire, employé comme pierre de décoration pour les entourages de portes et de fenêtres, vient d'une carrière des environs.
Une forge fabrique certains outils et pièces métalliques en fer (renforts de portes). Elle dispose même de bas fourneaux pour la production du métal à partir du minerai (hématite, limonite…).
Le minerai est disponible un peu partout à la surface de la terre ou en sous-sol. On le réduit en poudre avant de procéder à la réduction du fer dans un four à étages.
Dans ce bas fourneau en terre cuite, on introduit trois pelles de charbon de bois, une coupe de minerai et de la chaux. On réalimente régulièrement le bas fourneau au fur et à mesure de la cuisson tout au long de la journée, jusqu’à introduire un total d’environ trois kilos de minerai. Le soir venu, on ouvre le fond du fourneau pour laisser s’écouler la scorie liquide. À l’intérieur, on récupère la loupe de fer.
Guédelon fabrique aussi sur place ses poteries, tuiles et canalisations en argile.
Les pièces sont mises à sécher pendant trois mois avant d'être cuites à 1000°C pour obtenir la fusion de la silice contenue dans l’argile et stabiliser celle-ci.
Le bois vient de la forêt alentour. Les troncs de chênes et châtaigniers sont tirés par des boeufs puis débités en poutres et solives, à la hache.
Au Moyen Âge, les charpentiers étaient les plus estimés des oeuvriers. Sans doute parce qu'ils maniaient des outils en fer. Également parce qu'ils s'occupaient des machines de guerre. Ils pouvaient être reçus à la table du seigneur et aussi devenir maître d’œuvre et architecte.
Le site s'offre le luxe d'un atelier de teinture (pigments végétaux) et de peinture (pigments minéraux).
Dans la teinture de la laine, on emploie l’ammoniac pour ouvrir les fibres du support et faciliter la fixation des pigments. Même chose dans la tannerie pour l’assouplissement du cuir. Cet ammoniac provenait autrefois de l’urine et chacun connaît la réflexion de l’empereur Vespasien à son fils qui lui faisait reproche de taxer les latrines publiques : « L’argent n’a pas d’odeur ! »
Au Moyen Âge, à la suite des croisades, on a importé d’Orient la pierre d’alun qui fournit une source d’ammoniac plus stable. Un peu plus tard, la découverte de mines d’alun dans les territoires pontificaux a fait la fortune du Saint Siège ainsi que de Florence, le pape ayant confié aux marchands de cette ville le monopole de la commercialisation du précieux minéral.
En 2015, l'équipe de Guédelon a construit un moulin hydraulique à l'écart du château, au bord d'un cours d'eau.
L'eau est piégée dans un bief qui se resserre et devient le coursier. Elle entraîne la roue à pales qui transmet le mouvement de rotation à l’arbre, lequel actionne une roue dentée.
Une « lanterne » transforme le mouvement horizontal en mouvement vertical.
Le grain tombe par un trou au milieu de la meule tournante. Celle-ci a un angle légèrement plus incliné que la meule dormante sur laquelle elle repose, ce qui a pour effet de piéger le grain et de l’entraîner vers la périphérie tout en l’écrasant. La vitesse de rotation est de l’ordre d’un tour par seconde.
Le « babillard », un simple bâton, permet de coordonner automatiquement la chute du grain et la rotation de la meule.
Le moulin hydraulique est tout chevillé en bois, sans même une pointe de fer, par souci d’économie. Il mout le blé avec son écorce et l'on peut aussi trouver dans la farine du sable issu de l’abrasion de la meule. Gare aux dents. À noter qu’au Moyen Âge, en fait de blé, on utilisait de l’épeautre plutôt que du froment. On utilisait aussi du méteil, mélange de seigle et d’épeautre.
Le modèle philippien
Standardisés par souci d’économie et d’efficacité, ils avaient vocation à sécuriser le territoire. On en trouvait dans le Bassin parisien et au-delà tous les vingt kilomètres environ.
Le roi finançait lui-même certains de ces châteaux avant d’en confier la garde à un vassal fidèle. Le vassal obtenait le droit d’exercer la justice et de lever les impôts sur son fief. En échange de quoi, il devait fidélité à son suzerain et l’assistait à la guerre. Cette politique a permis à la dynastie capétienne de se fortifier dans la durée.
André Larané
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