Émile Coué (1857 - 1926)
Qui sait en effet que Coué recevait le monde entier chez lui, à Nancy, et qu’il a sillonné les États-Unis, mais aussi l’Europe pour expliquer sa méthode au début du XXème siècle ? 90 ans après sa mort, il est temps de réhabiliter cet homme encore largement ignoré en France.
Caroline Charron, auteur de « Monsieur Coué & Moi » (éd. Complicités)
Enfant unique, élève studieux
Appliqué, vif et loyal, Émile sera un lycéen motivé, attentif et discipliné qui, pendant la guerre franco-prussienne de 1870 et l’occupation prussienne de Troyes, s’instruira seul pendant trois ans – entre 13 et 16 ans-, avec les livres qu’il arrive à se procurer. Une habitude qu’il gardera toute sa vie.
Le jeune Coué s’enthousiasme pour la révolution industrielle qui s’amorce et caresse le rêve de devenir chimiste. Studieux, il décroche le bac de philosophie et, six mois plus tard, celui de sciences !
Pour autant, le père d’Émile Coué n’embrasse pas le projet de son fils car son salaire n’est pas suffisant pour lui payer de longues études. Mais pour l’heure, Émile doit s’acquitter de son service militaire, ce qui lui donne aussi le temps de réfléchir, notamment à la place de commis que lui a proposé un pharmacien de Troyes avant son départ.
Il sait que cette proposition plaît à son père et qu’après trois ans d’apprentissage en officine, il pourrait passer son diplôme de pharmacien. La décision est vite prise : il deviendra apprenti-apothicaire, apprendra à préparer potions et pilules en dosant des matières premières jusqu’alors inconnues de lui. Finalement, il n’est pas si loin de la chimie !
L’apprentissage de la pharmacie
Travailleur plein d’ardeur, le jeune homme prend alors en charge leur travail au grand plaisir de son patron qui lui offre son premier salaire. Toujours souriant, prêt à rendre service et à l’écoute, Coué plaît autant à son patron qu’aux clients.
À l’issue de son apprentissage, en 1880, il intègre l’École supérieure de pharmacie de Paris, près du jardin du Luxembourg. Pour financer ses études, il est également surveillant au collège Sainte-Barbe qui lui fournit le gîte et le couvert.
Il passe brillamment le concours de l’Internat en 1881 et intègre le service du professeur Granchet à l’hôpital Necker. Moins d’un an plus tard, il obtient son diplôme de pharmacien de 1ère classe avec les félicitations du jury puisqu’il arrive deuxième de sa promotion.
Ni son père ni lui n’ont les moyens d’acheter une pharmacie mais la chance lui sourit : un pharmacien de Troyes qui a vu le travail acharné, l’humeur toujours égale et les relations que le jeune homme est arrivé à tissé avec la clientèle de la pharmacie Delaunay lui propose de devenir son associé, sans débourser un centime ! Cette proposition inespérée le propulse à 26 ans à la tête d’une pharmacie d’une petite ville dopée par l’industrie de la bonneterie.
Un poste d’observation
Coué ne s’apitoie jamais mais il encourage chacun – bourgeois comme ouvrière - dans le chemin de sa convalescence, le persuade de sa guérison prochaine avec fermeté et bienveillance. Autant d’attitudes qui formeront les fondements de sa méthode.
Sa réputation s’étend rapidement grâce au bouche-à-oreille alors qu’il prend conscience de l’importance des paroles dans la guérison des malades. Si la guérison va parfois au-delà de ce que le médicament peut faire, est-ce à dire que ses paroles peuvent avoir un effet curatif ?
Coué n’en est qu’au début de ses découvertes lorsqu’une rencontre va bouleverser sa vie et son destin. Cette rencontre, c’est celle de Lucie Lemoine, venue rendre visite à une tante à Troyes et qui tombe amoureuse du jeune pharmacien si sympathique.
Lucie est la fille d’un célèbre horticulteur nancéen, conseiller municipal respecté qui va ouvrir à Coué les portes de la bourgeoisie cultivée de Nancy. Le coup de foudre est réciproque entre les jeunes gens qui se marient à Nancy, le 30 août 1884. Lucile sera un appui important pour Coué, elle va l’encourager et l’épaulera dans son travail tout au long de sa vie avec efficacité.
La suggestion et l’hypnose
Grâce à ce placebo, Coué met en évidence le pouvoir de la pensée et de la suggestion dans le processus de guérison. On lui conseille alors de lire l’ouvrage du professeur Bernheim qui vient d’être publié à Nancy : « De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique » (qui sera traduit par Sigmund Freud quelques années plus tard, après qu’il soit venu lui rendre visite à Nancy en 1889).
Coué le lit avec passion et y apprend l’existence du modeste docteur Liébault, fils de paysan, qui traite ses patients grâce à l’hypnose. Lucie Coué lui a déjà rendu visite et insiste pour que son époux le rencontre. Ce sera chose faite fin 1885.
Le pharmacien de 28 ans s’enthousiasme devant ce vieux médecin qui soigne gratuitement les plus démunis d’une manière tout à fait nouvelle qui résonne avec ses propres observations.
De retour à Troyes, Coué commence à appliquer ce qu’il a vu chez Liébault en hypnotisant certains clients pour renforcer l’effet de leur traitement. Le succès est immédiat et les séances deviennent collectives pour encore plus d’impact. Ce détour de Coué par l’hypnose durera près de 20 ans avant qu’il ne s’en éloigne totalement, constatant qu’il n’est pas nécessaire de plonger les malades dans l’hypnose pour que la suggestion fonctionne.
Pour autant, à la fin des années 1880, la France est à la pointe en matière d’hypnose, notamment grâce à Bernheim qui l’utilise à l’hôpital de Nancy sur tout type de pathologie et Charcot à la Salpêtrière, à Paris, qui la réserve aux « hystériques ».
Les deux visions s’affrontent, parfois violemment mais n’affectent pas Coué qui cherche à étoffer ses connaissances et se tourne vers les États-Unis où les « mind cure » connaissent un certain succès. Pour en apprendre davantage sur ces disciplines créées à la suite de la venue en Amérique, en 1838, d’un disciple français de Mesmer, et qui font appel à l’imagination et à la suggestion, Coué commence par apprendre l’anglais, ce qui lui sera très utile par la suite.
L’installation à Nancy
Il continue ses recherches sur la suggestion et l’hypnose qu’il pratique régulièrement avec ses clients mais il sait que c’est à Nancy que les choses se passent. Il rêve de s’y installer pour se consacrer à l’élaboration de sa méthode.
En 1896, il met sa pharmacie en gérance et emménage donc dans la capitale lorraine où, à 39 ans, éternel étudiant, il s’inscrit à la faculté de médecine.
Parallèlement, il suit un cours par correspondance américain qui, en 20 leçons, fait le tour de différentes techniques : magnétisme, hypnose, mesmérisme, thérapie suggestive, etc. L’ exil nancéen fait long feu.
Mais cinq ans plus tard, en 1901, le voilà contraint de retourner à Troyes pour sauver sa pharmacie désertée par les clients et mal tenue par son gérant, car il ne peut se passer des revenus de l’officine pour vivre.
Tant qu’à retourner à la case départ, Coué profite de sa notoriété à Troyes pour présenter le résultat de ses recherches. Il tient sa première conférence à la salle des fêtes de la ville en septembre 1903. Il y aborde les notions de suggestion et surtout d’autosuggestion « c’est-à-dire l’implantation d’une idée en soi-même par soi-même » explique-t-il. Après ce premier succès, d’autres « causeries », comme il les appelle, suivront et lui permettront d’affiner sa thèse.
Ainsi, en 1907, il expose ce qui constitue les fondements de sa méthode :
- quand l’imagination et la volonté sont en lutte, c’est toujours l’imagination qui l’emporte.
-quand l’imagination et la volonté s’accordent, l’une ne s’ajoute pas à l’autre mais se multiplie.
-l’imagination peut être dirigée.
Cela fait 20 ans que Coué observe et expérimente, désormais il note tous les résultats obtenus. En ligne de mire pour cet altruiste qui ne fera jamais payer ses services : soulager la souffrance et apporter le bonheur aux hommes. Ses efforts paient et sa reconnaissance s’élargit. Il se rend régulièrement à Paris à la clinique de l’école de psychologie du docteur Bérillon, disciple de Charcot, pour collaborer aux traitements.
Enfin, en 1910, quatorze ans après sa première tentative, il met son rêve à exécution : il vend sa pharmacie et se réinstalle à Nancy pour se consacrer entièrement à sa méthode. Il a alors 53 ans.
La maison du bonheur
En 1912, il tourne définitivement le dos à l’hypnose et, l’année suivante, sa méthode et la formule clé qui l’accompagne sont au point.
À Nancy, devant une salle comble, il professe : « … vous devez lui dire qu’il porte en lui-même l’instrument de sa guérison, que vous n’êtes pour ainsi dire qu’un professeur qui lui apprend à se servir de cet instrument et qu’il faut qu’il vous aide dans votre tâche. Donc le matin, avant son lever, le soir, aussitôt qu’il se mettra au lit, il devra fermer les yeux et répéter vingt fois de suite cette phrase : tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. »
Une phrase simple, qui englobe les souffrances physiques comme psychologiques, et qui sera répétée par des millions de personnes dans toutes les langues. Cette phrase est d’ailleurs imprimée dans le premier numéro du Bulletin de la Société lorraine de psychologie appliquée créée par Coué début 1913, année où une nouvelle rencontre va lui permettre d’étendre son discours bien au-delà de la Lorraine.
Alors que les professeurs de la faculté de Nancy l’ignorent, voire le méprisent, Coué est flatté de recevoir la visite d’un futur professeur de philosophie, Charles Beaudouin. Ce dernier s’intéresse à sa méthode et veut en faire l’objet de sa thèse.
La guerre n’arrête pas Coué, au contraire. Trop vieux pour être mobilisé, il participe à sa façon et se démène pour apporter soutien et réconfort aux blessés et à leur famille, lève des fonds grâce à ses conférences, dont une en Suisse organisée par Beaudouin en 1916, devant une salle d’universitaires enthousiastes. Pendant ce temps, Beaudouin travaille à sa thèse basée sur les travaux de Coué qu’il conceptualise, notamment avec deux lois fondamentales :
- La loi de l’effort converti : plus l’esprit fait d’effort de volonté pour supprimer un problème (phobie, insomnie, bégaiement, trou de mémoire, etc.) plus celui-ci est renforcé. Il convient de remplacer l’acte de volonté par la certitude. Exemple : remplacer « je veux arrêter de bégayer » par « je ne bégaie plus ».
- La loi de la finalité subconsciente : lorsque la solution d’un problème est supposée, il ne reste plus au subconscient qu’à trouver la façon de la concevoir. Grâce à la suggestion puis l’autosuggestion, le subconscient déclenche le processus physiologique nécessaire à la guérison.
La gloire internationale
Dès la fin de la guerre, le pharmacien sillonne la France, l’Europe (Angleterre, Italie, Suisse, Belgique, Allemagne, Suède, etc.), se rend en Russie puis aux États-Unis pour expliquer sa méthode et en montrer les effets grâce à des séances de guérison à guichet fermé.
Sans distinction, Coué tente de guérir le futur roi George VI de son bégaiement, vient à bout des rhumatismes persistants du roi Albert 1er de Belgique ou libère une ouvrière de son asthme.
Dans ses séances collectives, les plus humbles côtoient les plus fortunées ; tous reçoivent la même attention du brave homme. Infatigable, il voyage de nuit pour perdre moins de temps et, à chaque retour chez lui, il enchaîne les séances collectives (jusqu’à 5 par jour !) qui attirent le monde entier, à tel point qu’il donne aussi des séances en anglais pour les étrangers.
Son salon étant devenu trop petit, il fait construire une salle capable d’accueillir une cinquantaine de personne, au fond de son jardin. On estime qu’il reçoit alors à Nancy entre 15 à 20 000 personnes par an !
Les Anglais et les Américains sont nombreux à faire le « pèlerinage » et organisent les tournées du pharmacien dans leur pays. Ainsi, en 1923, à 66 ans, Coué débarque pour la première fois aux États-Unis. Son arrivée, annoncée en Une du New-York Times, déchaîne les passions. Il enchaîne pendant un mois les conférences et les séances de guérison dans une vingtaine de villes. À chaque fois, il fait salle comble et l’on frôle parfois l’hystérie au point de parler de « Couémania ».
Lui affirme qu’il « ne fait rien ». Il dit même « je n’impose rien à personne, j’aide simplement les gens à faire ce qu’ils désireraient faire, mais qu’ils se croient incapables de faire. » Cet optimiste self made man correspond bien à la culture américaine et, devant ce succès, il revient un an plus tard pour deux mois.
Il multiplie les séances collectives (y compris dans les prisons) pour « planter le germe de la guérison », pour éduquer. Car Coué est persuadé qu’il est important de comprendre comment fonctionne sa méthode, de prendre conscience de la puissance de l’imagination pour l’apprivoiser et se l’approprier. « L’inconscient fera ensuite ce qui est nécessaire pour obtenir ce qu’il est possible d’obtenir », dit-il.
Lors de démonstrations spectaculaires, il fait se lever des paralytiques de leur chaise ou détend des doigts perclus d’arthrose par exemple pour montrer à chacun que leur guérison est possible.
Grâce au prix d’entrée modique à ses conférences mais aussi à la vente de son livre « La maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente », sorti en 1921, maintes fois réédité et traduit dans toutes les langues, Coué finance des Instituts à Paris, New-York, mais aussi dans plusieurs villes d’Europe où les malades sont reçus gratuitement. Lorsqu’il reçoit un don, il le reverse systématiquement à une œuvre caritative.
Ainsi, il contribue largement à la reconstruction de la cathédrale de Reims endommagée pendant la guerre. Coué ne se ménage pas et son épouse l’assiste efficacement. Quand il ne peut répondre lui-même aux nombreuses lettres qu’on lui adresse, elle prend le relais et accueille les visiteurs en son absence. Sans cesse en voyage ou au service des autres, Coué ne prend pas le temps de s’occuper de lui ni de soigner sérieusement une pneumonie qui l’emporte, chez lui, le 2 juillet 1926.
Le déclin
Coué n’était pas médecin mais pharmacien et, à ce titre, il fut souvent discrédité par des praticiens qui voyaient en sa méthode une menace. Ils eurent tôt fait de ridiculiser Coué qui prétendait apprendre à leurs patients à se soigner eux-mêmes avec une formule simpliste et qui plus est sans effort !
À l’inverse de Freud, son contemporain, qui fait remonter le négatif de l’inconscient, Coué le nourrit de paroles positives.
Il n’a laissé au demeurant que très peu d’écrits. De son vivant et encore plus après sa mort, Coué avait certes d’enthousiastes partisans mais aussi de nombreux détracteurs qui finirent par l’emporter d’autant que Coué, sans enfant, n’avait pas d’héritiers directs et ne s’était pas intéressé à sa succession.
Peu attaché à la défense de ses intérêts, il ne s’est jamais préoccupé de faire taire les critiques, tout occupé à faire le bien autour de lui. Les guerres de chapelles, la mauvaise utilisation de sa méthode, parfois à des fins lucratives (ce qui va à l’encontre même des principes de Coué) eurent finalement raison du travail titanesque effectué par le petit homme.
Certains notent toutefois que la méthode Coué et l’école de Nancy ont posé les bases de la psychologie moderne et que la méthode Coué elle-même a largement été utilisée par la suite – le plus souvent sans la mentionner – dans nombre de méthodes de thérapies comportementales ou de développement personnel telles que la PNL ou la sophrologie par exemple.
On comprend mieux aujourd’hui l’interaction entre le corps et l’esprit et comment l’imagination peut finir par transformer le cerveau ; on demande au malade de prendre activement part à sa guérison et on sait que si son esprit est concentré sur une chose, il peut oublier sa douleur… Autant d’éléments contenus dans la méthode Coué et que quelques praticiens, tant en France qu’à l’étranger, utilisent à nouveau et souhaitent réhabiliter.
https://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=2420&ID_dossier=135
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire