mercredi 2 mai 2018

Libération - Shah Maraï, photographe de l'AFP - sans commentaire

Shah Marai, au bureau de l'AFP à Kaboul, en 2012. Photo Johannes Eisele. AFP
 
Shah Marai donnait l’impression d’avoir toujours travaillé au bureau de l’AFP à Kaboul. Il était là en 1996, alors que les talibans venaient de prendre le pouvoir. Il était là en 2000 quand tous les journalistes étrangers avaient été chassés. Il était toujours là en 2001 lors de l’intervention américaine. Il était encore là, lundi matin, lors d’un nouvel attentat à Kaboul.
Il venait d'arriver, juste après qu'un kamikaze à moto se soit fait exploser devant le siège des services de renseignement afghans, dans un quartier censé être l'un des mieux sécurisés, où sont installés l'Otan et plusieurs ambassades. Un deuxième kamikaze attendait que les journalistes arrivent. Il s'est faufilé parmi eux. Shah Marai a été tué dans la seconde explosion. Au moins quatre autres journalistes afghans ont péri. Au total, l’attentat, revendiqué par l’Etat islamique, a fait plus de 25 morts.

Espoir perdu

Shah Marai avait débuté comme chauffeur pour l'AFP en 1995. Trois ans plus tard, comme il l'a raconté dans un billet écrit pour le blog de l'agence de presse, il se lançait dans la photo. L'exercice, sous le régime du mollah Omar, était périlleux. Les talibans avaient interdit toute photo d'être vivant, y compris les animaux. Shai Marai rusait, cachait son appareil dans une écharpe. Il ne signait pas ses photos, se contentant d'un vague «Str» (l'abréviation de «stringer», «pigiste»).


 A la fin 2001, quelques semaines après les attentats du 11 Septembre, il assiste à l'arrivée des troupes étrangères. Les talibans ont fui, Kaboul est libéré. Shah Marai photographie l'espoir ; le pays s'ouvre, les provinces les plus reculées redeviennent accessibles et la guerre, incessante depuis plus de vingt ans, semble reculer. L'espoir ne dure pas. Dès 2005, les talibans reviennent et les combats reprennent.

A selection of his work pic.twitter.com/xgVrphue8n

Shai Marai aurait pu prendre la route de l'exil ou choisir un métier moins dangereux. Mais il est resté à l'AFP, où il devient chef du service photo. Il est toujours aussi discret et talentueux. En mars 2014, une autre figure du bureau, Sardar Ahmad, est tué avec sa femme et deux de ses enfants dans une attaque des talibans contre l'hôtel Serena. Son plus jeune fils est gravement blessé mais survit.

Attentats toujours plus meurtriers

A Kaboul, Shah Marai disait qu'il avait perdu tout espoir que son pays ne sombre pas totalement. Depuis près de deux ans, les attentats se succèdent, toujours plus meurtriers, toujours plus violents. Les bilans se comptent en dizaines de morts. Le 27 janvier, une ambulance piégée a tué plus de 100 personnes dans le centre, au bout de Chicken street, l'une des rues emblématiques de la capitale, où se regroupent les vendeurs de tapis et de bijoux.




Personne ne se sent plus en sécurité à Kaboul. Les chauffeurs de taxi évitent certains quartiers, des commerçants vendent leur magasin pour repartir dans leur province, les Afghans les plus riches se sont déjà exilés, à Dubaï ou en Turquie. Les plus pauvres s'endettent et continuent à essayer de rejoindre clandestinement l’Europe.
Shai Marai était resté. Mais il ne vivait plus comme avant. Il se méfiait de chaque trajet et ne se promenait plus avec ses enfants dans les rues. Il en avait six, dont une fille qui vient de naître.


 Lors des obsèques d’une victime d’un attentat suicide, à Kaboul, en janvier 2016. Photo Shah Marai. AFP
 Luc Mathieu

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