vendredi 27 novembre 2015

Plantu et St Augustin


À force de tout voir, on finit par tout supporter.
À force de tout supporter, on finit par tout tolérer.
A force de tout tolérer, on finit par tout accepter.
A force de tout accepter, on finit par tout approuver
       Saint Augustin 430 ap. J.C.

Etre chrétien (Régis Debray)

" La question au fond est de savoir si un occidental peut briser le moule chrétien sans devenir un salaud. "
 dans "Madame H"

jeudi 26 novembre 2015

Walt Withman

Arrachez les portes mêmes de leurs gonds !
Qui dégrade autrui me dégrade
Et rien ne se dit ou se fait, qui ne retourne enfin à moi.
A travers moi le souffle spirituel s'enfle et s'enfle, à travers moi c'est le courant et c'est l'index.
Je profère le mot des premiers âges, je fais le signe de démocratie,
Par Dieu ! Je n'accepterai rien dont tous ne puissent contresigner la copie dans les mêmes termes.
A travers moi des voix longtemps muettes
Voix des interminables générations de prisonniers, d'esclaves,
Voix des mal portants, des désespérés, des voleurs, des avortons,
Voix des cycles de préparation, d'accroissement,
Et des liens qui relient les astres, et des matrices et du suc paternel.
Et des droits de ceux que les autres foulent aux pieds,
Des êtres mal formés, vulgaires, niais, insanes, méprisés,
Brouillards sur l'air, bousiers roulant leur boule de fiente.
A travers moi des voix proscrites,
Voix des sexes et des ruts, voix voilées, et j'écarte le voile,
Voix indécentes par moi clarifiées et transfigurées.
Je ne pose pas le doigt sur ma bouche
Je traite avec autant de délicatesse les entrailles que je fais la tête et le cœur.
L'accouplement n'est pas plus obscène pour moi que n'est la mort.
J'ai foi dans la chair et dans les appétits,
Le voir, l'ouïr, le toucher, sont miracles, et chaque partie, chaque détail de moi est un miracle.
(…)
Walt Whitman, « Chant de moi-même », Poèmes et proses, paragraphe 24, traduction André Gide, Gallimard.

Le bateau ivre

Le bateau ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

de Camus

"La bêtise insiste".

Schengen : contrôle aux frontières


mardi 24 novembre 2015

finitude et transhumanisme (LC 20151124)

Pour la théologie chrétienne, la mort est un passage nécessaire

Que penser de la possibilité déjà offerte de cryogéniser son corps post-mortem dans l’espoir de ressusciter un jour ? Ou de celle, dans un futur plus ou moins proche, de recevoir des « autogreffes » grâce à des cellules souches et ainsi de se renouveler indéfiniment ? Sur toutes ces techniques futuristes dont le projet revient à repousser, voire même à supprimer la mort, le magistère ne s’est pas encore explicitement prononcé. Et pour cause, il y a peu, cette perspective relevait encore de la
science-fiction. Mais les théologiens, dans leur réflexion, peuvent s’appuyer sur les fondamentaux de
l’anthropologie chrétienne, qui notamment connaît l’homme dans sa finitude de créature
(1). « On se trouve ici à l’acmé du rêve de toute puissance.
Car, de l’espace et du temps dans lesquels l’homme éprouve la morsure de sa finitude, c’est bien ce dernier qui offre le point maximal de résistance », relève ainsi Anne-Marie Pelletier, professeur émérite de littérature et enseignante au Collège des Bernardins.
La théologienne n’hésite pas à rapprocher ce rêve d’une « humanité augmentée à l’infini » de la prétention déjà mentionnée par la Genèse d’« être comme des dieux », c’est-à-dire connaissant « le bien et le mal » mais aussi exemptés de la mort…
Par le récit de la in des patriarches qui meurent « rassasiés de jours » ou à travers les méditations décapantes de l’Ecclésiaste, la Bible rappelle à l’inverse qu’il y a bien « un temps pour enfanter et un temps pour mourir » (Qohélet 3).
Vus sous ce jour, les désirs d’immortalité des hommes apparaissent donc d’abord comme une manifestation de l’orgueil humain face à une finitude jugée insupportable. Mais aussi comme « un fantasme absurde ». « Une vie prolongée indéfiniment à l’identique serait un enfer », fait valoir Anne-Marie Pelletier, rappelant au contraire la promesse annoncée par Isaïe et reprise par Jean dans son Apocalypse d’une « terre nouvelle et (de) cieux nouveaux ». « Les morts ne revivront pas », prévient le prophète Isaïe (26, 14), ruinant par là nos espérances imaginaires et nos représentations idolâtriques, avant – quelques versets plus loin – de rappeler que Dieu seul a pouvoir sur la mort : « Tes morts revivront, tes cadavres ressusciteront. » Dans la foi chrétienne, seul le passage par la mort ouvre à la vie éternelle et à la résurrection des corps.
Loin des fausses consolations offertes par les visions si répandues aujourd’hui sur « l’au-delà », la Bible airme que « si Dieu a ce pouvoir de surmonter la mort, c’est parce qu’il est saint, explique la théologienne. C’est la teneur en sainteté de nos vies qui est gage de vie éternelle ».
ANNE-BÉNÉDICTE HOFFNER

(1) Transversalités, supplément 3. « Destinée de l’humanisme et révolution anthropologique  contemporaine. Trouble dans la définition de l’humain (II) ». Revue de l’Institut catholique de Paris. Sous la direction d’Henri-Jérôme Gagey et Brigitte Cholvy, 2015, 20 €.

dimanche 22 novembre 2015

Thomas Merton

Le moine ne doit pas s’imaginer que dans un temps de chaos comme le nôtre, sa seule fonction est de préserver des usages anciens. Certes ces usages et ses coutumes sont nécessaires, ils ont leur valeur pour autant qu’ils aident à vivre avec une conscience plus libre le Mystère du Christ. Le passé doit survivre et le moine est le gardien du passé. Mais le monastère doit être autre chose qu’un musée. Si le moine ne fait que maintenir debout des monuments de l’art, ou préserver des documents de la littérature et de la pensée qui sans lui périraient, il n’est pas ce qu’il doit être. Il périra avec ce qui périt autour de lui.
 
Le moine n’existe pas pour préserver quoi que ce soit, même pas la religion ou la contemplation. Son rôle n’est pas de garder vivant dans le monde le souvenir de Dieu. Dieu ne dépend de personne pour vivre et agir dans le monde, pas même de ses moines ! Au contraire, le rôle du moine en notre temps est de se garder vivant lui-même par son union à Dieu.
 
A notre époque où tout le monde est emporté dans une lutte culturelle et politique, le moine a comme premier devoir d’être moine, un homme de Dieu, un homme vivant de Dieu et pour Lui seul. Alors il préservera ce qui est vraiment riche et digne de vivre dans sa tradition monastique et dans le Christianisme.
 
Thomas Merton
Basic Principles of Monastic Spirituality
Gethsémani 1957

dimanche 15 novembre 2015

Gratte-ciels ! Gains de place...?????

Des gratte-ciel pour quoi faire ?

C'est, on l'a vu, la pression spéculative sur les centres d'affaires qui a inspiré la construction des gratte-ciel : les grandes entreprises modernes aspirent toutes à avoir leur siège là où tout se décide et où il faut se montrer.
Et l'on aboutit à un contraste particulièrement frappant dans les cités américaines entre un centre d'affaires très dense et très haut (le downtown) et des quartiers résidentiels bas et diffus, étendus à l'infini, avec pour conséquences la stérilisation de vastes espaces naturels ou agricoles et l'explosion des déplacements pendulaires domicile-travail.
De ce fait, contrairement à une idée reçue, la construction de grande hauteur est gaspilleuse tout à la fois d'espace, d'énergie et de temps (transports), à l'opposé de l'urbanisme de type haussmanien, qui réunit logements, services et locaux professionnels dans un même quartier.

http://www.herodote.net/Gratte_ciel-synthese-2074.php 


 
Heureusement il y a Queneau !

« Grand standigne »

« Un jour on démolira
ces beaux immeubles si modernes
on en cassera les carreaux
de plexiglas ou d’ultravitre
on démontera les fourneaux
construits à polytechnique
on sectionnera les antennes
collectives de télévision
on dévissera les ascenseurs
on anéantira les vide-ordures
on broiera les chauffoses
on pulvérisera les frigidons
quand ces immeubles vieilliront
du poids infini de la tristesse des choses »


(Raymond Queneau, « Grand standigne », Courir les rues, 1967)

samedi 14 novembre 2015

Boualem Sansal

علام صنصال
15/10/1949
écrivain algérien très critique envers le régime et l'islam
Ecole nationale polytechnique d'Alger
Docteur en économie
Limogé de son poste de haut fonctionnaire à l'industrie en raison de ses critiques du pouvoir, de l'islamisme montant et de la corruption générale.









(C'est la seule de ses photos où il ne regarde pas l'objectif, et me donne donc l'impression de ne pas s'occuper de l'impression qu'il fait.)

Citation

« La religion me paraît très dangereuse par son côté brutal, totalitaire. L'islam est devenu une loi terrifiante, qui n'édicte que des interdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plus violents. Il faudrait qu'il retrouve sa spiritualité, sa force première. Il faut libérer, décoloniser, socialiser l'islam. »

J'ai lu de lui : "Gouverner au nom d'Allah" et "2084" que je n'ai pas aimé du tout. 1984 dont il fait un "remake" était inachevé, on lui pardonnait ses faiblesses; pour ce livre-ci, je n'ai pas compris le bruit qu'on fait autour de lui.

Aurait été "éjecté" de la liste des finalistes du Goncourt 2015; d'après Alain Finkielkraut ce n'est pas un hasard; j'en suis moins certain que lui; Christine Angot et Delphine de Vigant l'ont également été. On peut toujours y chercher des raisons politiques, qui sont plausibles, bien sûr ; ou insinuer que les Goncourt ont fait preuve de lâcheté. Peut-être nos avis se rejoignent-ils, au fond.

Les écoles sont des réseaux

ou des tribus, ou des clans; au fond les réseaux sont des clans. Nihil novi...

"A la Cambre on parle bien,
à Saint-Luc on dessine bien
à l'Aca(démie) on se fatigue."

mardi 10 novembre 2015

Heidegger

A la rencontre de ...
Martin Heidegger, le nouveau livre de Danielle Moyse à paraître ches Oxus le 26 Juin 2013
Martin Heidegger est sans aucun doute l'un des penseurs majeurs du xxe siècle, si ce n'est le penseur du xxe siècle, au sens où sa pensée permet d'entrer en intelligence avec notre temps, ouvrant par là une voie profondément méditante vers ce qui vient à nous. Mais l'oeuvre de ce philosophe a aussi la réputation d'être difficile d'accès, en raison précisément de l'originalité de son travail.Pour s'engager sur la bonne voie, un guide est de toute évidence bienvenu. Danielle Moyse, se charge ici de nous accompagner en se gardant bien de nous servir un exposé magistral ; elle nous invite plutôt, par le récit de son propre chemin, à l'écoute d'une parole philosophique inouïe. S'étant particulièrement attachée aux questions éthiques relatives au handicap, au dépistage prénatal et à l'euthanasie, elle éclaire pour nous des problèmes devenus aujourd'hui cruciaux et qui trouvent dans l'oeuvre de Heidegger un espace où la méditation est essentielle.

Danielle Moyse est professeur agrégée et docteur en philosophie. Elle a consacré sa thèse de doctorat à Martin Heidegger. Elle est chercheuse associée à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (CNRS/INSERM).
Elle a publié Bien naître, bien être, bien mourir (Érès, 2001), Handicap : pour une révolution du regard (PUG, 2010), et a participé aux ouvrages Vers un droit à l'enfant normal ? (Érès, 2005) et Les Personnes handicapées face au diagnostic prénatal (Érès, 2001). Chroniqueuse dans la rubrique « Science et éthique » du journal La Croix depuis 2006, elle réalise des documents audiovisuels sur philosophie.tv depuis 2011.

Bernard Pivot

Bernard Pivot, « gratteur de têtes », dans « Les confessions d’Apostrophes »

Quarante ans après la création d’« Apostrophes », Pierre Assouline soumet quelques séquences mémorables à Bernard Pivot, vendredi 6 novembre sur France 2.

6/11/15 - 11 H 04
lesvendredisdapostrophes1775738773033984604
CINETEVE/FRANCE 2
AVEC CET ARTICLE
Dans notre édition des 31 octobre-1er novembre, l’écrivain anglais William Boyd, reconnaissant, rappelait, pour en avoir bénéficié, l’importance considérable d’« Apostrophes », cette émission restée unique au monde.
Quarante ans après sa création, Pierre Assouline soumet à Bernard Pivot quelques moments saillants de ce rendez-vous hebdomadaire qui s’arrêta en 1990. De courtes séquences saisies sur le vif du direct que commente l’animateur-producteur en les revoyant.
On peut ainsi observer ses réactions a posteriori, tamisées ou avivées par le temps, avec les précisions de contexte et de situation qu’il apporte à ces images, qui appartiennent pour toujours au patrimoine de la télévision, pour la plupart restées dans nos mémoires.

PIVOT, UN AMPHITRYON AFFABLE ET AVISÉ

« Apostrophes », dernier salon où l’on venait causer, était régenté par un amphitryon affable et avisé qui se distrayait du spectacle des conversations qu’il organisait.
u long de cet abécédaire illustré, un tantinet paresseux, Bernard Pivot avoue son regret, par modestie, de n’avoir jamais déjeuné avec Françoise Sagan, son coup de foudre pour Jane Fonda, explique sa gestion du très aviné Bukowski sorti du plateau, dévoile les coulisses d’affrontements inattendus (Jean d’Ormesson-Roger Peyrefitte), de l’exécution méthodique par Simon Leys de Maria Antonietta Macciocchi, les ruses de Vladimir Nabokov.
Mais aussi sa culpabilité d’avoir poussé sans ménagement Simenon sur le suicide de sa fille. Quelques grands moments resurgissent comme les crises de fous rires avec Desproges, irrésistible, ou les révélations d’un soir (Claude Hagège).
« Apostrophes » fut aussi marqué par de précieux rendez-vous en tête à tête (Marguerite Duras, Marguerite Yourcenar, Albert Cohen, Marcel Jouhandeau) et le long compagnonnage avec Alexandre Soljenitsyne, banni de son pays, et, bien sûr, Patrick Modiano. Bernard Pivot, qui se qualifie de « gratteur de têtes », pourrait reprendre à son compte l’impératif moral que se fixait Marguerite Yourcenar : la ferme détermination d’être utile.

Hirosaku Kore-Eda

« Tel père, tel fils », des hérédités contrariées

Prix du jury et mention spéciale du jury du prix œcuménique lors du dernier Festival de Cannes, ce film sensible s’interroge avec intelligence sur la force du lien filial.

23/12/13 - 15 H 48
Une interrogation sur la nature et la force du lien filial.
Une interrogation sur la nature et la force du lien filial.
 TEL PÈRE, TEL FILS ***,  de Hirokazu Kore-Eda. Films japonais, 2 heures 
Voilà un bien beau film qui, lors du dernier Festival de Cannes, offrit un moment de pause au milieu des fureurs de la compétition. Après Nobody KnowsStill WalkingAir DollI Wish – Nos vœux secrets, le délicat Hirokazu Kore-Eda revient sur les thèmes du lien filial et de l’enfance, chers à son cœur et si présents dans son œuvre. 
Né en 1962, devenu père d’une petite fille il y a quelques années, le réalisateur met en scène un architecte d’une quarantaine d’années, Ryoata, très investi dans son travail et comptant sur son épouse, mère au foyer, pour veiller à la bonne éducation de leur fils unique. 
Âgé de 6 ans, leur garçon est inscrit dans une bonne école et participe à des activités d’éveil en compagnie d’autres enfants triés sur le volet. Tout se passe, pourtant, comme s’il ne saisissait pas vraiment la chance qui lui est offerte – ce que le père, battant, met sur le compte du tempérament de sa femme.

LA FAMILLE BOULEVERSÉE

Un appel téléphonique de la maternité où l’enfant a vu le jour vient soudain bouleverser les fondements mêmes de la famille. Après des explications très embarrassées, les responsables de l’établissement expliquent aux parents du garçon, en présence d’un autre couple venu de la campagne, qu’un malencontreux échange de bébés à la naissance a conduit chaque famille à élever le fils de l’autre.
Incrédulité. Stupeur. Révolte. Passé le choc de cette annonce, les deux familles, si différentes soient-elles (l’autre père est un petit électricien fantasque et débonnaire), entreprennent tant bien que mal de se rapprocher, dans le but de procéder, après un long temps d’acclimatation, à un nouvel échange.

UNE RÉFLEXION SUBTILE SUR LA TRANSMISSION

À travers cette trame de fait divers, dont il n’abuse pas du point de vue de l’intrigue, Hirokazu Kore-Eda s’interroge sur la nature et la force du lien filial – plus précisément, de paternité. Avec, en guise de pierre d’achoppement, cette vertigineuse question : qu’est-ce qui transforme un homme en père ? Qu’est-ce qui prime, du lien du sang ou du temps passé à nouer une relation affective ? Que transmet-on réellement ? Comment ?
Le cinéaste dit s’être inspiré de faits divers remontant au grand boom des naissances, dans les années 1960, pour bâtir son film, néanmoins ancré dans le Japon d’aujourd’hui. Au-delà du cadre choisi pour le récit, ce qu’il y met de substance est à la fois très personnel et parfaitement universel. 
Les images à l’élégance soignée, l’interprétation tout en retenue, les situations abordées en affleurements successifs, la musique de Bach (à travers les Variations Goldberg interprétées par Glenn Gould) forment une œuvre subtile, intelligemment bouleversante, qui multiplie les possibles en se gardant bien d’asséner des réponses.
23/12/13 - 15 H 48

Glenn Gould L'intégrale

Une intégrale de Glenn Gould, l’immortel

Une nouvelle intégrale des enregistrements du pianiste canadien Glenn Gould montre que sa popularité ne se dément pas, trente-trois ans après sa mort.

6/11/15 - 08 H 40
Le pianiste Glenn Gould (1932-1982).
SONY CLASSIC
Le pianiste Glenn Gould (1932-1982).
AVEC CET ARTICLE
Il est au piano ce que Maria ­Callas est à la voix : un archétype, la figure emblématique de l’instrument. L’icône qui représente le mieux pour le grand public l’excellence du musicien classique. À l’instar de la Callas, les enregistrements de Glenn Gould, mort en 1982, sont régulièrement réédités, et nul ne se lasse de les écouter, tant son jeu et sa conception des œuvres, mais aussi sa vie et le mystère qui l’entoure, le rendent actuel.
« C’est peut-être le génie de la Columbia, dès son premier disque en 1955, d’avoir ‘‘vendu’’ Gould comme une personnalité hors norme, un nouveau James Dean.À cela s’est ajoutée sa mort à 50 ans, sa carrière de concertiste soudain interrompue, son agoraphobie, son autisme, ses excentricités – le bain des mains dans l’eau chaude avant chaque concert, le studio à 32 °C, la chaise rabotée et trouée… Le mythe Gould fonctionne aujourd’hui, comme en 1955 ou après son dernier concert en 1964 », constate le musicologue allemand Michael Stegemann, son biographe (1).
Ce mythe a même grandi au point de ne pouvoir le séparer du musicien : « Ainsi il demeure possible de le présenter à un public non initié, qui découvre la richesse de ce répertoire à travers une personnalité qui le fascine », ajoute ce spécialiste.

BACH, SCHÖNBERG, BYRD...

Gould est d’abord le génial interprète de Bach. Ses Variations Goldberg demeurent l’alpha et l’oméga des enregistrements : la première version, en 1955, le révéla, la seconde, en 1981, reste la plus accomplie, la plus poétique.
Il est aussi le premier pianiste nord-américain à avoir enregistré Schönberg, le premier à s’être intéressé à Byrd, Gibbons, Strauss, Sibelius, Krenek ou Hindemith, autant qu’à Scarlatti, Haendel, Haydn, Mozart, ­Beethoven, Schumann, Brahms, Wagner, Bizet, Scriabine, Grieg, Prokofiev… Sans oublier ses contemporains canadiens.
La nouvelle édition qu’en propose Sony impressionne. Les basses grondent, les aigus étincellent, le nuancier est ample, les lignes sont claires. Et les reliefs si nets que l’on a le sentiment que Gould joue devant nous.
Glenn Gould Remastered. Coffret de 81 CD et livre de 416 pages. Sony Classical.
(1) Glenn Gould. Leben und werk (Piper, Munich).