tiré de "Quand Madelon" de Louis Bousquet/Camille Robert (© 1914 éditions Louis Bousquet).
Cette chanson doit son existence dans notre imaginaire à un étonnant concours de circonstances.
Créée en 1913, elle fut avant-guerre au répertoire de Bach, un comique troupier. Mais la chanson, parce qu’elle n’était pas drôle, n’eut aucun succès et il l’abandonna sans tarder… En 1915, le même est en tournée à l’arrière des tranchées pour divertir les militaires.
À la in de son tour de chant, le public le rappelle. Lui se souvient subitement de cette chanson un peu
rabat-joie, qu’il entame pour « éteindre » le public. Au contraire, la salle se met à pleurer, et acclame Bach qui doit la rechanter. Sans tarder, l’air et les paroles, apprises par coeur, se répandent dans les tranchées. On se la chante entre soi, on la réclame. Bientôt tous les artistes la mettront à leur répertoire.
Peu de chansons de 1914-1918 occupent dans l’imaginaire collectif une place aussi importante que
« Quand ». Cet hymne des poilus, véritable talisman qu’ils connaissaient tous par coeur, les touchait car elle exprimait exactement leur ressenti.
On a de Quand Madelon l’idée d’une chanson grivoise, faite pour amuser les « poilus » au café-concert. C’est le contraire : ceux qui l’entendaient pleuraient et la redemandaient parce qu’elle exprimait exactement leur ressenti : le propre d’une grande chanson. Il est vrai qu’elle propose une vraie mise en abîme pour le soldat : elle se passe dans un « tourlourou », un cabaret où l’on vient chanter, à l’écart des combats, et où s’installe peu à peu une petite économie parallèle, axée autour du divertissement. Le tourlourou, c’est aussi l’endroit où les hommes peuvent pleurer, la chanson permet cela. Loin des gens qu’ils aiment, parce qu’ils soufrent dans leur chair et dans leur âme,
parce qu’ils ont froid. Précisément, cette femme, Madelon, est là pour faire penser à toutes les autres. Elle donne du vin, rien de plus. Si l’on est trop entreprenant, « elle rit, c’est tout le mal qu’elle sait faire », généreuse comme une soeur, sans agressivité (l’inverse de l’horreur des combats), dont il ne faut pas tomber amoureux mais dont la présence et la gentillesse suffisent à assouvir le manque. Quand Madelon est donc tout l’inverse d’une chanson comique. « C’est l’hymne de coeur des poilus qu’il faut entendre avec sa mélancolie, comme un Lied de Schubert ! », selon Olivier Hussenet, artiste permanent au Hall de la chanson.
Cette chanson est un talisman. Certains affirment qu’on ne la chantait pas en allant se battre. C’eût été la galvauder. D’autres au contraire disent qu’ils se la répétaient en eux-mêmes pour ne pas s’effondrer. Comme une prière.
JEAN-YVES DANA
TEXTE
Pour le repos, le plaisir du militaire,
Il est là-bas, à deux pas de la forêt,
Une maison aux murs tout couverts
de lierre
« Aux Tourlourous » c’est le nom
du cabaret
La servante est jeune et gentille,
Légère comme un papillon.
Comme son vin son oeil pétille,
Nous l’appelons la Madelon
Nous en rêvons la nuit,
nous y pensons le jour,
Ce n’est que Madelon mais pour nous
c’est l’amour.
Refrain
Quand Madelon vient nous servir à boire
Sous la tonnelle on frôle son jupon
Et chacun lui raconte une histoire
Une histoire à sa façon
La Madelon pour nous n’est pas sévère
Quand on lui prend la taille ou le menton
Elle rit, c’est tout le mal qu’elle sait faire
Madelon, Madelon, Madelon !
Nous avons tous au pays une payse
Qui nous attend et que l’on épousera
Mais elle est loin, bien trop loin pour qu’on lui dise
Ce qu’on fera quand la classe rentrera
En comptant les jours on soupire
Et quand le temps nous semble long
Tout ce qu’on ne peut pas lui dire
On va le dire à Madelon
On l’embrasse dans les coins.
Elle dit : « Veux-tu finir… »
On s’figure que c’est l’autre,
ça nous fait bien plaisir.
https://www.youtube.com/watch?v=lm4tViuVoJM
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