mercredi 23 mai 2018

LC 20180523 Philip Roth - in memoriam

Philip Roth et le judaïsme, l’histoire d’un malentendu

L’écrivain américain est mort mercredi 23 mai à l’âge de 85 ans. Son œuvre colossale est marquée par le milieu juif, qu’il dépeint fréquemment et sans concession, et avec lequel il aura suscité maintes controverses et tensions.

Philip Roth chez lui en septembre 2005 à Warren aux Etats-Unis.
Philip Roth chez lui en septembre 2005 à Warren aux Etats-Unis. / Douglas Healey/AP

Petit-fils d’immigrés juifs d’Europe de l’Est, Philip Roth n’aura néanmoins pas manqué d’être conspué par une partie des juifs aux États-Unis. Sa description de la judéïté, en filigrane de nombre de ses romans, ne témoigne pas d’une particulière bienveillance à l’égard du milieu dans lequel il a grandi, certains y voyant même de l’antisémitisme.
Deux de ses ouvrages en particulier ont suscité la controverse : Goodbye, Columbus (1959) et Portnoy et son complexe (1969). Le premier est aussi son tout premier livre. C’est en réalité un recueil de nouvelles, dont l’une est le point de départ des relations houleuses de l’écrivain avec d’autres juifs. Intitulée Défenseur de la foi et publiée dans le New Yorker, elle a provoqué une avalanche de lettres de lecteurs, pour la plupart hostiles. De nombreux rabbins à New York ont conspué le texte dans leurs sermons. « N’y a-t-il donc personne pour réduire cet homme au silence ? Les Juifs du Moyen Âge auraient su quoi faire de lui », a écrit l’un d’eux dans une lettre à la Ligue Antidiffamation.


Le communautarisme et ses dérives exposés

Pourquoi tant de violence contre ce texte ? La nouvelle raconte l’histoire d’un jeune soldat juif qui cherche à obtenir des faveurs d’un frère d’arme, au nom de leur religion commune. Ce qui gêne alors, explique Marc Knobel, historien et directeur des études au Crif, c’est que Philip Roth évoque directement « la question du communautarisme juif aux États-Unis et la question de la solidarité communautaire, en plus du rapport de la laïcité avec des pratiques religieuses spécifiques ».
Philip Roth est accusé par certains de ses détracteurs de « faire autant de mal avec « Défenseur de la foi » que toutes les organisations antisémites pour faire croire que tous les juifs sont des menteurs et des voleurs ». Le texte de l’auteur américain est la cible d’une critique au premier degré qui ne prend pas en compte l’aspect volontairement caricatural de ses personnages. Pour Marc Knobel, la simple lecture d’« Elie le fanatique », autre nouvelle du recueil, « suffit à balayer les accusations d’antisémitisme. L’histoire : des Juifs très intégrés tentent de convaincre un vieux coreligionnaire de cesser de porter son habit traditionnel en public. Le personnage principal, qui fait partie du groupe, se mettra finalement au terme du livre à porter lui-même ces vêtements.

« Un écrivain libre »

Dix ans plus tard, nouveau vent de polémique avec la parution de son troisième roman « Portnoy et son complexe ». À nouveau, son style cru et sans concession navigue entre son expérience personnelle et la fiction la plus imaginaire, pour servir un récit traitant d’un avocat juif new-yorkais aux obsessions sexuelles marquées. Un mélange des genres qui choque, et soulève une fois encore des critiques, ses détracteurs accusant Philip Roth de véhiculer les pires clichés antisémites.
Pour l’historien Marc Knobel, ce qui suscite un tel malaise des milieux juifs envers Philip Roth est l’incompréhension face à « un écrivain totalement libre. Ils ont pris sa liberté pour de l’antisémitisme ». Récusant ces accusations, l’écrivain a aussi toujours refusé d’être catalogué « écrivain juif », marquant clairement son indépendance.
« Il s’accorde le droit de caractériser les choses qui lui tiennent à cœur, » décrypte encore l’historien. « D’ailleurs, il n’est pas dur qu’avec les juifs. Il est avant tout dur avec l’Amérique ». Son regard acerbe et sa plume désopilante teintée de caricature se portent sur toute la société, avec le refus marqué d’être limité par la bienséance. « Je ne suis pas certain que Philip se rende toujours compte qu’il est scandaleux, » avait déclaré à son compte le Prix Nobel de littérature Saul Bellow. « C’est un radical. Il estime qu’il doit traiter le bizarre comme si c’était tout à fait normal ».
L’écrivain a beau être sulfureux et se heurter à un certain puritanisme américain, cette totale liberté lui vaudra aussi son succès, en témoigne le fameux « Portnoy et son complexe ». À sa publication, il écoula 275 000 exemplaires en seulement 48 heures.
Joséphine Kloeckner
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire