Voici un article de Causeur sur Simon Leys qui reflète ma pensée, et sur l'intéressé et sur la prétentieuse imbécillité des gourous de Paris et d'ailleurs.
J'ajoute que Simon Leys a contribué au New York Times Review of Books, qui n'est pas ouverte à n'importe qui ; qu'il a eu à défendre la nationalité de ses enfants contre l'imbécillité des services du ministère des affaires étrangères (sous M. Karel De Gucht) ; qu'il a écrit plusieurs essais sur la mer et sur la littérature qui méritent une place dans toute honnête bibliothèque ; et que son style est limpide et très agréable à lire.
Simon Leys quitte la Chine pour l’éternité
Il ridiculisa les maoïstes de tous les pays
Publié le 14 août 2014 à 12:00 dans Culture Monde PolitiqueMots-clés : Chine, Mao, Pierre Ryckmans, Simon Leys
Par Luc Rosenzweig
Pierre Ryckmans, plus connu sous son pseudonyme éditorial Simon Leys, est décédé, le 11 août, à l’âge de 78 ans, dans la lointaine ville de Canberra, improbable capitale administrative de l’Australie, où il résidait avec sa famille depuis le début des années soixante-dix du siècle dernier. Qu’on ne se méprenne pas à propos des louanges post mortem que consacrent aujourd’hui les grands médias français à cet immense sinologue belge. L’encens qu’ils répandent aujourd’hui autour de son cercueil ne saurait dissiper l’odeur nauséabonde des tombereaux d’ordures qu’ils déversèrent sur lui lors de la publication de ses ouvrages consacrés à la Chine de Mao et à la Révolution culturelle, notamment Les habits neufs du président Mao , paru en 1971. Ce livre survient alors que la France intellectuelle est en pleine hystérie maoïste post soixante huitarde : de Normale Sup à Vincennes, la GRCP (Grande Révolution Culturelle Prolétarienne) la geste maoïste est venue au secours des orphelins d’une révolte tombée en quenouille. La fine fleur de l’intelligentsia hexagonale, Roland Barthes, Philippe Sollers, Michel Foucault, Jean Paul Sartre se font les chantres zélés de la geste maoïste, dont Louis Althusser et ses disciples Benny Lévy, les frères Miller (Jacques-Alain et Gérard), Jean-Claude Milner sont les coryphées. Et voilà qu’un obscur universitaire d’outre Quiévrain, inconnu au bataillon des habitués de la Closerie des Lilas, se permet, armé de sa seule connaissance de la langue, de la civilisation et de la société chinoise de démonter le mythe d’une Révolution culturelle émancipatrice de l’humanité entière.
Pour Ryckmans, devenu pour l’occasion Simon Leys pour ne pas obérer ses possibilités de retourner en Chine, cette GRCP se résume à une sanglante lutte de pouvoir au sommet de l’Etat communiste, où Mao et ses sbires instrumentalisent la jeunesse pour éliminer ceux qui l’avaient écarté du pouvoir réel à Pékin : Liu Shao Shi, Deng Hsiao Ping, puis Lin Biao. Cette interprétation, aujourd’hui universellement admise, fait alors scandale : en quelques lignes, Le Monde exécute l’ouvrage d’un « China watcher travaillant avec les méthodes américaines » et « comportant des erreurs et des faits incontrôlables en provenance de la colonie britannique ». Ce libelle est signé des initiales d’Alain Bouc, correspondant du Monde à Pékin, dont la ferveur envers le « Grand Timonier » justifiera la qualification, par les situationistes de Guy Debord, du quotidien de la rue des Italiens de « principal organe de presse maoïste paraissant hors de Chine ».
Pierre Ryckmans, rejeton de la grande bourgeoisie belge, est pourtant tombé dans la controverse politique à son corps défendant. S’étant pris de passion pour la Chine lors d’un voyage d’étudiants belges dans les années cinquante, il se consacre à l’étude de la langue, de la littérature et des arts de ce pays. La politique, au mieux l’indiffère, au pire lui fait horreur, comme à celui qu’il reconnaîtra plus tard comme l’un de ses maîtres à penser, George Orwell. Un événement, pourtant, le précipite dans la controverse qui va marquer sa vie et son œuvre : en 1967, alors qu’il se trouve à Hong Kong, contractuel au consulat général de Belgique, un artiste de variété Li Ping est sauvagement assassiné devant sa porte par des sbires du régime de Pékin, coupable d’avoir brocardé Mao à la télévision hongkongaise. Il peut voir également chaque jour les cadavres des suppliciés de la Révolution Culturelle s’échouer sur les plages de la colonie, emmenés par milliers par le courant des fleuves se jetant dans la mer de Chine. Mettant de côté ses chères études sur la calligraphie et la peinture chinoise ancienne, il se plonge dans la sinistre langue de bois des publications maoïstes pour y déceler la part de vérité qui peut s’y cacher : un travail de décryptage dont le précurseur est un père jésuite, Lazlo Ladany, éditeur à Hong Kong de l’hebdomadaire China news analysis, épluchage minutieux des publications officielles. C’est ce qui rend le discours de Leys inattaquable : tout ce qu’il rapporte provient d’écrits dûment tamponnés par la censure maoïste, dont il suffit de connaître les codes de langages, de présentation et de mise en scène pour les décrypter. Qu’on fête, ou non, l’anniversaire d’un dirigeant national ou local, un recul ou une avancée dans la liste des personnalités présentes à une manifestation officielle, le choix des photos en une du « Quotidien du peuple » constituent un métalangage qu’un travail de bénédictin permet de décrypter.
« La pire manière d’avoir tort c’est d’avoir eu raison trop tôt ! » dira Ryckman-Leys bien des années après avoir pu constater qu’en Occident, principalement en France, la cabale des dévots du maoïsme, de gauche comme de droite, réussira, pendant de nombreuses années, à confiner ses écrits dans la confidentialité. Il fallut attendre 1989, et la chute du communisme soviétique pour que Les Habits neufs du président Mao soient édités en poche, et 1998 pour qu’une sélection de ses écrits sur la Chine soit publiée dans la collection « Bouquins » à l’initiative de Jean-François Revel, l’un des rares intellectuels français ayant soutenu Ryckmans. Bernard Pivot, prudent comme de coutume, attendit 1983 avant de le convier à une séance d’Apostrophes sur le thème « Les intellectuels face au communisme » 1. Il n’eut pas à le regretter : en quelques minutes, Ryckmans mit en pièces la maoïste de salon Maria Antonietta Macchiochi, qui avait commis un livre de 500 pages à la gloire du Grand Timonier à l’issue d’un mois de visite guidée à travers la Chine en 1971. Ryckmans « Ce livre est stupide, c’est le plus charitable que l’on puisse en dire… si ce n’est pas une stupidité, alors c’est une escroquerie, ce qui est beaucoup plus grave… ». Pivot n’en est pas encore revenu : c’est la seule fois de sa carrière où un livre présenté à Apostrophes, celui de Macchiochi, a vu le rythme de ses ventes baisser après l’émission…
« Dans une controverse, on reconnait le vainqueur à ce que ses adversaires finissent par s’approprier ses arguments en s’imaginant les avoir inventés » constatait encore Ryckmans dans un article de la New York Review of Books en hommage Lazlo Ladany, son maître en « maologie ». Le triomphe de Ryckmans fut modeste, trop content qu’il était de pouvoir, enfin, se consacrer à ses passions littéraires, artistiques et maritimes à 20 000 km de Saint Germain des Près. La morgue de ses adversaires, en revanche, ne s’est en rien atténuée, trouvant dans d’autres passions exotiques matière à pontifier.
*Photo: ALFRED/SIPA.00512510_000006
On peut se procurer cette émission pour la modeste somme de 2,99 euros sur le site de téléchargement de l’INA. C’est donné pour un moment jubilatoire… Cf http://www.ina.fr/video/CPB83052216 (et aussi gratuitement sur youtube ; vaut assurément le détour ; ndlr)
http://www.causeur.fr/simon-leys-chine-eternite-28865.html
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