lundi 30 octobre 2017

Académie française - dites-vous "écrivaine", "docteure", "auteure" ?

Déclaration de l’Académie française

DÉCLARATION de l’ACADÉMIE FRANÇAISE

sur l'ÉCRITURE dite « INCLUSIVE »

adoptée à l’unanimité de ses membres
dans la séance du jeudi 26 octobre 2017

Prenant acte de la diffusion d’une « écriture inclusive » qui prétend s’imposer comme norme, l’Académie française élève à l’unanimité une solennelle mise en garde. La démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.
Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.
Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète.




http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive

samedi 21 octobre 2017

Francophonie encore - "Qui a volé les mots" de et par Michèle Bernard

Qui a volé les mots


Au voleur, au voleur, au voleur !
Qui a volé les mots, qui a volé les mots ?
Encore ces Français quel culot, voler les mots !
Regarde, ils en ont plein la bouche, plein les poches
De tous ces mots piqués partout, tu crois pas qu'c'est moche ?
Voler des mots sans en avoir l'air
Et les coller en douce dans son dictionnaire
Voler les mots sur toute la planète
Ah vraiment ces Français sont pas nets, de vrais pickpockets !

Voler aux Grecs, aux Latins, aux Gaulois
(Ça va de soi, ça va de soi)
Voler aux Anglais, aux Allemands, aux Italiens
(C'est normal entre voisins) (x2)

Oui mais voilà ça va bien plus loin
Ils ont même volé les Polynésiens
Piqué paréo et tabou aux Tuamotu
Chez les Chinois le mot typhon soufflé pour de bon
Banane et macaque en Afrique, tu parles d'un trafic
Le raphia chipé aux Malgaches à coup de cravache
Même aux Arabes, c'est le bouquet, t'imagines pas c'qu'ils ont piqué !
Le barda, le safari, le café, le nénuphar
La guitoune et le satin, la valise et le hasard
Le magasin, le cramoisi, le charabia et l'alchimie
Le sirop, le sofa, le souk et la nouba

Au voleur, au voleur, au voleur !
Qui a volé les mots, qui a volé les mots ?
Encore ces Français quel culot, voler les mots !
Regarde, ils en ont plein la bouche, plein les poches
De tous ces mots piqués partout, tu crois pas qu'c'est moche ?
Voler des mots sans en avoir l'air



Et les coller en douce dans son dictionnaire
Voler les mots sur toute la planète
Ah vraiment ces Français sont pas nets, de vrais pickpockets !

Voler aux Grecs, aux Latins, aux Gaulois
(Ça va de soi, ça va de soi)
Voler aux Anglais, aux Allemands, aux Italiens
(C'est normal entre voisins) (x2)

Oui mais voilà ça va bien plus loin
Ils ont même volé les Amérindiens
La tomate et la cacahuète au nez des Aztèques
Le toboggan, le mocassin chez les Algonquins
Volé aussi les Bengalis, plus de pyjama
Et puis leur joli paradis nommé Nirvana
Et même aux Turcs, c'est le bouquet,
Tu d'vineras pas c'qu'ils ont piqué !
La turquoise et le turban, le cosaque et le derviche
La bergamote et le divan, le caviar pour les riches
Le talisman, le cimeterre, la percale et le janissaire
Le pacha, le lascar, sarabande et bazar

Au voleur, au voleur, au voleur !
Qui a volé les mots, qui a volé les mots ?
Encore ces Français quel culot, voler les mots !
Regarde, ils en ont plein la bouche, plein les poches
De tous ces mots piqués partout, tu crois pas qu'c'est moche ?
Voler des mots sans en avoir l'air
Et les coller en douce dans son dictionnaire
Voler les mots sur toute la planète
Ah vraiment ces Français sont pas nets, de vrais pickpockets !

Ah vraiment ces Français sont pas nets, de vrais pickpockets !


Francophonie à la sauce Beaucarne

Nous sommes 180 millions de Francophones dans le monde.

On parle le Français au Québec, à Rebecq, à Flobecq, à
Tahiti, à Haïti, au Burundi, au Togo, au Congo, à Bamako,
à Madagascar, à Dakar, en Côte d'Ivoire, en Haute-Volta,
à Brazza, au Rwanda, en Guyane, à la Guadeloupe, au
Sénégal, à la Martinique, à Saint-Pierre-et-Miquelon, au
Gabon, en Nouvelle-Calédonie, en Tunisie, au Liban, dans
les Nouvelles-Hébrides, dans l'Ile de la Désirade, au
Zaïre, dans l'Ile de la Marie-Galante, dans l'Ile Maurice,
au Cameroun, en France, à Gérompont-Petit-Rosière, à
Sorinne-la-Longue, à Tourinnes-la-Grosse, à
Jandrain-Jandrenouille; on parle français à Pondichéry
dans les Indes, en Louisiane, à Matagne dans les Fagnes,
les Indiens algonquins de l'état de New-York parlent
français et les Gros-ventres du Montana également:

Nous sommes en tout 180 millions de francophones dans le
monde...

Voila pouqwé "No ston firs dyesse wallons" 

(Voilà pourquoi "Nous sommes fiers d'être Wallons")

Acte de naissance de la langue française, à nuancer


Ordonnance de Villers-Cotterêts (15 août 1539)
Cette ordonnance est importante car elle obligeait les paroisses à tenir des registres concernant l'acte civil (articles 50 & 51). Elle peut être considérée comme un « acte de naissance » officiel de la langue française (articles 110 & 111).
Villers-Cotterêts se trouve en Valois, entre Soissons et Meaux. Avant d'être roi de France, François Ier était duc de Valois et comte d'Angoulême.
Article 110
Que les arrestz soient clers & entendibles.
Et affin qu'il n'y ait cause de doubter sur l'intelligence desdictz arrestz, nous voulons & ordonnons qu'ilz soient faictz & escriptz si clairement, qu'il n'y ayt ne puisse avoir aucune ambiguité ou incertitude ne lieu a en demander interpretation.

Article 111
De prononcer & expedier tous actes en langage françoys.
Et pource que telles choses sont souventes fois advenues sur l'intelligence des motz latins contenus esdictz arrestz, nous voulons que doresnavant tous arrestz ensemble toutes autres procedures soient de noz courz souveraines ou aultres subalternes & inferieures, soient de registres, enquestes, contractz, commissions, sentences, testamens et aultres quelzconques actes & exploictz de justice, ou qui en dependent, soient prononcez, enregistrez & delivrez aux parties en langage maternel françois et non autrement.



jeudi 19 octobre 2017

LC Danone, un verrier passé à l'agroalimentaire

Franck Riboud passe la main chez Danone

Jean-Claude Bourbon
Emmanuel Faber, l’actuel directeur général, devient PDG. C’est malgré tout la fin d’une époque.
Le passage de témoin demeure assez symbolique, mais c’est malgré tout la fin d’une époque chez Danone. Franck Riboud a annoncé hier son départ de la présidence du conseil d’administration du groupe, dont il avait laissé les rênes opérationnelles en 2014 à Emmanuel Faber, l’actuel directeur général, qui devient PDG.
Son mandat courait jusqu’à l’assemblée générale du printemps 2019, mais Franck Riboud, qui aura 62 ans en décembre et peut faire valoir ses droits à la retraite à cette date, a préféré laisser le champ totalement libre. « En cette période un peu troublée, il lui semble plus pertinent que l’incarnation et les pouvoirs chez Danone soit confié à une seule personne », souligne un de ses proches. Franck Riboud sera président d’honneur et reste administrateur.
C’est une page qui se tourne, tant l’histoire de Danone est liée à celle de la famille Riboud et notamment Antoine, le père de Franck, qui a construit les premières fondations du groupe. En 1969, juste après l’échec de son OPA sur Saint-Gobain, le PDG du verrier BSN choisit de se tourner vers les contenus, en rachetant Evian, Blédina, les bières Kronenbourg et Kanterbrau. En 1972, c’est la fusion avec Gervais-Danone, le numéro un européen des produits laitiers.
En moins d’un quart de siècle, à coup d’acquisitions, l’ensemble devient un géant de l’agroalimentaire. En 1994, il est rebaptisé Danone et en 1996, Franck Riboud prend les commandes.
Le nouveau patron pousse encore plus en avant l’internationalisation de l’entreprise et surtout la recentre progressivement sur quatre grands métiers (l’eau, les produits laitiers frais, la nutrition infantile et la nutrition médicale). Avec un seul fil conducteur : apporter la santé au plus grand nombre par l’alimentation. Un virage stratégique que Franck Riboud aura été le premier à entreprendre dans le secteur, parfaitement dans l’air du temps aujourd’hui.
En vingt ans, il aura ainsi doublé le chiffre d’affaires de Danone, tout en ayant cédé les trois quarts des activités achetées par son père, comme l’épicerie (Amora, Maille, Liebig, Galbani…), les bières, la confiserie (Vandamme, Lu, La Pie qui chante…), ou encore le champagne Lanson.
Danone n’a jamais été une entreprise familiale, au sens capitalistique du terme, mais la dynamique insufflée par les Riboud, père et fils, en ont fait un groupe à la culture particulière. En 1972, lors des assises du patronat à Marseille, Antoine Riboud appelle ses pairs à « réduire les inégalités excessives en matière de conditions de vie et de travail et à répondre aux aspirations profondes de l’homme ».
Selon lui,un chef d’entreprise doit veiller à « la réalisation des objectifs économiques vis-à-vis des actionnaires et de l’environnement » mais également à « la réalisation des objectifs humains et sociaux vis-à-vis de son personnel ». Antoine Riboud reçoit un accueil poli. Chez Danone, c’est la naissance du double projet économique et social.
Près d’un demi-siècle plus tard, cette « marque de fabrique » perdure dans l’entreprise, qui a mis en place des politiques sociales aux standards plutôt élevés dans tous les pays où elle est implantée. Mais comme tous les grands groupes, Danone a dû s’adapter aux politiques de réduction de coûts et a connu quelques accrocs, comme au début des années 2000, la fermeture des usines Lu, qui ont brouillé un temps son image dans l’Hexagone.
Avec Franck Riboud puis Emmanuel Faber, Danone reste malgré tout un terreau d’innovations sociales. Le groupe a été un des premiers à créer un incubateur d’entreprises sociales (Danone Communities) ainsi qu’un fonds pour la sauvegarde de l’écosystème, doté de 100 millions d’euros. Au Bangladesh, Danone vend des yaourts à bas prix pour lutter contre la malnutrition.
Aux États-Unis, où il a racheté l’an dernier WhiteWave, un spécialiste du bio, pour 11 milliards d’euros, Danone a organisé ses activités sous le statut « d’entreprise à bénéfice public », comme 4 500 autres dans le pays.
Cette politique porte ses fruits. En Bourse, l’action a atteint hier son plus haut historique. Pour une entreprise dont le capital est à 80 % entre les mains de fonds d’investissement, ce n’est pas anecdotique mais central. Plus elle pèse lourd (48 milliards d’euros au cours actuel), moins elle est susceptible de faire l’objet d’une OPA, comme le laissent entendre des rumeurs récurrentes depuis des années…

mercredi 18 octobre 2017

à usage personnel

Bon exemple de réaction à de mauvais coups ; Paul me rappelle la fin du film "The Revenant" où le protagoniste qui tient enfin sa vengeance, se souvient d'une phrase entendue plus tôt.


Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 4,10-17b.
Bien-aimé, Démas m’a abandonné par amour de ce monde, et il est parti pour Thessalonique. Crescent est parti pour la Galatie, et Tite pour la Dalmatie.
Luc est seul avec moi. Amène Marc avec toi, il m’est très utile pour le ministère.
J’ai envoyé Tychique à Éphèse.
En venant, rapporte-moi le manteau que j’ai laissé à Troas chez Carpos. Apporte-moi aussi mes livres, surtout les parchemins.
Alexandre, le forgeron, m’a fait beaucoup de mal. Le Seigneur lui rendra selon ses œuvres.
Toi aussi, prends garde à cet individu, car il s’est violemment opposé à nos paroles.
La première fois que j’ai présenté ma défense, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux.
Le Seigneur, lui, m’a assisté. Il m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent.

lundi 16 octobre 2017

HERODOTE Emile Chartier dit Alain

Alain (1868 - 1951)

Un « Platon » contemporain


Si la gauche française est toujours prompte à se réclamer de Jaurès, au point que ce dernier est devenu une référence incontournable, pour ne pas dire une sorte de totem, la figure d’Alain, sans être totalement oubliée, se trouve le plus souvent réduite à celle d’un penseur pour classe terminale (autrement dit facile) ou d’un simple philosophe du bonheur, à mi-chemin entre Montaigne et le dalaï-lama.
Très rares sont en revanche ceux qui connaissent réellement ses écrits politiques, et même les lecteurs les mieux disposés à son égard ont tendance à penser que ses analyses du pouvoir sont ce qui a peut-être le plus mal vieilli dans cette œuvre immense, touchant à tous les domaines.
Or, c’est sans doute sa défense intransigeante des droits de l’individu et sa conception très originale de la démocratie libérale qui retrouvent chaque jour une jeunesse plus éclatante, dans le contexte de la mondialisation contemporaine, fait de remise en cause croissante de la souveraineté nationale et de crise généralisée de la représentation.
Jérôme Perrier, normalien, agrégé et docteur en histoire, spécialiste de l’histoire du libéralisme, nous présente ce philosophe à l'occasion de la sortie de son ouvrage : Alain ou la démocratie de l'individu (Belles Lettres, octobre 2017, 448 pages, 29,50 euros).

De l’indignation à la philosophie

Né en 1868 à Mortagne-au-Perche, une région rurale de l’Orne restée largement à l’écart de la révolution industrielle et encore dominée par la grande propriété terrienne, Émile Chartier (Alain est le pseudonyme qu'il se choisira plus tard) est un fils de vétérinaire qui a conservé toute sa vie un attachement nostalgique pour le monde de la campagne, qu’il a eu quelque peu tendance à idéaliser et à opposer à la modernité urbaine, perçue comme largement déshumanisante.
Émile Chartier, dit Alain (3 mars 1868, Mortagne-au-Perche ; 2 juin 1951, Vésinet)Élève brillant, il accède à l’enseignement secondaire grâce à une bourse obtenue avec l’aide d’un député local (chose qu’il n’oubliera pas).
Au lycée Michelet, à Vanves, près de Paris, il est ébloui par son professeur Jules Lagneau et il écrira un jour que ce philosophe, mort à quarante-trois ans sans laisser d’œuvre écrite, était le « seul Grand Homme » qu’il ait jamais rencontré.
En 1889, Émile Chartier intègre la prestigieuse École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, à Paris, avant d’être reçu à l’agrégation de philosophie en 1892. Il est ensuite successivement nommé aux lycées de Pontivy, Lorient et Rouen, avant d’entamer une carrière parisienne qui va le conduire jusqu’à la prestigieuse khâgne du lycée Henri IV, le plus éminent poste de l’enseignement secondaire – qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1933.
Ayant finalement renoncé à rédiger une thèse, Émile Chartier n’accède pas à l’Université, et après quelques rares travaux de type académique, il s’oriente vers une forme d’écriture aussi originale qu’engagée, et qui trouvera son épanouissement dans un genre littéraire dont il est l’inventeur : le Propos.
C’est en effet ce format court, à mi-chemin entre littérature et philosophie, qui restera sa marque de fabrique, au point que la plupart de ses livres seront soit des recueils de Propos, soit des ouvrages divisés en courts chapitres, finalement fort proches de cette forme si originale (Alain rejettera en revanche toujours les traités théoriques, et plus encore les manuels, qu’il exécrait).
Comme il le reconnaîtra par la suite, le professeur est devenu écrivain à la faveur de son engagement citoyen. Scandalisé par le spectacle des puissants dans une France pourtant devenue républicaine en 1875 avec l’instauration de la IIIe République puis l’arrivée au pouvoir des « couches nouvelles » chères à Gambetta, le jeune enseignant de province va s’engager dans l’arène politique en rédigeant des chroniques pour de petites publications radicales, à Lorient puis à Rouen.
En 1902, il s’implique même brièvement dans une campagne électorale, en soutenant activement le radical Louis Ricard lors des élections législatives à Rouen. Mais le grand engagement de celui qui va bientôt prendre « Alain » comme nom de plume est l’affaire Dreyfus, qui lui semble incarner parfaitement le combat de valeurs qui est le sien : la défense intransigeante des droits de l’individu dans le cadre d’une République démocratique et laïque face aux puissances sociales et aux nostalgiques de l’ordre ancien.
C’est au nom de ces valeurs dreyfusardes qu’Alain s’engage aussi activement dans l’aventure des universités populaires, estimant tout au long de sa vie que la mission d’un intellectuel doit consister d’abord et avant tout à prendre le parti des petits contre les gros, des faibles contre les puissants, du peuple contre les élites.
Une passion : la politique
« Ma passion, c’est la politique, en ce sens que je ne supporte pas la tyrannie, et ce qui m’a fait écrire, c’est cette passion politique.
Mes premiers essais philosophiques étaient aussi habiles que d’autres, mais abstraits, froids, mécaniques.
Je suis devenu écrivain le jour où je me suis vu, par la pauvreté des comités radicaux, dans la nécessité d’écrire, en grande partie, un journal à moi tout seul. (…) J’ai retrouvé là, contre toute attente, les conditions de la pensée véritable, c’est-à-dire, premièrement une émotion, une indignation, une révolte (c’est mon état ordinaire) ; il a fallu s’élever de cet état violent à des pensées. Autrement, tout était perdu. Le citoyen ne peut se sauver que par la pensée.
D’un côté, il y avait la masse des littérateurs devant le râtelier d’or, et, de l’autre, un peuple inculte. Il fallait joindre ensemble le sentiment populaire et la plus haute philosophie. Je ne dis pas que je l’ai fait, personne ne peut faire cela ; mais dès mes premiers essais de pamphlétaire, j’ai tout compris, et je n’ai pas cessé d’être récompensé de cette pensée humaine. Encore maintenant c’est un petit journal bien peu lu [Les Libres Propos. Journal d’Alain], mais libre, qui est de toutes mes œuvres la préférée. Je n’irai point à la mangeoire d’or.
C’est aussi dans ce sentiment de reconnaissance que je signerai toujours mes productions les plus élaborées, de mon nom de pamphlétaire qui est Alain. »
 (Les Nouvelles littéraires, 18 février 1928).
De fait, le philosophe s’est toujours défini comme un homme de gauche (ce qui au début du XXe siècle voulait d’abord dire un authentique républicain), même s’il n’a jamais adhéré aux doctrines collectivistes des socialistes et des communistes qui heurtaient trop directement son individualisme viscéral.
Se définissant comme radical, Alain n’a jamais été un militant du parti de la rue de Valois mais concevait d’abord le radicalisme comme la concrétisation des idéaux démocratiques qui étaient les siens, et dont les fondements laïcs et libéraux étaient les suivants : respect du suffrage universel (et secret du vote) ; stricte égalité devant la loi ; entière liberté d’expression ; pluralisme religieux et idéologique ; neutralité spirituelle de l’État laïc ; défense intransigeante de l’individu face aux pouvoirs et aux différentes figures du Léviathan moderne que sont l’État tentaculaire et la société holiste.

Un Montaigne requis par la politique

Au fil de ses Propos, Alain déploie une pensée politique beaucoup plus originale qu’on ne le pense généralement, développant la conception de la démocratie libérale la plus élaborée depuis Benjamin Constant. Une conception qui renonce à l’exaltation de la Volonté Générale (rousseauiste) pour l’affirmation d’un contrôle permanent des gouvernants par les gouvernés.
Ce faisant, loin d’être un régime gravé dans le marbre, cette exigeante démocratie de l’individu est un idéal qui doit se conquérir chaque jour de haute lutte. Un idéal républicain basé sur une vigilance de tous les instants et une surveillance sans faille des puissances sociales et plus encore du pouvoir politico-militaire – la forme la plus dangereuse de Léviathan, ce terrifiant mécanisme d’écrasement de l’individu par le Tout.
L’autre grand engagement d’Alain est le combat pacifiste, dans la mesure où la guerre est selon lui le moyen trouvé par les puissants et les pouvoirs pour asseoir leur domination sur les sans-grade, dès lors ravalés du rang de contribuable à celui – bien plus redoutable – d’esclave-conscrit.
Une finalité : la paix
« Autrefois je voulais conclure, trop vite, qu’il faut être assuré de la paix pour diminuer les pouvoirs. Maintenant, mieux instruit par l’expérience de l’esclave, je dis qu’il faut réduire énergiquement les pouvoirs de toute espèce, quels que soient les inconvénients secondaires, si l’on veut la paix. » (Les Nouvelles littéraires, mars 1928, p.123).
Cet engagement pacifiste s’explique autant par son hostilité à la guerre elle-même, dans laquelle des vieillards envoient à la mort le meilleur de la jeunesse, que par son refus de l’ordre militaire, antithèse absolue de l’ordre républicain. Si son combat pour la paix débute avant même la Grande Guerre, c’est à partir de cette dernière qu’il occupe une place de plus en plus importante dans son œuvre.
En août 1914, alors qu’il a 46 ans et n’est donc pas mobilisable, Émile Chartier décide de s’engager dans un conflit qu’il désapprouve pourtant. Il s’agit pour lui d’accomplir ses devoirs de citoyen, mais plus encore de pouvoir continuer à défendre ses convictions pacifistes sans encourir le risque d’être traité de lâche ou de traître. Étonnant en apparence, ce choix est en réalité profondément révélateur de son ethos.
En effet, Alain était le contraire même d’un anarchiste, dans la mesure où il a toujours prôné une obéissance aux lois républicaines, à condition que celle-ci s’accompagne d’une liberté d’opinion pleine et entière. Obéissance du corps et totale liberté de l’esprit : tel est la formule alinienne par excellence, qui sera pourtant l’objet d’incompréhensions récurrentes.
Entre 1914 et 1917, Alain passe ainsi trois ans sur le front, où, en tant que brigadier, il vit au contact des soldats ordinaires, refusant obstinément de prendre du galon et d'accéder au rang de sous-officier. Là encore, ce choix est symptomatique de sa philosophie profonde : toujours être du côté des dominés contre les « Importants » (une notion centrale dans sa pensée). Ces derniers correspondent à ce que la sociologie contemporaine appelle les « dominants », et qui s’incarnent dans les diverses élites qui gouvernent : généraux, ministres, banquiers, académiciens, etc.
Alain avec ses élèves, au lycée Henri IV, Paris, 1932Blessé en 1917, Alain retourne à la vie civile et à l’enseignement, tout en faisant le serment de consacrer les années qui lui restent à vivre à tout faire pour éviter une nouvelle hécatombe. C’est ce qu’il fait notamment à travers une petite revue d’abonnés, Libres Propos. Journal d’Alain, dans laquelle il publie des centaines de Propos entre 1921 et 1936 (avec une brève interruption de 1924 à 1927), dont la plupart sont consacrés à la défense des idéaux pacifistes.
Une conviction qu’il n’a jamais abandonnée et qui l’a conduit en septembre 1938 à accueillir (comme deux tiers des Français) les accords de Munich avec soulagement, puis en juin 1940 (comme quarante millions de Français) à se rallier à la cessation des combats demandée par le maréchal Pétain.
Pour autant, le reproche de défaitisme qui lui sera fait ultérieurement est tout à fait injuste. Comme le prouve son attitude de 1914, Alain a toujours pensé qu’il fallait tout faire pour éviter la guerre, mais qu’une fois celle-ci déclenchée, il était du devoir de tout bon citoyen républicain de prendre part à la défense de la patrie. En cela, il se distingue de certains de ses proches, comme Jean Giono, ou de ses disciples comme Marcel Déat, René Château, Claude Jamet, ou encore Félicien Challaye, qui au nom de leur idéal pacifiste ont bientôt sombré dans la Collaboration.
Pour ce qui est d’Alain, s’il a accueilli avec soulagement le recours à Pétain en 1940 et le choix de l’armistice (et peut donc être à bon droit qualifié alors de « maréchaliste »), il n’est devenu ni « pétainiste » (il n’a jamais souscrit au programme proprement réactionnaire de la « Révolution nationale ») ni – encore moins – un adepte de la Collaboration.
Entre les années 1890 et 1951, date de sa mort, Alain a été l’auteur d’une œuvre imposante, composée de livres proprement dits, mais surtout de plus de cinq mille Propos, ces textes courts publiés d’abord quotidiennement entre 1906 et 1914 (dans la Dépêche de Rouen et de Normandie) puis de façon un peu plus irrégulière dans l’entre-deux-guerres, avant qu’une partie d’entre eux ne soient repris dans toute une série de recueils, dont certains sont encore disponibles aujourd’hui en librairie (les Propos sur les Pouvoirs constituent ainsi la meilleure introduction à sa Politique).
Véritable genre littéraire, dont il est l’inventeur – et qui n’aura pas vraiment de postérité –le Propos est un texte à mi-chemin entre la littérature et la philosophie (Alain a toujours considéré la première plus difficile que la seconde), et qui n’a finalement que peu à voir avec le journalisme, l’anecdote n’y étant rien d’autre qu’un prétexte pour une réflexion atemporelle (ce qu’il résumera un jour en disant qu’il entendait « relever l’entrefilet au niveau de la métaphysique »).
Plus que dans la lignée des journalistes engagés, Alain s’inscrit dans une riche tradition française, allant de Montaigne à Tocqueville en passant par Pascal ou Rousseau, où la pensée philosophique de haut vol va de pair avec une qualité littéraire incomparable. Loin des canons de la philosophie universitaire ou des sciences sociales aujourd’hui dominantes ; ce qui explique sans doute pourquoi Alain a la réputation d’être un penseur facile, « pour classe terminale ».
Rien n’est en réalité plus faux, sa pensée étant infiniment plus complexe, plus subtile, et plus difficile qu’il n’y paraît. Un peu à l’image des dialogues de Platon, l’un de ses auteurs de chevet, qu’il n’a cessé de relire tout au long de sa vie et dont il est en quelque sorte un avatar contemporain.

Bibliographie

Natalie Depraz (dir.), Alain. Un Philosophe rouennais engagé, Publications de l’université de Rouen et du Havre, 2017,
Thierry Leterre, Alain, le Premier Intellectuel, Paris, Stock, 2006,
Georges Pascal, Pour connaître la Pensée d’Alain, Paris, Bordas, 1967 (4ème éd.) ; L’idée de philosophie chez Alain, Paris, Bordas, 1970. (Les livres de Georges Pascal constituent – et de loin – la meilleure introduction à la philosophie d’Alain),
Jérôme Perrier, Le Libéralisme démocratique d’Alain, Paris, Institut Coppet, 2015 (préface d’Alain Madelin),
Jérôme Perrier, Alain ou la Démocratie de l’Individu, Paris, Les Belles Lettres, 2017,
André Sernin, Alain, un Sage dans la Cité, Paris, Robert Laffont, 1985.
Jérôme Perrier

HERODOTE Alexis Piron

Alexis Piron (1689 - 1773)

Un stylet acéré




Auteur aujourd’hui oublié, Alexis Piron a égayé comme personne le siècle des Lumières. Ennemi juré de Voltaire qu’il n’eut de cesse de tourner en ridicule, ses épigrammes étaient les plus redoutées de tout le royaume.
Dans Des hommes célèbres de France au XVIIIe siècle, Goethe écrit qu’il fut « l’un des hommes les plus spirituels qu’ait produit la France, si riche et si féconde en ce genre ; le plus véritablement bon vivant, le plus inépuisable diseur de bons mots, le plus amusant convive de son temps. »
Julien Colliat
Portrait d'Alexis Piron, École française, vers 1760, Musée Cognacq-Jay, Paris.

Un bourguignon débordant d’esprit

Né à Dijon en 1689, Alexis Piron est le fils d’un notable de la ville, apothicaire de son état et poète à ses heures perdues, et qui lui transmit son tempérament joyeux et le goût des bons mots. Dès son plus jeune âge, Piron se distingue par son caractère irrévérencieux et farceur qui donne du fil à retordre à son père. Ce dernier souhaiterait qu’il fasse carrière dans l’Église ou la médecine, mais Piron est un cancre et n’aspire qu’à être poète.
Il se résout finalement à devenir avocat et s’inscrit à la faculté de droit de Besançon où il décroche son diplôme. Il n’aura cependant pas la possibilité de plaider, son père, soumis à des revers de fortune, ne pouvant lui apporter l’aide financière nécessaire à sa charge. De retour à Dijon, Piron mène une vie oisive. Il passe son temps à courir les jupons et à festoyer avec sa bande d’amis, avec laquelle il compose des poèmes libertins, des épigrammes et des chansons paillardes.
Rêve d'amour, Jean-Honoré Fragonard, 1768.
Les belles jambes
Colin poussé d’amour folâtre
Regardait à son aise un jour
Les jambes plus blanches qu’albâtre
De Rose, objet de son amour.
Tantôt il s’adresse à la gauche,
Tantôt la droite le débauche.
Je ne sais plus, dit-il, laquelle regarder.
Une égale beauté fait un combat entre elle.
Ah ! lui dit Rose, ami sans plus tarder.
Mettez-vous entre deux pour finir leurs querelles.

L’Ode à Priape

Fresque de Priape, Casa dei Vettii, Pompéi. Priape est représenté pesant son énorme pénis en érection contre un sac d'or.Un jour de 1710, à la suite d’un défi lancé par son cousin, Jehannin de Chamblanc, durant un repas bien arrosé, Piron compose une Ode à Priape, dieu grec de la fertilité, toujours représenté avec un gigantesque phallus. Volontairement outrancier, le texte est non seulement pornographique mais également blasphématoire.
Alors que Piron lui avait demandé de détruire son manuscrit, Jehannin ne trouve rien de mieux à faire que de lire le texte à des jeunes conseillers du parlement de Bourgogne qui en font aussitôt des copies.
L’ode circule dans toute la ville et un exemplaire se retrouve même entre les mains d’Antoine Bouhier, président du parlement. Face à la polémique, le jeune homme est contraint de désavouer son texte. Diffusée jusqu’à Paris, l’Ode à Priape fait néanmoins connaître le nom de Piron dans les cercles littéraires. 
Quelques années plus tard, sa verve va entraîner le bourguignon dans une nouvelle mésaventure. Venu à Beaune (ville rivale de Dijon) à l’occasion d’un tournoi d’arquebuse, Piron multiplie les bons mots et quolibets assimilant les Beaunois à des ânes. Alors qu’il se promène dans la campagne, il arrache avec sa canne tous les chardons qu’il croise sur son chemin, en claironnant : « Je suis en guerre avec les Beaunois : je leur coupe les vivres » (les ânes aiment brouter le chardon !).
Au théâtre, alors qu’un spectateur s’exclame : « Silence ! On n’entend rien ! », il répond du tac-au-tac : « Ce n’est pourtant pas faute d’oreilles ! ». Ses railleries ne sont évidemment pas au goût des Beaunois qui préfèrent faire taire l’impertinent à coups de cannes. Piron n’échappe au lynchage que grâce à l’intervention d’une jeune femme qui le cache chez elle.
Les buveurs de vin, dit Le poète Piron avec ses amis, Jacques Autreau, 1729-1732, musée du Louvre, Paris (Piron est au centre).

Succès dans le théâtre de la foire

De retour à Dijon, Piron continue à mener sa vie de joyeux fêtard et multiplie les épigrammes contre ses concitoyens. Las de ses frasques, son père l’exhorte à quitter la ville. Piron a alors 30 ans et, avec son brillant esprit pour seul bagage, se rend à Paris afin de tenter sa chance dans le milieu des lettres.
Il trouve d’abord un emploi de copiste chez le chevalier de Belle-Isle, petit-fils de Fouquet, mais celui-ci le rémunérant trop mal, il quitte rapidement son service. Piron fait ensuite la connaissance d’une certaine Mademoiselle de Bar, originaire elle aussi de Bourgogne et qui devient sa maîtresse (il l’épousera en 1741 après près de 20 ans de vie commune).
Bernard le Bovier de Fontenelle, Louis galloche, 1723, Château de Versailles.Grâce à sa compagne, Piron est admis dans le salon de la marquise de Mimeure, muse de Fontenelle, et qui est fréquenté par de nombreux beaux esprits. Le bourguignon y rencontre pour la première fois Voltaire
Agacé d’entendre ce dernier manger fort bruyamment, Piron le raille en buvant à grosses gorgées, provoquant le courroux de l’auteur d’Œdipe. De cette première altercation va naître une profonde animosité entre les deux hommes qui resteront des ennemis jurés jusqu’à la fin de leurs jours. 
Afin de discréditer son rival, Voltaire n’hésite pas à lire l’Ode à Priape à la marquise de Mimeure, mais cette basse manœuvre se retourne au final contre le délateur.
Pour gagner sa vie, Piron va écrire des pièces comiques données à l’occasion des foires de la capitale. Le défi est relativement ardu puisque sur pression de la Comédie-Française, ces spectacles avaient interdiction de mettre en scène le moindre dialogue ! Pour 100 écus, Piron compose un monologue en trois actes, destiné à l’Opéra-Comique, et intitulé Arlequin Deucalion.
Mettant en scène un Arlequin, seul rescapé du Déluge, la pièce remporte un très grand succès et est jouée plus de 30 fois en 1722. La carrière de Piron est désormais lancée. L’année suivante, il écrit un opéra-comique, L’Endriague, dans lequel il collabore avec un organiste dijonnais encore inconnu : Jean-Philippe Rameau. C’est un nouveau succès.
Salon de Mme de Tencin : Mme de Tencin et M. Lawdans, Louis Lurine, Paris, BnF, département Littérature et Art.
Fort de sa nouvelle notoriété, Piron fréquente le prestigieux salon de madame de Tencin (mère de d’Alembert) où il rencontre Fontenelle, MontesquieuMarivaux ou l’abbé Prévost. Sans cesser d’écrire pour le théâtre de foire, il entend prouver qu’il peut aussi s’illustrer dans un registre plus sérieux et surtout plus lucratif. Il s’essaie ainsi à la comédie. En 1728, sa pièce L’École des Pères est jouée à la Comédie-Française mais se fait démolir par la critique.
A Paris, Piron continue à mener une vie d’épicurien avec une petite bande de chansonniers comprenant Crébillon fils, Charles Collé, Pierre Gallet et Charles-François Panard. En 1729, ceux-ci fondent dans un cabaret situé rue de Bussy, une goguette (sorte de club festif) baptisée le Caveau. C’est dans ce lieu licencieux, où aucune femme n’est admise, que les joyeux drilles se réunissent deux fois par mois pour festoyer dans une ambiance de franche camaraderie.
Jean-Philippe Rameau, attribué à Joseph Aved, vers 1728, musée des Beaux-Arts de Dijon.Au programme : lecture de pièces de théâtre de la foire et concours de chansons et d’épigrammes. De nombreuses personnalités se joindront au Caveau tels le tragédien Crébillon père, le philosophe Helvétius, le peintre François Boucher ou encore Jean-Philippe Rameau qui y composa la célèbre comptine Frère Jacques.
Cherchant à rivaliser avec Voltaire, Piron présente en 1730 sa première tragédie : Callisthène. Mais le soir de la première, au moment où l’acteur interprétant Callisthène doit mettre fin à ses jours en se poignardant le cœur, la lame de son couteau tombe à terre, contraignant le comédien à feindre de se suicider avec le seul manche ! Cet incident provoque la chute de la pièce.
Loin de rester sur cet échec, Piron écrit une deuxième tragédie : Gustave Vasa. Consacrée au célèbre souverain suédois, elle obtient un franc succès et la reine-consort de Suède, Ulrique-Éléonore (sœur de Charles XII), lui adresse personnellement une lettre de félicitations.
Lecture de Molière, Jean-François de Troy, vers 1728.

La Métromanie : la consécration

Pour s’adonner totalement à l’écriture, Piron bénéficie de la protection du marquis de Livry, lieutenant-général des armées, qui lui octroie une généreuse pension et le loge dans un vaste appartement de son château du Raincy. C’est là que le dijonnais écrit la comédie qui va marquer sa consécration : La Métromanie.
Cette pièce est directement inspirée par une supercherie imaginée par le poète Paul Desforges-Maillard, lequel s’étant vu refuser la publication de ses poèmes par le Mercure de France, a l’idée de les renvoyer mais sous le nom d’une poétesse bretonne totalement imaginaire : Mademoiselle Malcrais de La Vigne.
Château du Raincy sous les Duc d'Orléans, XVIIIe siècle, Textes et documents d'histoire locale, Service éducatif des Archives Départementales de Seine Saint-Denis. L'agrandissement présente la couverture de La Métromanie, comédie... par M. Piron, BnF Gallica.
Le directeur du Mercure tombe dans le piège et publie plusieurs poèmes. Il va même jusqu’à écrire une déclaration d’amour à la pseudo-poétesse ! Voltaire lui-même est trompé et adresse une élogieuse dédicace à l’auteure.
Lorsque la vérité éclate au grand jour, Piron voit l’occasion de tourner son ennemi en ridicule en faisant de lui le héros d’une comédie. La Métromanie est une charge contre les faux poètes. Elle a pour personnage central Damis, un écrivain inspiré de Voltaire et dont la manie de faire des vers à tout propos occasionne une série de mésaventures.
Portrait de Voltaire, Nicolas de Largillierre, vers 1724, château de Versailles.On trouve dans la pièce cette célèbre citation, allusion directe à l’affaire Desforges-Maillard : « Voilà vos arrêts messieurs les gens de goût ! L’ouvrage est peu de choses et le seul nom fait tout ».
La première représentation a lieu au château de Berny en 1737 et il faut l’intervention de Maurepas pour que la Comédie-Française accepte de la jouer, les acteurs l’ayant d’abord refusée pour ne pas froisser Voltaire.
Célébrée par la critique qui voit en Piron un nouveau Molière, La Métromanieconnaît un succès considérable et est jouée à la cour. Voltaire ne partage évidemment pas ces louanges.
Surnommant la pièce La Piromanie, il écrit : « J’ai vu la Piromanie qui n’est pas sans esprit ni sans beaux vers mais ce n’est un ouvrage estimable en aucun sens et il ne tient son succès qu’à moi. On peut hardiment juger de l’ouvrage par son auteur ».
Piron a toujours le dernier mot
La rivalité entre Piron et Voltaire a donné lieu à quelques joutes verbales qui se sont toujours terminées à l’avantage du dijonnais. Ainsi, lors d’un séjour chez des amis communs en Belgique, les deux rivaux acceptent de se mesurer dans un défi littéraire consistant à écrire la lettre la plus courte qui soit. Voltaire propose : « Eo rus raquo; (en latin : « Je vais à la campagne »). Piron triomphe en lui répondant simplement : « I »(« Va »).
Autre anecdote savoureuse : un jour, Piron aperçoit Voltaire inscrire sur sa porte d’entrée : « jean-foutre ». Tenant à avoir le dernier mot, il se présente le lendemain chez son ennemi en lui annonçant : « J’ai vu votre nom sur ma porte et je m’empresse de vous rendre la visite que vous m’avez faite. » Et toc !

L’ennemi juré de Voltaire

Durant toute leur carrière, Piron et Voltaire se voueront une animosité féroce. Il faut dire que tout oppose les deux hommes, à commencer par leur physique. 
Portrait d'Alexis Piron par Alexander Roslin, XVIIIe siècle.Piron mesure 1 mètre 84 et pèse plus de cent kilos tandis que Voltaire est petit et maigre. Le bourguignon a une figure ronde et joviale alors que son rival a le visage anguleux et osseux et Piron le compare à « un os à ronger que la mort tarde à frapper car elle a peur d’ébrécher sa faux ».
Les deux écrivains dénotent surtout par le caractère. Voltaire est cynique, belliqueux et misanthrope. Piron se distingue par son allure bonhomme, sa gaieté naturelle et son goût des bonnes choses. Il reproche à son ennemi son inclination pour le faste et les intrigues, son amitié avec Frédéric II ou la superficialité de sa pensée.
Une lettre de 1735, non signée mais attribuée à Piron, dresse de l’auteur de Candide un portrait au vitriol : « Il aime les grandeurs et méprise les Grands, est aisé avec eux, contraint avec ses égaux. Il commence par la politesse, continue par la froideur et finit par le dégout. Il aime la cour et s’y ennuie. (…) Il travaille moins pour sa réputation que pour l’argent : il en a faim et soif. (…) Il n’a ni religion ni patrie, étant indécis à propos des deux. Il est toujours mécontent de son pays et loue avec excès ce qui est à mille lieux de lui. (…) Politique, physicien, géomètre, il est tout ce qu’il veut, mais toujours superficiel et incapable d’approfondir en effleurant seulement les matières. »
Une épigramme parlante
L’élection quai Conti de l’explorateur et scientifique La Condamine, atteint de surdité, lui inspire ainsi cette épigramme :

Enfin dans la troupe immortelle
La Condamine est admis aujourd’hui.
Il est bien sourd, tant mieux pour lui,
Mais non muet, tant pis pour elle.

Le maître incontesté de l’épigramme et de la répartie

Alexis Piron a surtout marqué son époque pour son inégalable talent dans l’art de l’épigramme. Sa productivité en la matière est prodigieuse. Ainsi, après que l’abbé Desfontaines (autre grand ennemi de Voltaire) ait éreinté une de ses œuvres, il annonce qu’il écrira une épigramme par jour contre lui. Piron tiendra parole et relèvera le défi durant… 54 jours consécutifs !
Charles Marie de La Condamine, Louis Carrogis Carmontelle, 1760, musé Condé, Chantilly.Une autre de ses cibles favorites : le journaliste Elie Fréron, contre lequel il n’écrira pas moins de 34 épigrammes. Piron garde par ailleurs en réserve de nombreuses épigrammes contre Voltaire, destinées à être diffusées au cas où il prendrait fantaisie à ce dernier de déclencher les hostilités. 
Les victimes de ses épigrammes sont très diverses : la Comédie-Française, les apothicaires, les Beaunois… et bien sûr les académiciens ! Mais Piron est aussi admiré (et redouté !) pour son extraordinaire vivacité d’esprit et son sens inné de la répartie.
Plusieurs anecdotes témoignent de ce don. Un jour, un plumitif lui soumet deux de ses poèmes et lui demande lequel des deux il préfère. Après avoir achevé la lecture du premier, Piron rend son avis d’un ton sentencieux : « J’aime mieux l’autre. » Lorsque l’archevêque de Paris, connu pour ne pas écrire lui-même ses livres, lui demande s’il a lu le mandement qu’il a fait paraître pour la mort du dauphin, le dijonnais répond : « Non monseigneur, et vous ?  ».
Le panégyrique d'un diplomate 
Le diplomate allemand Friedrich Melchior Grimm clame son admiration pour Piron :
« C’était une machine à saillies, à épigrammes, à trait. (…) Piron était donc un vrai spectacle pour un philosophe, et un des plus singuliers que j’aie vu. (…) C’était dans ce genre de spectacle à coups de langue, l’athlète le plus fort qui eut jamais existé nulle part. Il était sûr d’avoir les rieurs de son côté. Personne n’était capable de soutenir un assaut avec lui ; il avait la répartie terrassante, prompte comme l’éclair et plus terrible que l’attaque. Voilà pourquoi Voltaire craignait toujours la rencontre de Piron parce que tout son brillant n’était pas à l’épreuve des traits de ce combattant redoutable qui les faisait tomber sur ses ennemis comme une grêle. »
Lecture de la tragédie de Voltaire, L'Orphelin de la Chine, chez Mme Geoffrin en 1755, Anicet Charles Gabriel Lemonnier, Rueil-Malmaison, Châteaux de Malmaison et Bois-Préau.

Victime du véto royal

En 1753, Piron est à l’apogée de sa gloire. Protégé par plusieurs riches et influents mécènes, il a son rond de serviette dans le prestigieux salon de Madame de Geoffrinoù se réunissent les plus grands artistes et savants du siècle des Lumières : Voltaire, Rousseau, Fontenelle, Montesquieu, Diderot, D’Alembert, Buffon, Marivaux… Il ne lui manque plus qu’un fauteuil à l’Académie française.
Sa candidature est parrainée par Montesquieu et la marquise de Pompadour : la porte de l’Académie lui est grande ouverte, d’autant que Voltaire est en Prusse. D’Alembert et Buffon qui briguent chacun un fauteuil ont même accepté de se désister en sa faveur.
Madame Geoffrin, Jean-Marc Nattier, 1738, Tokyo Fuji Art Museum.Le bourguignon rassure les académiciens en promettant que lors de son discours de réception il se contentera de lever simplement son chapeau et dire « Merci messieurs ». Son élection est une formalité.
Mais le philologue Jean-Pierre de Bougainville (frère du célèbre explorateur) qui convoite lui aussi le fauteuil, va torpiller la candidature de Piron par l’intermédiaire de l’évêque de Mirepoix, lui-même académicien et adversaire acharné des philosophes. Précepteur du dauphin, le prélat signale à Louis XV que Piron est l’auteur de l’Ode à Priape dont il lui lit le texte à haute voix.
Si le roi de France n’a pas le moindre grief contre Piron, il est néanmoins contraint de mettre son véto à son élection, compte tenu des passages blasphématoires de l’ode. Il faut rappeler qu’à l’époque de nombreux ecclésiastiques siègent à l’Académie et que Voltaire lui-même n’a pu y entrer (après deux échecs) qu’en prononçant une palinodie dans laquelle il promettait de renoncer à ses idées antireligieuses.
Comme Molière et tant d’autres après lui, Piron ne sera jamais érigé au rang d’Immortel. A défaut des honneurs académiques, il obtient cependant, grâce à l’intervention de Montesquieu, une importante compensation : une pension royale égale à celle versée aux académiciens.
Fidèle à lui-même, le dijonnais se vengera de l’institution par une série de saillies et quolibets dont il a le secret, comparant par exemple l’Académie à « une femme à quarante époux presque tous impuissants » et les académiciens à des « invalides de l’esprit ». Son bon mot le plus fameux sur le quai Conti reste cependant : « Ils sont là-dedans quarante qui ont de l’esprit comme quatre. » En 1762, Piron se consolera en étant élu à l’Académie de Dijon.
Buste d'Alexis Piron, Jean-Jacques Caffieri, 1762, sculpteur de Louis XV, musée des beaux-arts, Dijon.

Les dernières années

Au cours des dix dernières années de sa vie, Piron doit faire face à d’importantes difficultés financières. L’ancien libertin s’est en outre considérablement assagi au point de mener une existence pieuse et d’écrire des odes à Dieu. Veuf et atteint de cécité, ce qui l’empêche d’écrire, il est assisté quotidiennement par sa nièce Nanette.
Malgré son grand âge et sa maladie, il n’a rien perdu de son esprit. Par exemple, lors d’une promenade aux Tuileries, sa nièce constate que son pantalon est complètement déboutonné, laissant voir ses attributs. Embarrassée, elle lui chuchote alors : « Mon oncle, tout le monde nous regarde. Cachez votre histoire. » Ce à quoi l’auteur de la Métromanie réplique du tac-au-tac : « Ah mon enfant, il y a bien longtemps que cette histoire-là n’est plus qu’une fable.  »
Le jour de ses 80 ans, Piron a l’honneur de recevoir un visiteur prestigieux : Jean-Jacques Rousseau, de passage à Paris. Cette visite surprise le comble de bonheur et il s’empresse de demander pardon au genevois de l’avoir autrefois traité dans ses épigrammes de « petit philosophe allobroge ». Son hôte l’ayant accueilli en entonnant une prière, Le Cantique de Syméon, Rousseau dit en se retirant : « C’est la Pythie sur son trépied.  »
Alexis Piron s’éteint le 21 janvier 1773 à l’âge de 84 ans. Sans jamais rien perdre de sa gaieté et de sa bonhommie, il trouve la ressource de faire des bons mots jusqu’à son dernier souffle et se charge même de composer sa propre épitaphe, empreinte de son humour inimitable : « Ci-gît Piron qui ne fut rien, pas même académicien ».
Craintifs Immortels
Alexis Piron, gravure de Nicolas Le Mir d'après une peinture de Nicolas Bernard Michel Lépicié, frontispice des Oeuvres choisies (Paris: Duchesne, 1773), bibliothèque du Congrès, Washington.Rancuniers, les Immortels ne daigneront pas se déplacer pour son enterrement à l’église Saint-Roch. Mais ses amis le vengeront en diffusant cette épigramme que Piron n’aurait certainement pas reniée :
Des quarante priés en vain à ton convoi.
Aucun n’en a voulu grossir le petit nombre.
Ne t’en plains pas, Piron, c’est qu’ils avaient ma foi,
Encore peur, même de ton ombre !

Bibliographie

Pierre-Yves Laurioz, Alexis Piron, le libertin repenti, Editions Clea, 2009
Publié ou mis à jour le : 2017