lundi 30 décembre 2013

For the whom it may concern


Et pour les dames idem ! C'est ça, l'égalité des sexes.

Informatique



Bon, j'admets, j'ai fait facile, mais c'est la fin de l'année quand même. Si on ne peut pas avoir une grosse fatigue...

dimanche 29 décembre 2013

παν ακεια

Du grec παν ακος "secourable pour tout" (comme nous autres, carabins, disons parfois "c'est bon pour ce que vous avez").

Une panacée est un moyen de tout guérir, ou au moins de tout traiter.

Une panacée est par définition universelle; par conséquent l'expression "panacée universelle" est un pléonasme.
Tout comme "M. U Thant" (un des prédécesseurs de Ban Ki Moon, et le successeur de Dag Hammarskjold à la tête des Nations Unies) ; U en birman signifie Monsieur; M. U Thant voudrait donc dire M. M. Thant. De même M; Abe-san signifie M. M. Abe, car le suffixe "-san" signifie Monsieur.

Qu'on se le dise: une panacée est universelle, inutile d'en rajouter, sauf pour les ignares, dont vous n'êtes certainement pas (ou alors je me suis vachement trompé).

Ceci dit les temps anciens ont inventé des montagnes de médicaments, tous plus efficaces les uns que les autres, mais qui n'ont amélioré la santé ni prolongé la vie de qui que ce soit, ou alors ça se saurait.

Voyez par exemple les termes : thériaque, grains d'ellébore, élixir du Suédois, élixir parégorique, Klosterfrau Melissengeist...

Je vous recommande cependant 'L'élixir du révérend père Gaucher"  dans la version d'Alphonse Daudet. Plaisir garanti (et parfois guérison en sus, sait-on jamais ?). En réalité, celui que fabriquent les prémontrés d'aujourd'hui est assez écoeurant ; mieux vaut en rester à l'histoire.

La voici, in extenso, comme disent les ecclésiastiques et les juristes. De quoi embaumer votre nouvel an.





L’ÉLIXIR DU RÉVÉREND PÈRE GAUCHER.

— Buvez ceci, mon voisin ; vous m’en direz des nouvelles.

Et, goutte à goutte, avec le soin minutieux d’un lapidaire comptant des perles, le curé de Graveson me versa deux doigts d’une liqueur verte, dorée, chaude, étincelante, exquise… J’en eus l’estomac tout ensoleillé.

— C’est l’élixir du Père Gaucher, la joie et la santé de notre Provence, me fit le brave homme d’un air triomphant ; on le fabrique au couvent des Prémontrés, à deux lieues de votre moulin… N’est-ce pas que cela vaut bien toutes les chartreuses du monde ?… Et si vous saviez comme elle est amusante, l’histoire de cet élixir ! Écoutez plutôt…

Alors, tout naïvement, sans y entendre malice, dans cette salle à manger de presbytère, si candide et si calme avec son Chemin de la croix en petits tableaux et ses jolis rideaux clairs empesés comme des surplis, l’abbé me commença une historiette légèrement sceptique et irrévérencieuse, à la façon d’un conte d’Érasme ou de d’Assoucy :

— Il y a vingt ans, les Prémontrés, ou plutôt les Pères blancs, comme les appellent nos Provençaux, étaient tombés dans une grande misère. Si vous aviez vu leur maison de ce temps-là, elle vous aurait fait peine.

Le grand mur, la tour Pacôme, s’en allaient en morceaux. Tout autour du cloître rempli d’herbes, les colonnettes se fendaient, les saints de pierre croulaient dans leurs niches. Pas un vitrail debout, pas une porte qui tînt. Dans les préaux, dans les chapelles, le vent du Rhône soufflait comme en Camargue, éteignant les cierges, cassant le plomb des vitrages, chassant l’eau des bénitiers. Mais le plus triste de tout, c’était le clocher du couvent, silencieux comme un pigeonnier vide ; et les Pères, faute d’argent pour s’acheter une cloche, obligés de sonner matines avec des cliquettes de bois d’amandier !…

Pauvres Pères blancs ! Je les vois encore, à la procession de la Fête-Dieu, défilant tristement dans leurs capes rapiécées, pâles, maigres, nourris de citres et de pastèques, et derrière eux monseigneur l’abbé, qui venait la tête basse, tout honteux de montrer au soleil sa crosse dédorée et sa mitre de laine blanche mangée des vers. Les dames de la confrérie en pleuraient de pitié dans les rangs, et les gros porte-bannière ricanaient entre eux tout bas en se montrant les pauvres moines :

— Les étourneaux vont maigres quand ils vont en troupe.

Le fait est que les infortunés Pères blancs en étaient arrivés eux-mêmes à se demander s’ils ne feraient pas mieux de prendre leur vol à travers le monde et de chercher pâture chacun de son côté.

Or, un jour que cette grave question se débattait dans le chapitre, on vint annoncer au prieur que le frère Gaucher demandait à être entendu au conseil… Vous saurez pour votre gouverne que ce frère Gaucher était le bouvier du couvent ; c’est-à-dire qu’il passait ses journées à rouler d’arcade en arcade dans le cloître, en poussant devant lui deux vaches étiques qui cherchaient l’herbe aux fentes des pavés. Nourri jusqu’à douze ans par une vieille folle du pays des Baux, qu’on appelait tante Bégon, recueilli depuis chez les moines, le malheureux bouvier n’avait jamais pu rien apprendre qu’à conduire ses bêtes et à réciter son Pater noster ; encore le disait-il en provençal, car il avait la cervelle dure et l’esprit comme une dague de plomb. Fervent chrétien du reste, quoique un peu visionnaire, à l’aise sous le cilice et se donnant la discipline avec une conviction robuste, et des bras !…

Quand on le vit entrer dans la salle du chapitre, simple et balourd, saluant l’assemblée la jambe en arrière, prieur, chanoines, argentier, tout le monde se mit à rire. C’était toujours l’effet que produisait, quand elle arrivait quelque part, cette bonne face grisonnante avec sa barbe de chèvre et ses yeux un peu fous ; aussi le frère Gaucher ne s’en émut pas.

— Mes révérends, fit-il d’un ton bonasse en tortillant son chapelet de noyaux d’olives, on a bien raison de dire que ce sont les tonneaux vides qui chantent le mieux. Figurez-vous qu’à force de creuser ma pauvre tête déjà si creuse, je crois que j’ai trouvé le moyen de nous tirer tous de peine.

« Voici comment. Vous savez bien tante Bégon, cette brave femme qui me gardait quand j’étais petit. (Dieu ait son âme, la vieille coquine ! elle chantait de bien vilaines chansons après boire.) Je vous dirai donc, mes révérends pères, que tante Bégon, de son vivant, se connaissait aux herbes de montagnes autant et mieux qu’un vieux merle de Corse. Voire, elle avait composé sur la fin de ses jours un élixir incomparable en mélangeant cinq ou six espèces de simples que nous allions cueillir ensemble dans les Alpilles. Il y a belles années de cela : mais je pense qu’avec l’aide de saint Augustin et la permission de notre père abbé, je pourrais — en cherchant bien — retrouver la composition de ce mystérieux élixir. Nous n’aurions plus alors qu’à le mettre en bouteilles, et à le vendre un peu cher, ce qui permettrait à la communauté de s’enrichir doucettement, comme ont fait nos frères de la Trappe et de la Grande…

Il n’eut pas le temps de finir. Le prieur s’était levé pour lui sauter au cou. Les chanoines lui prenaient les mains. L’argentier, encore plus ému que tous les autres, lui baisait avec respect le bord tout effrangé de sa cucule… Puis chacun revint à sa chaire pour délibérer ; et, séance tenante, le chapitre décida qu’on confierait les vaches au frère Thrasybule, pour que le frère Gaucher pût se donner tout entier à la confection de son élixir.

Comment le bon frère parvint-il à retrouver la recette de tante Bégon ? au prix de quels efforts ? au prix de quelles veilles ? L’histoire ne le dit pas. Seulement, ce qui est sûr, c’est qu’au bout de six mois, l’élixir des Pères blancs était déjà très populaire. Dans tout le Comtat, dans tout le pays d’Arles, pas un mas, pas une grange qui n’eut au fond de sa dépense, entre les bouteilles de vin cuit et les jarres d’olives à la picholine, un petit flacon de terre brune cacheté aux armes de Provence, avec un moine en extase sur une étiquette d’argent. Grâce à la vogue de son élixir, la maison des Prémontrés s’enrichit très rapidement. On releva la tour Pacôme. Le prieur eut une mitre neuve, l’église de jolis vitraux ouvragés ; et, dans la fine dentelle du clocher, toute une compagnie de cloches et de clochettes vint s’abattre, un beau matin de Pâques, tintant et carillonnant à la grande volée.

Quant au frère Gaucher, ce pauvre frère lai dont les rusticités égayaient tant le chapitre, il n’en fut plus question dans le couvent. On ne connut plus désormais que le Révérend Père Gaucher, homme de tête et de grand savoir, qui vivait complètement isolé des occupations si menues et si multiples du cloître, et s’enfermait tout le jour dans sa distillerie, pendant que trente moines battaient la montagne pour lui chercher des herbes odorantes… Cette distillerie, où personne, pas même le prieur, n’avait le droit de pénétrer, était une ancienne chapelle abandonnée, tout au bout du jardin des chanoines. La simplicité des bons pères en avait fait quelque chose de mystérieux et de formidable ; et si, par aventure, un moinillon hardi et curieux, s’accrochant aux vignes grimpantes, arrivait jusqu’à la rosace du portail, il en dégringolait bien vite, effaré d’avoir vu le Père Gaucher, avec sa barbe de nécroman, penché sur ses fourneaux, le pèse-liqueur à la main ; puis, tout autour, des cornues de grès rose, des alambics gigantesques, des serpentins de cristal, tout un encombrement bizarre qui flamboyait ensorcelé dans la lueur rouge des vitraux…

Au jour tombant, quand sonnait le dernier Angélus, la porte de ce lieu de mystère s’ouvrait discrètement, et le révérend se rendait à l’église pour l’office du soir. Il fallait voir quel accueil quand il traversait le monastère ! Les frères faisaient la haie sur son passage. On disait :

— Chut !… il a le secret !…

L’argentier le suivait et lui parlait la tête basse… Au milieu de ces adulations, le père s’en allait en s’épongeant le front, son tricorne aux larges bords posé en arrière comme une auréole, regardant autour de lui d’un air de complaisance les grandes cours plantées d’orangers, les toits bleus où tournaient des girouettes neuves, et, dans le cloître éclatant de blancheur, — entre les colonnettes élégantes et fleuries, — les chanoines habillés de frais qui défilaient deux par deux avec des mines reposées.

— C’est à moi qu’ils doivent tout cela ! se disait le révérend en lui-même ; et chaque fois cette pensée lui faisait monter des bouffées d’orgueil.

Le pauvre homme en fut bien puni. Vous allez voir…

Figurez-vous qu’un soir, pendant l’office, il arriva à l’église dans une agitation extraordinaire : rouge, essoufflé, le capuchon de travers, et si troublé qu’en prenant de l’eau bénite il y trempa ses manches jusqu’au coude. On crut d’abord que c’était l’émotion d’arriver en retard ; mais quand on le vit faire de grandes révérences à l’orgue et aux tribunes au lieu de saluer le maître-autel, traverser l’église en coup de vent, errer dans le chœur pendant cinq minutes pour chercher sa stalle, puis une fois assis, s’incliner de droite et de gauche en souriant d’un air béat, un murmure d’étonnement courut dans les trois nefs. On chuchotait de bréviaire à bréviaire :

— Qu’a donc notre Père Gaucher ?… Qu’a donc notre Père Gaucher ?

Par deux fois le prieur, impatienté, fit tomber sa crosse sur les dalles pour commander le silence… Là-bas, au fond du chœur, les psaumes allaient toujours ; mais les répons manquaient d’entrain…

Tout à coup, au beau milieu de l’Ave verum, voilà mon Père Gaucher qui se renverse dans sa stalle et entonne d’une voix éclatante :

Dans Paris, il y a un Père blanc,
Patatin, patatan, tarabin, taraban…

Consternation générale. Tout le monde se lève. On crie :

— Emportez-le… il est possédé !

Les chanoines se signent. La crosse de monseigneur se démène… Mais le Père Gaucher ne voit rien, n’écoute rien ; et deux moines vigoureux sont obligés de l’entraîner par la petite porte du chœur, se débattant comme un exorcisé et continuant de plus belle ses patatin et ses taraban.

Le lendemain, au petit jour, le malheureux était à genoux dans l’oratoire du prieur, et faisait sa coulpe avec un ruisseau de larmes :

— C’est l’élixir, Monseigneur, c’est l’élixir qui m’a surpris, disait-il en se frappant la poitrine. Et de le voir si marri, si repentant, le bon prieur en était tout ému lui-même.

— Allons, allons, Père Gaucher, calmez-vous, tout cela séchera comme la rosée au soleil… Après tout, le scandale n’a pas été aussi grand que vous pensez. Il y a bien eu la chanson qui était un peu… hum ! hum !… Enfin il faut espérer que les novices ne l’auront pas entendue… À présent, voyons, dites-moi bien comment la chose vous est arrivée… C’est en essayant l’élixir, n’est-ce pas ? Vous aurez eu la main trop lourde… Oui, oui, je comprends… C’est comme le frère Schwartz, l’inventeur de la poudre : vous avez été victime de votre invention… Et dites-moi, mon brave ami, est-il bien nécessaire que vous l’essayiez sur vous-même, ce terrible élixir ?

— Malheureusement, oui, Monseigneur… l’éprouvette me donne bien la force et le degré de l’alcool ; mais pour le fini, le velouté, je ne me fie guère qu’à ma langue…

— Ah ! très bien… Mais écoutez encore un peu que je vous dise… Quand vous goûtez ainsi l’élixir par nécessité, est-ce que cela vous semble bon ? Y prenez-vous du plaisir ?…

— Hélas ! oui, Monseigneur, fit le malheureux Père en devenant tout rouge… Voilà deux soirs que je lui trouve un bouquet, un arôme !… C’est pour sûr le démon qui m’a joué ce vilain tour… Aussi je suis bien décidé désormais à ne plus me servir que de l’éprouvette. Tant pis si la liqueur n’est pas assez fine, si elle ne fait pas assez la perle…

— Gardez-vous-en bien, interrompit le prieur avec vivacité. Il ne faut pas s’exposer à mécontenter la clientèle… Tout ce que vous avez à faire maintenant que vous voilà prévenu, c’est de vous tenir sur vos gardes… Voyons, qu’est-ce qu’il vous faut pour vous rendre compte ?… Quinze ou vingt gouttes, n’est-ce pas ?… mettons vingt gouttes… Le diable sera bien fin s’il vous attrape avec vingt gouttes… D’ailleurs, pour prévenir tout accident, je vous dispense dorénavant de venir à l’église. Vous direz l’office du soir dans la distillerie… Et maintenant, allez en paix, mon Révérend, et surtout… comptez bien vos gouttes.

Hélas ! le pauvre Révérend eut beau compter ses gouttes… le démon le tenait, et ne le lâcha plus.

C’est la distillerie qui entendit de singuliers offices !

Le jour, encore, tout allait bien. Le Père était assez calme : il préparait ses réchauds, ses alambics, triait soigneusement ses herbes, toutes herbes de Provence, fines, grises, dentelées, brûlées de parfums et de soleil… Mais, le soir, quand les simples étaient infusés et que l’élixir tiédissait dans de grandes bassines de cuivre rouge, le martyre du pauvre homme commençait.

— … Dix-sept… dix-huit… dix-neuf… vingt !…

Les gouttes tombaient du chalumeau dans le gobelet de vermeil. Ces vingt-là, le père les avalait d’un trait, presque sans plaisir. Il n’y avait que la vingt et unième qui lui faisait envie. Oh ! cette vingt et unième goutte !… Alors, pour échapper à la tentation, il allait s’agenouiller tout au bout du laboratoire et s’abîmait dans ses patenôtres. Mais de la liqueur encore chaude il montait une petite fumée toute chargée d’aromates, qui venait rôder autour de lui et, bon gré mal gré, le ramenait vers les bassines… La liqueur était d’un beau vert doré… Penché dessus, les narines ouvertes, le père la remuait tout doucement avec son chalumeau, et dans les petites paillettes étincelantes que roulait le flot d’émeraude, il lui semblait voir les yeux de tante Bégon qui riaient et pétillaient en le regardant…

— Allons ! encore une goutte !

Et de goutte en goutte, l’infortuné finissait par avoir son gobelet plein jusqu’au bord. Alors, à bout de forces, il se laissait tomber dans un grand fauteuil, et, le corps abandonné, la paupière à demi close, il dégustait son péché par petits coups, en se disant tout bas avec un remords délicieux :

— Ah ! je me damne… je me damne…

Le plus terrible, c’est qu’au fond de cet élixir diabolique, il retrouvait, par je ne sais quel sortilège, toutes les vilaines chansons de tante Bégon : Ce sont trois petites commères, qui parlent de faire un banquet… ou : Bergerette de maître André s’en va-t-au bois seulette… et toujours la fameuse des Pères blancs :Patatin patatan.

Pensez quelle confusion le lendemain, quand ses voisins de cellule lui faisaient d’un air malin :

— Eh ! eh ! Père Gaucher, vous aviez des cigales en tête, hier soir en vous couchant.

Alors c’étaient des larmes, des désespoirs, et le jeûne, et le cilice, et la discipline. Mais rien ne pouvait contre le démon de l’élixir ; et tous les soirs, à la même heure, la possession recommençait.

Pendant ce temps, les commandes pleuvaient à l’abbaye que c’était une bénédiction. Il en venait de Nîmes, d’Aix, d’Avignon, de Marseille… De jour en jour le couvent prenait un petit air de manufacture. Il y avait des frères emballeurs, des frères étiqueteurs, d’autres pour les écritures, d’autres pour le camionnage ; le service de Dieu y perdait bien par-ci par-là quelques coups de cloches ; mais les pauvres gens du pays n’y perdaient rien, je vous en réponds…

Et donc, un beau dimanche matin, pendant que l’argentier lisait en plein chapitre son inventaire de fin d’année et que les bons chanoines l’écoutaient les yeux brillants et le sourire aux lèvres, voilà le Père Gaucher qui se précipite au milieu de la conférence en criant :

— C’est fini… Je n’en fais plus… Rendez-moi mes vaches.

— Qu’est-ce qu’il y a donc, Père Gaucher ? demanda le prieur, qui se doutait bien un peu de ce qu’il y avait.

— Ce qu’il y a, Monseigneur ?… Il y a que je suis en train de me préparer une belle éternité de flammes et de coups de fourche… Il y a que je bois, que je bois comme un misérable…

— Mais je vous avais dit de compter vos gouttes.

— Ah ! bien oui, compter mes gouttes ! c’est par gobelets qu’il faudrait compter maintenant… Oui, mes Révérends, j’en suis là. Trois fioles par soirée… Vous comprenez bien que cela ne peut pas durer… Aussi, faites faire l’élixir par qui vous voudrez… Que le feu de Dieu me brûle si je m’en mêle encore !

C’est le chapitre qui ne riait plus.

— Mais, malheureux, vous nous ruinez ! criait l’argentier en agitant son grand-livre.

— Préférez-vous que je me damne ?

Pour lors, le prieur se leva.

— Mes Révérends, dit-il en étendant sa belle main blanche où luisait l’anneau pastoral, il y a moyen de tout arranger… C’est le soir, n’est-ce pas, mon cher fils, que le démon vous tente ?…

— Oui, monsieur le prieur, régulièrement tous les soirs… Aussi, maintenant, quand je vois arriver la nuit, j’en ai, sauf votre respect, les sueurs qui me prennent, comme l’âne de Capitou quand il voyait venir le bât.

— Eh bien ! rassurez-vous… Dorénavant, tous les soirs, à l’office, nous réciterons à votre intention l’oraison de saint Augustin, à laquelle l’indulgence plénière est attachée… Avec cela, quoi qu’il arrive, vous êtes à couvert… C’est l’absolution pendant le pêché.

— Oh bien ! alors, merci, monsieur le prieur !

Et, sans en demander davantage, le Père Gaucher retourna à ses alambics, aussi léger qu’une alouette.

Effectivement, à partir de ce moment-là, tous les soirs, à la fin des complies, l’officiant ne manquait jamais de dire :

— Prions pour notre pauvre Père Gaucher, qui sacrifie son âme aux intérêts de la communauté… Oremus Domine…

Et pendant que sur toutes ces capuches blanches, prosternées dans l’ombre des nefs, l’oraison courait en frémissant comme une petite bise sur la neige, là-bas, tout au bout du couvent, derrière le vitrage enflammé de la distillerie, on entendait le père Gaucher qui chantait à tue-tête :

Dans Paris il y a un Père blanc,
Patatin, patatan, taraban, tarabin ;
Dans Paris il y a un Père blanc
Qui fait danser des moinettes,
Trin, trin, trin, dans un jardin ;
Qui fait danser des…

… Ici le bon curé s’arrêta plein d’épouvante :



— Miséricorde ! si mes paroissiens m’entendaient !



samedi 28 décembre 2013

Lu Xun 1881-1936

Ecrivain chinois, un des pères de la littérature chinoise contemporaine.




À cette époque (au tournant du siècle, ndr), il demande qu’on lui fabrique trois sceaux, le premier portant l’inscription « Les paroles me dupèrent », le deuxième « L’homme sort l’épée », le troisième « Étudiant sur un cheval de bataille », traçant le portrait d'un jeune homme déterminé à se battre.

J'aime assez l'esprit subversif du bonhomme, entre autres pour avoir écrit ceci, qui donne une idée de la raison pour laquelle les humains parlent, à mon avis:
" Les gens ne communiquent ni leurs joies ni leurs peines; je trouve qu'ils font seulement du bruit."
Mais pourquoi font-ils du bruit ? Pour la même raison qui fait que les oiseaux piaillent : pour occuper de la place, marquer leur territoire, repousser les autres ; beaucoup plus rarement pour dire quelque chose. Ceux qui ne parlent pas, ne comptent pas, même s'ils ont une grande valeur, même s'ils écoutent.

Encore deux citations pour la route :
" Qui se croit objectif, doit être déjà au moins à moitié ivre."
" Ne croyez que ceux qui doutent." 

La fin de sa vie est marquée par le pessimisme dû aux errements qui ont suivi la révolution de 1911, celle de Sun-Yat-sen, bientôt renversé par un seigneur de la guerre, puis par l'invasion de la Chine par les japonais dont les atrocités laissaient les autres chinois complètement indifférents.
Le pôvre ! S'il avait su ! Le pire était à venir. 

dimanche 15 décembre 2013

QUATRE

Faire les quatre volontés de quelqu'un, c'est faire tous ses caprices.
Mais au fait, pourquoi QUATRE et non, six ou trente-six ?

Quatre ne semble pas être un nombre heureux; dire ses quatre vérité à quelqu'un, c'est lui dire des choses déplaisantes et souvent définitives.
La bible emploie le chiffre quatre pour ce qui est indécis, inachevé, incertain et donc défavorable, comme par exemple les quatre cavaliers de l'apocalypse ; les nombres avaient une grande importance symbolique dans l'Ancien Testament, et par conséquent encore un peu dans le Nouveau. Ne citez pas les quatre évangélistes, j'y ai pensé avant vous.
Google est muet sur l'origine de l'expression et les exemples qu'il donne vont tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre ("se mettre en quatre", "être tiré à quatre épingles", "monter les escaliers quatre à quatre"...
Pour vous consoler, une gravure de Dürer, avec les quatre bestiaux et ceux qui les chevauchent.




mercredi 11 décembre 2013

Boualem Sansal

Né en 1949, notre génération donc.
Ancien haut-fonctionnaire du gouvernement algérien, mis à pied en 2003 pour ses livres et ses positions qui n'avaient pas l'heur de plaire au pouvoir en place.
Il vit à Boumerdès, dans son pays. Pas de fatwa à son endroit, du moins jusqu'à présent.



Son dernier livre "Gouverner au nom d'Allah" n'a certainement pas arrangé son cas.
Pourtant il me paraît très documenté sans être pesant ; il est écrit par un homme du cru, son ton me paraît juste et il est relativement court (petit 150 p).

Si vous voulez avoir une idée de l'effet qu'il produit, voyez:
http://oumma.com/199081/l-ecrivain-boualem-sansal-compare-louverture-mosquees

Si vous voulez vous épargner la lecture, vous aurez un avant-goût 
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4719774.
Son interlocuteur n'a pas l'air d'apprécier son livre.

Pourtant d'autres intellectuels, peu nombreux il est vrai, vont dans son sens, à commencer par Mohamed Arkoun, Abdelwahad Meddheb, Tarek Oubrou (imam de Bordeaux).
Sans parler de Ibn Khaldoun qui déjà au début du 2ème millénaire, ne se privait pas de dire ce qu'il pensait.
Ni Mustapha Kemal Atatürk sur qui aucune fatwa n'a été lancée. Autres temps, autres moeurs.

dimanche 8 décembre 2013

RE

RE-ssembler
RE-venir
RE-ssemeller
RE-tenir
RE-voir
RE-ssouvenir
RE-tourner
....

RE-?

Que vous semble ?
Pourquoi ce RE- ?

Qu'y a-t-il donc de si important dans le fait de RE que nous y mettions tant de verbes à tant de sauces ?

vendredi 6 décembre 2013

FAUX BOURDON

Un vrai bourdon pour commencer :


Un vrai faux-bourdon ensuite (si vous voyez la différence, faites-le moi savoir).



Et enfin un faux faux-bourdon.

A ne pas confondre avec ceci qui lève une partie du suspense (une partie seulement, sinon ce n'est pas de jeu).


Guère avancés ? Un indice pour vous aider : c'était un truc pour voyeurs, du moins au début.

Ensuite c'est devenu ceci :


...qui vous aide à comprendre le titre.

Et maintenant, au Pakistan et en Afghanistan on utilise ceci :


Et ça donne ceci :


Ca s'appelle aussi UAV (Unarmed Air Vehicle), quoiqu'ils ne soient pas toujours si U que ça, comme le montre l'image qui précède.
Pour la terminologie je vous renvoie à la presse spécialisée, c'est pire que du Heidegger.

La traduction de "faux bourdon" en anglais, c'est "drone". Le mot vient des anglais qui l'ont donné par dérision au "queen bee" (un avion-cible automatisé, lent et bruyant) dans les années '30.
Drone = véhicule aérien + commande au sol + liaison entre les deux.

L'utilisation militaire pratique est israélienne, paraît-il ; sans doute vient-elle de l'aéromodélisme (voir le film "Le vol du Condor" avec James Stewart et Hardy Krüger). Mais l'idée était dans l'air - sans jeu de mot - depuis les bombardements sur Venise en 1849, à partir de ballons sans pilote avec des bombes à retardement.

D'abord avion de surveillance sans pilote employé par l'USAF (US Air Force) au Vietnam, il a ensuite été perfectionné pour donner ce que nous appelons en franglais un "drone", ce qui signifie "faux-bourdon"; comme l'introduction vous le donnait à comprendre, c'est un pseudo-faux-bourdon.

Nombreux avantages :

  • c'est moins cher,
  • ça consomme peu
    • 20 à 40 heures d'autonomie
    • sans limite pour les hélio-électriques (les panneaux photo..), soit 5 ans (c'est dans les cartons)
  • ça supporte des accélérations énormes (9 x la gravité !)
  • leur perte n'est pas une catastrophe
  • on n'expose jamais son personnel (aucun "battle stress" n'est avéré)
  • ça vole longtemps, ça énerve la population adverse
  • ça peut servir à de nombreuses applications en temps de paix :
    • nettoyer des panneaux inaccessibles à peu de frais,
    • explorer les fonds marins,
    • prendre des photos difficiles (volcans, tempêtes, typhons...)
    • entrer dans des milieux dangereux (Fukushima...)
    • dépolluer des zones inaccessibles
    • surveiller la faune en danger...
    • sauver des vies lors d'inondations...
    • repérer les victimes d'incendie à sauver...
    • surveiller les grandes exploitations agricoles...


Quelques inconvénients tout de même:

  • ça tue sans déclaration de guerre
  • ça survole un pays sans autorisation
  • ça permet des frappes "préventives" (ça permet de tuer pour éviter un meurtre comme dans "Minority Report")
  • il y a quand même beaucoup de bavures
  • ça peut transporter des produits interdits (cannabis, héroïne...) en contrebande
  • les polices pourraient avoir l'idée de les utiliser en ville
    • aucune incivilité
    • aucune représaille ciblée
    • irresponsabilité et donc impunité assurées
    • fin de la séparation des pouvoirs au profit de l'exécutif ? tiens, tiens...


Finie l'éthique de la guerre ! Aucun héroïsme, aucun courage, aucun engagement. L'asymétrie est totale, c'est le tir aux pipes, la guerre zéro morts.
D'ailleurs le nombre de patrouilles de drones US a augmenté de 1200% entre 2005 et 2011 et depuis 2009 le nombre de "joy-stick pilots" en formation dépasse celui des pilotes de chasseur et de bombardier.

Au cas où vous penseriez qu'on n'en est qu'aux balbutiements, sachez qu'on les a utilisés entre autres :
- au Kosovo (US)
- au Pakistan (US)
- dans les territoires palestiniens (Israël)
- contre la piraterie maritime (US)
- au Tchad (France)
- contre l'Irak (Iran)
- l'espace aérien civil américain sera ouvert à ses propres drones en 2015 ; en fait il l'est déjà depuis quelques années.


Allez, pour finir un drone sympa appelé Pixy, il est français et pourtant pacifique et pour cause, il ne cause pas tout le temps.


NB le Dragonfly coûte 95€; alors Saint-Nicolas ?

Si le coeur vous en dit, Wikipédia vous apprendra bien davantage, et aussi le livre de Grégoire Chamayou "Théorie du Drone" - La Fabrique 1913.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Drone
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_drones

jeudi 5 décembre 2013

Belle expression française

Aujourd'hui
"Pré carré"
Au XVIIème sicèle ça chauffait entre France et Pays-Bas espagnols. Après la prise des villes du nord aux Pays-Bas, Vauban qui était à tous égards un homme remarquable, écrivit en 1673  à Louvois, ministre de la défense nationale (à l'époque on disait: "de la guerre" mais c'est un peu trop honnête pour notre époque qui nous écrase de sa volonté de faire notre bien); il écrivit donc à Louvois, qu'il était temps de veiller à renforcer ses positions en veillant "à la quadrature non du cercle mais du pré".

Par là il signifiait : faire renforcer la frontière avec les Pays-bas espagnols (c'est un peu nous) par une double ligne de villes fortifiées.
Et puisqu'on en était là, Vauban a fait renforcer toutes les frontières, ce qui nous vaut de magnifiques fortications, fort bien conçues.
Son but n'était pas de rendre ces ouvrages inexpugnables, mais de faire perdre du temps et des moyens à l'ennemi en le contraignant à engager dix fois plus d'assaillants qu'il n'y avait de défenseurs.
Pari gagné, car ses forteresses ont tenu jusqu'aux progrès de l'artillerie à la fin du XVIIIème siècle.



Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707)

Depuis lors, l'expression est devenu synonyme de "domaine d'influence exclusive".

Exemples: l'Amérique latine pour les Etats-Unis dans les années '60 et '70; certains pays d'Afrique pour la France...
Et l'Ukraine pour la Russie ou les îles Diaoyu pour la Chine ?

Ecorce

Des écorces on peut tirer bien des choses, fort utiles.
De celles des arbres proviennent entre autres
...le caoutchouc (de l'hévéa)
...la quinine (du quinquina - Chinchona officinalis)
...l'aspirine (du saule blanc - Salix alba)
...la cannelle (du cannelier de Ceylan)
...le tan (du chêne - Quercus quercus) pour tanner...







(attribuez chaque image à la substance qui lui correspond)

En latin et donc en français, en anglais, en allemand, en néerlandais etc, écorce se dit "cortex".
Du cortex on peut tirer aussi bien des choses.
Du cortex cérébral par exemple.
Mais aussi du cortex de la surrénale.
Comme par exemple ceci


Pour une fois que j'écris sur un sujet médical !
Cette formule est celle de la cortisone (cortisone, cortex : vous saisissez ?)
Trois équipes l'ont découverte à peu près en même temps, et ont donc reçu le Prix Nobel en 1950 pour leur découverte.

Parmi eux, Tadeusz Reichstein (1897-1996), qui avait déjà synthétisé la vitamine C et - semble-t-il - pensionaire du camp des Milles, dans la commune d'Aix-en-Provence, où ont été enfermés de nombreux "sales étrangers qui viennent manger le pain des français" (en fait tous ceux qui fuyaient le nazisme et l'Espagne de Franco, les tziganes... bref, ceux qui dérangeaient) et d'où sont partis des milliers de juifs vers les camps d'extermination, dont Max Ernst.

Photo de M. Reichstein (c'est pas tous les jours qu'on a un prix nobel, ni qu'on apprend d'où viennent vitamine C et cortisone).



Je vous fais grâce des autres écorces, telles que celle de la terre et des agrumes...même pour une autre fois.

dimanche 1 décembre 2013

Help !

Y a-t-il parmi vous un humain qui puisse me donner une définition de "modernité" et "post-modernité" en CINQ lignes au maximum ?

Wikipedia c'est bien mais ce n'est pas toujours si "wiki"* que ça et Boileau aurait souvent des raisons de rugir en le lisant, car
"ce qui se conçoit bien s'énonce clairementet les mots pour le dire arrivent aisément."

* "wiki" est un mot hawaïen choisi par Ward Cunningham, qui signifie "vite".

Et puis qu'est-ce que c'est que cette époque qui n'a rien trouvé de mieux à dire d'elle-même que "post" !

Reconversion, restructuration et résilience.

Résilience: terme de physique qui désigne la capacité d'un matériau à retrouver ses capacités après un choc ; on l'utilise en particulier à propos de l'acier, des constructions métalliques et en métallographie.

Boris Cyrulnik l'a popularisé pour désigner la capacité "psychologique" (je n'ai qu'une estime limitée pour la psychologie) de se remettre en selle ou d'y rester malgré les coups de la vie.

Me vient à l'esprit un exemple fameux de résilience avant la lettre : c'est l'histoire exemplaire de Edward Teach, marin au service de la course de Sa Majesté britannique, qui, à la suite d'une restructuration, s'est retrouvé du jour au lendemain mis à pied (nous dirions qu'il a reçu son C4), avec nombre d'autres sujets de Sa Majesté, sans préavis ni indemnité.

Qu'à cela ne tienne, le brave Edouard a entamé une reconversion, en utilisant les moyens dont il disposait, à savoir son expérience de marin, son carnet d'adresse, sa connaissance des mers et une motivation forte, pour prendre sa vie en main. Avec un succès remarquable car il s'est vite acquis une réputation enviable chez ses confrères, mais plus discutée chez ses clients.
Son sens de la mise en scène l'a d'ailleurs beaucoup servi : comme il était très poilu, il attachait, dit-on, des mèches de chanvre à ses cheveux et les allumait lors de ses apparitions en public.
Le sort - un accident de travail - a brutalement mis fin à sa carrière qui s'annonçait brillante, après cinq ans de croissance ininterrompue.

De quoi faire réfléchir ceux qui ont le C4 facile et la résilience à la bouche.

Voici une reconstitution de son portrait



                                                                                                                             En plus gros plan
Son nom : Edward Teach, ou aussi Beard ou aussi Drummond, entre autres.
Son surnom: Barbe-Noire (en anglais: Black beard)
Sa vie : de 1680 à 1718.
Sa mort : tué lors d'un abordage par un navire de son ancien employeur (25 blessures dont 5 par balles).

Une des nombreuses histoires qu'a inspirées sa légende (recommandé).

mardi 26 novembre 2013

histoire de vous donner le bourdon

Chanté pour la première fois par Jean-Jacques Debout, époux de Chantal Goya pour qui il a beaucoup écrit (et oui ! Le monde est petit).

Photo de Jean-Jacques Debout que nous avons connu jeune, à  la radio et la télévision, en un temps où on parlait encore français sans être taxé de FN, poujadisme...

         =>*        
Cette jolie chanson nous foutait le bourdon toute la journée quand nous l'entendions ; bizarrement c'était un tube à l'époque.

Les Boutons dorés
de Maurice Vidalin et Jacques Datin (1965)
interprété par Jean-Jacques Debout

On suit le mur de l'hopital
On passe le pont sur la rivière on tourne au coin du cimetière.
Pour suivre un peu le vieux canal
Puis vers 5h on rentrera
Suivant d'autres murs d'autres grilles
A part ceux de l'école des filles
Jusqu'aux murs de l'orphelinat

R) En casquette à galon dorés
En capote à boutons dorés
Tout au long des jeudis sans fin
Voyez passer les orphelins

C'est pas souvent que j'ai gagné
La médaille de la bonne conduite
J'peux pas manger la soupe gratuite
J'aim'rais mieux dormir dans les prés
J'aurai pas mon certificat
Parait qu'je suis d'la mauvaise graine
Parce qu'un jour j'ai écris "je t'aime"
Sur les murs de l'orphelinat

R) En casquette à galon dorés
En capote à boutons dorés
Tout au long des jeudis sans fin
Voyez passer les orphelins

La nuit j'm'invente un vrai roman
Que j'ai toujours mon père ma mère
Une vraie maman en robe claire
Et un papa qu'a plein d'l'argent
A si jamais ils entendent ça
J'les en supplie qu'ils viennent tout d'suite
Avant que mes ongles s'éffrittent
Sur les murs de l'orphelinat

R) En casquette à galons dorés
En capote à boutons dorés
Tout au long des jeudis sans fin
Voyez passer les orphelins

J'suis pas bien grand, j'suis pas malin
J'ai peur j'ai peur de jamais etre un homme
De rester toujours le pauv'e mome
A qui personne tiendra la main
Et malgré qu'on soit bon pour moi
Un jour ça pètra dans ma tete
Et pour peu qu'j'ai des allumetttes
J'mettrais l'feu à l'orphelinat

R) En casquette à galon dorés
En capote à boutons dorés
En casquette à galon dorés
En capote à boutons dorés

* c'est la flèche du temps, en première mondiale et en exclusivité pour mon blog.

lundi 25 novembre 2013

Souabe - Schwaben et piétisme

(suivez la flèche, c'est là !)

La Souabe est un des sept districts (Regierungsbezirk) qui constituent la Bavière, les autres étant:

  • la haute Bavière (Oberbayern)
  • la basse Bavière (Niederbayern)
  • la haute Franconie (Oberfranken)
  • la moyenne Franconie (Mittelfranken)
  • la basse Franconie (Untenfranken)
  • le Haut Palatinat (Oberpfalz)

Elle forme une partie de la frontière avec l'Autriche et la Suisse.

C'est là qu'est né le piétisme protestant, à l'initiative d'un pasteur protestant, alsacien d'origine, de Frankfurt-am-Mainz (à ne pas confondre avec Frankfurt-am-Oder) qui répond au doux nom de Philip Jacob Spener (1635-1705 - le piétisme, ça conserve !).


Le piétisme est un mouvement religieux, plus affectif qu'intellectuel, né en réaction à l'intellectualisme et au formalisme qui dominaient le protestantisme depuis le XVIIème siècle (pour rappel, Luther est mort en 1546; ça dérape toujours rapidement).

(à voir à la Frick Collection à New-York)

Spener a créé plusieurs collèges et séminaires piétistes ("collegia pietatis") qui ont profondément influencé poétes et philosophes allemands tels que Hölderlin,  Lessing (pas Doris mais Gotthold Ephraïm), Kant et aussi, bien plus tard Hermann Hesse.
Piétisme était à l'origine une insulte, comme gueux, impressionnistes, formalistes... que les piétistes n'ont jamais désavouée.
Les piétistes organisaient des groupes de prière, où chacun pouvait prendre la parole et où les laïcs pouvaient - ô scandale ! - prétendre commenter les écritures. Moeurs austères, refus des plaisirs du monde, de quoi se mettre les puissants à dos, ce qui leur arriva bien sûr.

Le piétisme s'est répandu en Alsace, en Moravie, en Russie, dans les pays baltes, dans les Pays-Bas, en Angleterre, en Amérique
C'est un mouvement de recherche personnelle, donc surtout personnelle et intérieure, et non démonstrative, donc sans rite, sacrement, liturgie....

Passons sur la doctrine qui est plus subtile que disent ses adversaires. Disons que les piétistes voulaient revenir à l'expérience personnelle de Martin Luther ; bref, ils voulaient revenir aux sources.
Ce genre de réaction est propre à tous les mouvements de pensée, religieux comme laïc.

Les catholiques ont connu leurs piétisme avec le quiétisme de Fénelon, les juifs avec le mouvement hassidique ("hassid" signifie "pieux").
On peut en rapprocher des mouvements religieux de recherche personnelle tels que les Quakers, les méthodistes...

Tout cela ne vous rappelle-t-il rien ?

Nobel de littérature 1946


Evidemment, annoncé de cette façon, le sujet reste sybillin. Il s'agit d'un écrivain allemand, né à Calw dans la Forêt Noire, naturalisé suisse en 1923 à sa demande; il est enterré à Montagnola en Suisse. Il souffrait de troubles bipolaires, dit-on (je n'en suis pas si sûr); à l'époque on parlait de psychose maniaco-dépressive ; mais psychose ne lui va vraiment pas et d'ailleurs la suite montre qu'il avait plutôt de grandes difficultés existentielles ; il est vrai que vivre n'est pas facile.

Son père était un allemand d'Estonie, fils de médecin, et sa mère fille d'un missionnaire et indianiste souabe et d'une suissesse francophone.
Père et mère avaient été plus ou moins longtemps missionnaires en Inde. Famille protestante ; tendance piétiste souabe (celui qui a formé nombre de romantiques allemands).

Très influencé, du moins à ses dires (mais que savons-nous de nous-mêmes ?) par Platon, Spinoza, Nietsche, Schopenauer puis les courants de pensée indiens et enfin chinois.
Volontaire pour la guerre de '14 mais affecté au service des envois pour prisonniers en raison de sa très mauvaise vue.
Pacifiste (son ami était Romain Rolland, pacifiste français) et anti-nazi bien avant le début de la seconde guerre mondiale.
Ses oeuvres: Knulp*, Siddharta*, Le loup des steppes, Le jeu des perles de verre, Le dernier été de Klingsor*, Narcisse et Goldmund, Peter Camenzind, entre autres, ainsi que nombre de poèmes, essais, articles... et aussi peintures.
Vous l'avez probablement deviné, il s'agit de


Hermann Hesse (1877 - 1962)

* = est à votre disposition dans la bibliothèque familiale

(article écrit à la demande de Thomas)

vendredi 22 novembre 2013

et conté encore


Remarquez le geste du visiteur, que vous explique ce qui suit.
bain sous l'ancien régime
Il faut nous résigner à cette déplaisante constatation : nos pères étaient sales. Montaigne qui, en sa qualité d'original, estimait le « baigner salubre », blâmait fort ses contemporains « de tenir leurs membres encroustés et leurs pores estoupés de crasse ».Cette acceptation de la « pouacrerie » avait encore progressé du XVIe au XVIIe siècle ; quand Louis XIV apparaissait dans la Galerie des Glaces, costumé en dieu et couvert de tant de diamants qu'il fléchissait sous leur poids... il ne s'était pas lavé le matin !
 Au XVIIIe siècle, la propreté n'avait pas plus d'adeptes ; et l'on pense tout de suite à ce que devait être ce merveilleux Versailles où s'entassaient, tant bien que mal, dix mille personnes pour qui le savon et l'éponge étaient accessoires insolites.
Ainsi, ces boiseries si joliment fouillées se patinaient au contact de mains malpropres ; dans ces boudoirs qui semblent faits pour servir de temples aux amours, flottaient des odeurs suspectes ; les hôtes de ces pompeuses chambres, au sortir de leurs lits surmontés de dais à bouquets de plumes blanches, enfilaient tout droit leurs chausses et coiffaient leurs huileuses perruques.
En fait de matériel de toilette, rien : si ce n'est, sur quelque commode pansue, une de ces minuscules cuvettes, grande comme un bol, et un de ces pots à eau pour poupée, tels qu'en représentent certains tableaux de Boilly.
On trouve bien, çà et.là, dans cet inextricable dédale, quelques salles de bains ; Louis XV en possède une, charmante, encore aujourd'hui intacte, et sur laquelle les travaux de Pierre de Nolhac nous ont complètement renseignés ; la Dauphine, Mme du Barry, la comtesse de Provence jouissent du même avantage, évidemment réservé aux raffinés ou du moins aux très gros personnages. Mais les autres?
Et cela n'est encore qu'un des moindres inconvénients. Si les cabinets de bains ou de toilette sont objets de grand luxe, d'autres cabinets, non moins indispensables, sont tout à fait inconnus; et alors... on a de grands parapluies de cuir qu'on ouvre pour traverser les cours et sous lesquels on se met à l'abri de ce qui tombe des fenêtres.

Si Versailles m'était conté (merci à Sacha Guitry)


D'après de la Morandière Versailles était...
"...le réceptacle de toutes les horreurs de l'humanité... Le parc, les jardins, le château même font soulever le coeur par leurs mauvaises odeurs. Les passages de communications, les cours, les bâtiments en ailes, les corridors sont remplis d'urines et de matières fécales ; au pied même de l'aile des ministres, un charcutier saigne et grille ses porcs tous les matins ; l'avenue de Saint-Cloud est couverte d'eaux croupissantes et de chats morts ».
Il faut en passer et non des moins typiques. Jusqu'à la porte même de la chambre du roi montait l'infection ; là, derrière un paravent, un gros suisse vivait, cuisinait son déjeuner, mangeait, dormait et... digérait.
On défendait, il est vrai, de fumer dans la Grande Galerie, mais on y rencontrait des bestiaux ! Oui, les princes et princesses de la famille royale — « et quelques autres aussi, par grâce » — avaient le droit de faire venir jusqu'à leurs appartements des vaches, chèvres et ânesses, afin de boire du lait frais...
Vers 1830, Viollet-le-Duc, encore étudiant, visita un jour le ,château de Versailles en compagnie d'une vieille marquise qui avait connu la Cour en ses beaux jours d'avant 89.
La noble dame ne s'y retrouvait plus ; certes, elle reconnaissait bien les grands salons et les galeries d'apparat ; mais quand on pénétra dans les petits appartements, elle s'avoua perdue et désorientée. Ces enfilades de pièces démeublées et nettes ne lui rappelaient rien.
Enfin, l'on parvint à un endroit où un tuyau de décharge, crevé par la gelée, avait inondé le parquet d'immondices. L'infection était à faire reculer ; la vieille marquise poussa un cri dé joie :
— Ah ! je m'y revois, dit-elle ; voilà le Versailles de mon temps... C'était partout comme cela !"

Fin du premier blog sur le sujet 

mercredi 20 novembre 2013

Gros mot : modernité et post-modernité

Ce que nous gardonsCe que nous rejetons
Des modernes
XVIIe XIXe
  • Réseaux longs
  • Taille
  • Expérimentation
  • Universels relatifs
  • Séparation de la nature objective et de la société libre
  • Séparation de la nature et de la société
  • Clandestinité des pratiques de médiation
  • Grand Partage extérieur
  • Dénonciation critique
  • Universalité
  • Rationalité
Des prémodernes
  • Non-séparabilité des choses et des signes
  • Transcendance sans contraire
  • Multiplication des non-humains
  • Temporalité par intensité
  • Obligation de lier toujours l'ordre social et l'ordre naturel
  • Mécanisme d'accusation victimaire
  • Ethnocentrisme
  • Territoire
  • Échelle
Des postmodernes
XXe
  • Temps multiple
  • Déconstruction
  • Réflexivité
  • Dénaturalisation
  • Croyance dans le modernisme
  • Impuissance
  • Déconstruction critique
  • Réflexivité ironique
  • Anachronisme

Si vous avez assez compris pour pouvoir le dire à votre grand-mère sans l'humilier, faites-le moi savoir car je patauge encore.
Quel malheur de se préoccuper de pareilles sornettes !
Comme le disait une vieille connaissance,
"ils feraient mieux de dire leur chapelet" !

Gros mot : "nominalisme" - résumé TRES succinct et donc pas tout à fait juste

Ne riez pas ! Certains ont eu de très gros ennuis à cause de lui.

Depuis le Moyen-Age au moins, et en fait depuis Platon au moins, "la querelle fait rage" (en fait, c'est une controverse philosophique bien plus qu'un échange de grossièretés devant une caméra) entre les nominalistes et les autres, que certains appellent les "essentialistes", "idéalistes"...

Anatole France décrit férocement  la question dans son livre "La révolte des anges" par la bouche d'un démon déguisé en moine qui décrit la vie de son couvent:
"... Nous formions deux camps. L'un des camps soutenait qu'avant qu'il y eût des pommes, il y avait la Pomme [...] qu'avant qu'il y eût des pieds et des culs en ce monde, le Coup de pied au cul résidait de toute éternité dans le sein de Dieu. L'autre camp répondait que, au contraire, les pommes donnèrent à l'homme l'idée de pomme [...] et que le coup de pied au cul n'exista qu'après avoir été dûment donné et reçu. Les joueurs s'échauffaient et en venaient aux mains. J'étais du second parti, qui contentait mieux ma raison et qui fut, en effet, condamné par le Concile de Soissons."
(Anatole, c'est bien dit mais pas très gentil ! Et puis de quel concile de Soissons s'agit-il ? car il y en a eu douze)

Le premier camp est celui des essentialistes, idéalistes... et le second celui des nominalistes, réalistes...

Le premier est celui de Platon, par exemple, et le second de Guillaume d'Ockham, par exemple. Et entre les deux, de nombreuses combinaisons.

En gros la question est la suivante: l'essence précède-t-elle l'existence ou est-ce l'inverse ? Y a-t-il une essence de la pomme qui a inspiré l'existence de toutes les pommes ou les humains ont-ils conçu l'idée de pomme en observant le point commun à toutes les pommes.
C'est aussi ce qu'on appelle la querelle des universaux.

Malgré toute l'ironie d'Anatole, la question reste posée, maintenant encore, et sans doute pour l'éternité, qui comme le dit Woody Allen "est très longue, surtout vers la fin".

D'autres ont fort bien résumé la question, presque sans paroles, comme ceci.


 De même qu'une image de pipe n'est pas une pipe, le mot pipe n'est pas non plus une pipe.

Il ne suffit pas de changer les mots pour changer le monde (ce qui est la maladie incurable, malheureusement pas mortelle, des intellos et des grandes gueules), mais bien pour changer la perception qu'en ont ceux qui s'abaissent à les écouter.

Bref,
Les mots ne sont pas les choses

vendredi 15 novembre 2013

Duel

"La lutte pour le Verbe est réellement une question de vie ou de mort. Une scène désormais classique des films de western nous montre deux hommes luttant désespérément pour récupérer une arme tombée à terre. Celui qui l'atteint le premier tire et sauve sa peau ; l'autre au contraire se « fait descendre » et meurt. Dans la réalité, l'enjeu n'est pas une arme mais une étiquette ; celui qui réussit le premier à la poser sortira vainqueur de la bataille ; l'autre, « l'étiqueté », est réduit au rôle de victime."
Thomas Szasz
Vachement bien vu, non ?

Photo


In YOUR backyard ?


jeudi 14 novembre 2013

Citation de citation

De Czeslaw Milosz (Nobel de littérature 1980) cité par Nadeem Aslam, écrivain pakistanais émigré avec ses parents en Grande-Bretagne et auteur de "La cité des amants perdus" ("Maps for lost lovers", 2004).



De Czesław Miłosz donc :
« S’il n’y a pas de dieu
Tout n’est pas permis à l’homme
Il reste le gardien de son frère
Et il ne lui est point permis de l’attrister
En lui disant que Dieu n’existe pas. »


mardi 12 novembre 2013

dimanche 10 novembre 2013

stupidité

Une réflexion de Flaubert

" Traitée sans ménagement par la littérature, c'est auprès de la science que la stupidité trouvera refuge et consolation."

Bien vu et bien dit, Gustave ! C'est maintenant chose faite. L'océan de merde qui battait les murs de ta tour d'ivoire l'a maintenant presque submergé ; mieux vaut être là où tu te trouves.

Une photo, pour se souvenir de lui ; elle n'est pas de Nadar.