La Croix - samedi 5 mai 2018
Israël, 70 ans d’histoire et de tumultes
Soixante-dix ans après sa création le 14 mai 1948, Israël est bien différent de l’État rêvé par les pionniers qui l’ont créé. Retour en dix dates sur cette tumultueuse histoire.
Tout
ne s’est pas joué le 14 mai 1948. Mais ce jour-là, l’histoire a pris un
cours nouveau. En déclarant l’indépendance, David Ben Gourion et les
pères fondateurs d’Israël concrétisaient un État dont les fondements
avaient été jetés durant les cinquante années précédentes. Depuis la fin
du XIXe siècle, des dizaines de
milliers de juifs s’étaient déjà installées en Palestine, où des
kibboutz avaient été construits en nombre et des institutions politiques
et militaires créées. Une situation de fait que la proclamation de
l’indépendance allait entériner.
Pour
Israël, ces débuts ont souvent pris la forme d’une aventure, parfois
même d’une épopée. À partir de 1947, ils se sont soldés par l’exil vers
les pays voisins pour plus de 700 000 Palestiniens. Avènement pour les
uns, nakba (« catastrophe ») pour les autres : rarement l’histoire a suscité des lectures à ce point contraires.
C’est pourquoi, pour faire le récit des soixante-dix ans d’Israël, La Croix
a choisi de solliciter des spécialistes de toutes sensibilités.
L’exhaustivité étant impossible, dix dates marquantes ont été
revisitées. Les unes sont incontournables, les autres pourront paraître
plus anecdotiques. Elles n’en sont pas moins révélatrices des évolutions
et du chemin parcouru.
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1948
L’indépendance et la guerre
Musée
de Tel-Aviv, boulevard Rothschild, le 14 mai. Le mandat britannique sur
la Palestine doit expirer à minuit quand, vers 16 heures, David
Ben Gourion prononce la déclaration d’indépendance d’Israël. Au mur, un
portrait de Theodor Herzl, le journaliste autrichien qui, en 1896, avait
envisagé la formation d’un État juif comme solution à l’exil et à la
persécution.
« Nous proclamons la fondation de l’État juif dans le pays d’Israël, qui portera le nom d’État d’Israël », déclame le futur premier ministre. Et d’énumérer les règles intangibles du pays naissant : «Principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël » ou encore « complète égalité de droits sociaux et politiques », « sans distinction de croyance, de race ou de sexe ».
Dieu figure à la fin du texte, évoqué par l’expression « Tzour Israël » (« rocher d’Israël »), préférée à une mention explicite. « Israël devait être un État juif mais pas un État religieux, explique l’historienne Dina Porat, professeure à l’université de Tel-Aviv. Ainsi, David Ben Gourion ne voulait pas de mention de Dieu. » Mais tous ne l’entendaient pas ainsi : « Il y a donc eu un compromis pour une référence indirecte. »
Un indice de la subtilité de la place que, dès l’origine, la religion occupe dans l’État juif. « David Ben Gourionétait un pragmatique, y compris dans son attitude avec la religion, analyse l’historien Shlomo Sand, professeur à l’université de Tel-Aviv.
Selon lui, il ne fallait pas fonder l’État sur la seule religion, mais
il ne fallait pas non plus le fonder sur le seul État. »
Autre référence de la déclaration : la Shoah, qui « démontra à nouveau l’urgence de remédier à l’absence d’une patrie juive ».
Celle-ci accéléra la création d’Israël, en gestation depuis cinquante
ans, dans un double contexte : la perspective de la fin du mandat
britannique sur la Palestine et l’errance des quelque 250 000 rescapés
des camps originaires d’Europe centrale. « Contrairement
aux juifs de France, de Belgique, des Pays-Bas ou d’Italie revenus dans
leur patrie pour y retrouver ceux des leurs qui avaient survécu, les
juifs d’Allemagne, de Pologne ou de Hongrie se retrouvaient, pour la
plupart, sans famille, écrit Denis Charbit, maître de conférences à l’Université ouverté d’Israël(lire
les repères p. 6). Leur foyer natal était devenu un grand cimetière
sous la lune et la résilience passait d’abord par une vie nouvelle en un
pays nouveau. »
Depuis
le premier congrès de l’Organisation sioniste mondiale, en 1897, des
pionniers s’étaient installés en Palestine, où vivait déjà une petite
communauté juive. Le premier kibboutz y avait été créé en 1910, un
modèle d’organisation collectiviste qui deviendra le « vecteur principal d’aménagement »
du territoire selon Pierre Blanc, enseignant-chercheur à Sciences Po
Bordeaux et à Bordeaux Sciences Agro. Rien qu’entre 1924 et 1928, plus
de 60 000 juifs ont débarqué en Palestine. Ces derniers ont ainsi formé
le « Yichouv », la nouvelle
communauté juive en Palestine. Des embryons de structures étatiques ont
peu à peu vu le jour : en 1920, la Haganah, organisation de défense
clandestine ; en 1929, l’Agence juive, bras exécutif de l’Organisation
sioniste mondiale. David Ben Gourion dirigera ces deux institutions.
La
terre qu’ils investissent alors n’est pas un désert. Près d’un million
de Palestiniens y vivent quand, le 29 novembre 1947, l’ONU approuve son
plan de partage en un État juif et un autre, arabe. « Selon beaucoup d’historiens israéliens, il n’y avait pas de peuple palestinien avant 1948, indique Amneh Badran, professeure de sciences politiques à l’Université palestinienne Al-Qods. C’est
faux. De longue date, les Palestiniens appartenaient à cette terre,
partageaient une même culture et une même histoire. A l’époque, c’était
la Palestine ,et ils défendaient leur terre et leurs droits vis-à-vis du
pouvoir mandataire britannique et du mouvement sioniste. »
Sans
surprise, les pays arabes s’opposent au plan de partage de l’ONU,
approuvé par trente-trois États – treize votent contre et dix
s’abstiennent. Et, dès le 30 novembre, les Palestiniens entrent en
guerre avec Israël. Le Liban, la Syrie, la Transjordanie, l’Égypte et
l’Irak attendent quant à eux le 15 mai. Bilan : la mort pour
6 000 soldats côté israélien, près de 20 000 côté arabe et l’exil pour
plus de 700 000 Palestiniens. Soixante-dix ans plus tard, Israël est un « non-échec sur un certain nombre de points », estime Salomon Malka, directeur de la rédaction de L’Arche, magazine du judaïsme français. « Elle participe aux affaires du monde, dit-il. Maisl’absence de reconnaissance d’Israël par l’ensemble de ses voisins (le Liban et la Syrie, NDLR) est un échec. Tant que ce ne sera pas le cas, il manquera quelque chose. C’est à elle de se faire accepter. »
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1959
Le goutte-à-goutte et le fleurissement du désert
Ce sont des tubes de plastique fendus, qui laissent s’égoutter l’eau lentement vers la racine des plantes : le « goutte-à-goutte »,
système de micro-irrigation élaboré au kibboutz Haretzim, dans le
désert du Néguev. Cette innovation, promise à une renommée mondiale,
occupe une place plus qu’anecdotique dans l’histoire d’Israël.
Si
le goutte-à-goutte a bien été mis au point pour valoriser les terres
arides – en économisant l’eau – du tout jeune pays, il sert aussi à
entretenir une légende fondatrice : le « fleurissement du désert »,
exaltation des prouesses agricoles des sionistes et, en creux, l’idée
d’un sol laissé vierge par de rares habitants arabes. Une légende qui,
du point de vue palestinien, revient à justifier l’installation sur
cette « terre sans peuple », d’un « peuple sans terre », selon le mot du sioniste britannique Israel Zangwill.
« Le ”fleurissement du désert” est un mythe et une réalité, explique Pierre Blanc, enseignant-chercheur à Sciences Po Bordeaux et à Bordeaux Sciences Agro. Les
Israéliens ont fait des choses remarquables en matière agricole. Mais
ils n’ont pas été les premiers à valoriser la terre de Palestine. Il
existait une agriculture déjà très développée. »
Le chercheur en veut pour preuve le récit du sioniste russe Ahad Haam, à la fin du XIXe siècle : « Nous
avons l’habitude de croire, hors d’Israël, que la terre d’Israël est
aujourd’hui presque entièrement désertique, aride et inculte (…). Mais la vérité est tout autre. Dans tout le pays, il est dur de trouver des champs cultivables qui ne soient pas cultivés. »
La réalité d’une expertise agricole et agronomique israélienne, que
confirment encore aujourd’hui de nombreux voyages d’études, a été un peu
embellie. Maître de conférences en sciences politiques à l’Université
ouverte d’Israël, Denis Charbit explique : « Le trait a été forcé pour attirer la diaspora en lui montrantl’homme nouveau, capable de dominer la terre, qui était en train de naître là-bas. »
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1967
La guerre des Six Jours et la figure du colon
Six jours auront suffi à Israël pour faire plus que quadrupler son territoire. Le 10 juin, qui marque la fin de cette « guerre éclair »,
l’État hébreu s’accroît du Sinaï, de la bande de Gaza, du plateau du
Golan, de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Une surprise pour le pays
entier, qui avait redouté sa disparition face aux manœuvres de ses
voisins syrien, jordanien et égyptien. « Durant la ”période d’attente”, les trois semaines précédant la guerre, il y avait une menace de destruction du pays », rappelle l’historienne Dina Porat, professeure à l’université de Tel-Aviv.
Incrédules devant leurs conquêtes, les responsables israéliens s’attendirent à une négociation avec leurs adversaires arabes. « Après
la victoire, le moment était propice à leurs yeux pour jouer la carte
de la restitution des territoires conquis en échange d’une
reconnaissance de l’État d’Israël », explique Samy Cohen, directeur
de recherche émérite au Ceri. Il n’en fut rien : réunis à Khartoum, en
août et septembre 1967, les dirigeants arabes refusèrent toute
négociation et toute reconnaissance.
La colonisation allait alors pouvoir se développer en « Judée-Samarie » – nom biblique de la Cisjordanie. « Arrivent des jeunes colons nationalistes et religieux, qui s’installent vers Hébron, poursuit Samy Cohen. Ils ne reçoivent pas d’autorisation mais ne se heurtent à aucune interdiction. » Un
mouvement fondé en partie sur une perception messianique de la victoire
du 10 juin, vue comme les prémices d’une réunification de la Terre
promise.
Le kibboutznik va du même coup perdre de son prestige. « Sa figure est remplacée par celle du colon coiffé d’une kippa »,
résume l’historien Shlomo Sand, professeur à l’université de Tel-Aviv.
En face, la volonté de revanche s’installe et la lutte s’organise, sous
la houlette de Yasser Arafat et de l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP).
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1977
Le virage à droite
En
mai, Israël opte pour la première fois pour un gouvernement de droite.
Une voie inexplorée sur laquelle le pays s’engage lorsque le Likoud,
parti libéral qui plaide pour la conservation des territoires conquis en
1967 et la formation du « Grand Israël », remporte les législatives.
Menahem Begin, fondateur du Likoud et figure ancienne de l’opposition,
devient Premier ministre.
L’effritement
de la cote des travaillistes, l’alliance avec des partis religieux et
le ralliement de l’électorat séfarade expliquent ce renversement
historique. « Les populations séfarades se sentaient discriminées par les gouvernements travaillistes », explique Jacques Bendelac, économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem.
L’ouverture des archives dévoile les conditions d’accueil des Juifs d’Afrique du Nord dans les années 1950. « Les archives évoquent des ”petites gens”, perçus surtout comme un réservoir d’immigration, indique Frédérique Schillo, historienne au Centre de recherche français à Jérusalem. Dès
leur débarquement, ils étaient aspergés de liquide contre les poux,
puis conduits dans des camps de transit et des villes périphériques.
Moins éduqués, ils faisaient l’objet d’un mépris de l’État. »
Le scrutin de 1977 révèle une répartition de l’électorat encore intacte aujourd’hui. « Les plus aisés votent à gauche et les plus modestes à droite, résume Jacques Bendelac. Ce clivage se transmet de père en fils. » Le
choix des plus modestes peut sembler paradoxal car ils sont les
premiers à subir les politiques libérales du Likoud. Mais, rappelle le
chercheur, « ce sont surtout les raisons sécuritaires qui font voter ».
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1987
Le début de six ans d’Intifada
Quand
éclate la première Intifada (« soulèvement » en arabe), les Israéliens
ne peuvent imaginer qu’elle durera près de six ans et fera plus de
1 300 morts (dont plus de 1 200 côté palestinien). Ce sont pourtant les
accords d’Oslo, en 1993, qui mettront fin à cette révolte née le
9 décembre 1987. Ce jour-là, des pierres sont jetées contre l’armée
depuis le camp de réfugiés de Jabaliya, dans la bande de Gaza. La
veille, une voiture israélienne avait percuté un véhicule palestinien,
faisant quatre morts. Un acte perçu comme une vengeance pour
l’assassinat, quelques jours plus tôt, d’un officier israélien.
De
répression en représailles, la révolte, populaire et spontanée,
s’étendra à la Cisjordanie et recevra le soutien de l’Organisation de
libération de la Palestine. Au-delà des causes immédiates, elle puise
dans un profond malaise. « Vingt ans
après la guerre des Six Jours de 1967, cette première Intifada amena
l’État juif à prendre conscience que l’annexion rampante des territoires
palestiniens ne pouvait perdurer », écrit l’économiste et chercheur en sciences sociales Jacques Bendelac (lire les repères p. 6).
La mobilisation est large. « Femmes, jeunes, défenseurs des droits de l’homme… Toute la société était invitée à participer à ce mouvement de résistance », rappelle
Amneh Badran, professeure de sciences politiques à l’Université
palestinienne Al-Qods. Tandis que l’action armée palestinienne vise des
cibles israéliennes – militaires, colons –, un mouvement de
désobéissance civile s’organise – boycott de produits israéliens,
manifestations… « La première Intifada étant en grande partie pacifique, elle a suscité une large participation, poursuit la chercheuse. Au contraire, la deuxième Intifada a été moins mobilisatrice car elle était beaucoup plus militarisée. »
Prédite au lendemain de la reconnaissance de Jérusalem par Donald
Trump, en 2017, la troisième Intifada n’a pas eu lieu. Pourtant le
malaise palestinien demeure. Mais les modes d’expression de la révolte
ont changé et sont désormais plus sporadiques, plus individuels et moins
organisés.
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1992
La révolution constitutionnelle
Cette
année-là, Israël s’engage sur la voie d’une révolution sans le savoir.
Elle s’amorce au printemps, lorsque la Knesset adopte deux textes voués à
rejoindre le corpus de lois fondamentales tenant lieu de Constitution
– le pays n’a pas de « Constitution » proprement dite.
L’un des textes porte sur la dignité de l’individu, l’autre sur la liberté professionnelle. « Jusqu’alors, les lois fondamentales concernaient la distribution des pouvoirs, indique Denis Charbit, maître de conférences en sciences politiques à l’Université ouverte d’Israël (Tel-Aviv). Là, pour la première fois, il s’agissait des droits de l’homme. C’étaient deux très beaux projets, tout le monde a voté pour. »
Supérieurs
aux lois « ordinaires », ces deux textes vont servir de référence à la
Cour suprême tandis que, parallèlement, les possibilités de saisine
seront élargies aux associations. Cette instance sera d’autant plus
sollicitée sur des questions de portée politique et, du même coup,
accroîtra ses pouvoirs et fera contrepoids à la Knesset. « Dès lors, la Cour suprême va jouer un rôle actif de régulation de la vie politique, très polarisée », poursuit Denis Charbit.
En
2000, elle statue ainsi sur le cas d’un citoyen arabe qui s’était vu
interdire l’achat d’une parcelle de terrain. Motif : le propriétaire,
l’Agence juive, ne pouvait les attribuer qu’à des citoyens juifs. Un
refus contraire au principe d’égalité, ont conclu les magistrats.
Derrière cette révolution, il y a Aharon Barak, président de la Cour suprême de 1995 à 2006. « Voulant
affirmer le rôle de garant de la Cour suprême, il a estimé qu’elle
pouvait se prévaloir de ces lois pour frapper d’inconstitutionnalité des
textes votés par le Parlement, explique Alain Dieckhoff, directeur du Ceri et directeur de recherche au CNRS. Toute
la question est de savoir jusqu’où la Cour suprême peut aller à
l’encontre de lois votées par le Parlement, et donc par le peuple. » Deux décennies plus tard, la question fait toujours débat.
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1995
Les heures sombres
La
soirée du 4 novembre est déjà bien avancée quand le couperet tombe sur
Israël et le monde entier : Yitzhak Rabin a été assassiné. Un religieux
de 25 ans a tiré sur le premier ministre alors qu’il venait de
participer à une manifestation pour la paix à Tel-Aviv, sur la place des
Rois – qui porte son nom depuis.
Chef
d’état-major durant la guerre des Six Jours, Yitzhak Rabin avait rendu
possible l’occupation de la Cisjordanie. Mais il était aussi l’homme des
accords d’Oslo (1993) et de la reconnaissance entre Israéliens et
Palestiniens, le porteur des espoirs de paix de ces derniers et de tous
ceux que le Proche-Orient préoccupait. Son assassinat balaie
l’optimisme qui avait suivi la fin de la première Intifada. Cité par son
confrère Mati Ben-Avraham (lire les repères p. 6),
le journaliste Daniel Ben-Simon se souvient du discours du premier
ministre devant la Knesset lors de sa prise de fonction, en 1992 : « Un discours de main tendue, d’intégration régionale, où la solution de deux États pour deux peuples était esquissée. »
Ce fatidique 4 novembre 1995 annonce aussi de sombres années pour les partisans d’Oslo et de la paix. « Yitzhak Rabin n’a pas laissé derrière lui d’héritier à sa hauteur », observe
Samy Cohen, directeur de recherche émérite au Ceri. En 1996, Benyamin
Netanyahou deviendra premier ministre à la faveur d’une victoire de la
droite et, trois ans plus tard, la gauche reprendra son tour. Ehoud
Barak dirigera alors le gouvernement. Impossible, pourtant, de renouer
avec l’esprit des années Rabin. « Ehoud
Barak a essayé de reprendre le flambeau, mais ayant déclaré que le
processus de paix avec la Syrie était le plus important, il n’a pas su
redonner confiance aux Palestiniens », analyse Samy Cohen.
Avec
l’assassinat de Yitzhak Rabin, c’est aussi le fossé qui apparaît,
patent, au sein du peuple israélien, entre laïcs et ultra-religieux,
hostiles à cette main qu’avait tendue le premier ministre. Un fossé qui,
deux décennies plus tard, s’est encore approfondi.
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2000
Israël s’intéresse à sa minorité arabe
La
seconde Intifada éclate après la visite d’Ariel Sharon, alors figure
de l’opposition, sur l’esplanade des Mosquées. C’était le 28 septembre
et, deux semaines plus tard, le bilan des émeutes s’élève à près de 120
morts. Parmi eux, treize manifestants arabes israéliens, tués par les
forces de l’ordre de l’État hébreu lors de violents rassemblements de
soutien aux Palestiniens. Une double prise de conscience s’opère alors
en Israël : non seulement les membres de la minorité arabe – 20 % de la
population – vivent comme des citoyens de seconde zone mais, aussi, ils
s’identifient plus aux Palestiniens qu’à l’État hébreu.
« Déjà, la première Intifada avait renforcé un sentiment d’appartenance des Arabes israéliens au peuple palestinien », explique
Amneh Badran, professeure de sciences politiques à l’Université
palestinienne Al-Qods. Non exprimée, cette solidarité a fait irruption
en octobre 2000. « C’était la première
fois que les Arabes israéliens témoignaient aussi violemment de leur
solidarité avec les Palestiniens et que la question de leur intégration
se posait pour les juifs, souligne Jacques Bendelac, économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem. Jusqu’alors, ils pensaient que les Arabes se sentaient bien en Israël. »
Une commission d’enquête expliquera cette violence par « l’incapacité des différents gouvernements israéliens à traiter la minorité arabe ».
Malgré des progrès, les Arabes israéliens ne sont pas représentés à la
hauteur de leur importance démographique parmi les élites. Ainsi, 49 %
des familles arabes vivent sous le seuil de pauvreté, contre 13 % des
familles juives, d’après Jacques Bendelac.« Les Arabes israéliens souhaitent s’intégrer et s’intègrent de fait, relève Denis Charbit, maître de conférences en sciences politiques à l’Université ouverte d’Israël. Mais
ils sont freinés par leurs représentants politiques qui, se sentant
coupables d’être des citoyens israéliens alors que leurs frères vivent
sous occupation, donnent dans la surenchère rhétorique. »
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2014
Sursis pour l’exemption de service militaire des ultra-orthodoxes
C’est
une loi qui en dit long sur le nouveau visage de la société
israélienne : la fin de l’exemption du service militaire pour les
ultra-orthodoxes, adoptée en mars par la Knesset à l’initiative de Yaïr
Lapid, alors ministre des finances et chef du parti centriste Yesh Atid
(hors exemption, le « service » dure trente-deux mois pour les hommes et
vingt-deux pour les femmes).
Les élèves des yeshivot
– séminaires talmudiques – n’étaient pas plus de 400 en Israël
lorsque, en 1948, David Ben Gourion les dispensa de l’armée afin qu’ils
puissent se consacrer à l’étude des textes. Aujourd’hui, ils sont près
de 40 000 et les ultra-orthodoxes représentent environ 10 % de la
population totale – sans pour autant former un courant homogène.
Cette augmentation, qui tient surtout à une forte natalité, a démultiplié le coût économique et social de l’exception. « Aujourd’hui, Ben Gourion n’aurait pas accepté d’exempter les ultra-orthodoxes », assure même l’historienne Dina Porat, professeure à l’université de Tel-Aviv.
Un débat s’est donc ouvert : « Pour certains, le fardeau national doit être réparti entre tous au nom de l’égalité, résume Samy Cohen, directeur de recherche émérite au Ceri. Pour
d’autres, l’exemption n’est pas préjudiciable. Pour d’autres encore, le
chômage étant très répandu parmi les jeunes ultra-orthodoxes, le
service militaire pourrait leur donner une formation les aidant à s’intégrer dans la vie civile. »
Des manifestations massives dénonçant une « persécution religieuse »
ont précédé la loi Lapid. Le gouvernement ayant changé, celle-ci a été
amendée un an plus tard en vue d’une prolongation de l’exemption. Mais,
en 2017, la Cour suprême a jugé la nouvelle loi contraire au principe
d’égalité. Depuis, les ultra-orthodoxes font de son maintien une
condition de leur soutien au gouvernement. Un indice de leur poids dans
un pays dont les fondateurs tenaient à maintenir religion et politique à
distance.
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2017
Les hautes technologies au sommet
Quinze
milliards de dollars (12,3 milliards d’euros) : en mars, Intel, géant
mondial des semi-conducteurs, a déboursé cette somme pour acheter
Mobileye, société spécialisée dans les systèmes anti-collision, créée à
Jérusalem en 1999. Cette opération, présentée comme le record israélien
des acquisitions par des étrangers dans les hautes technologies, a
suscité des applaudissements de toutes parts. Jusqu’au premier
ministre : « Cet accord démontre de manière spectaculaire que notre vision est en train de se matérialiser », s’est félicité Benyamin Netanyahou.
Cette « vision », c’est la « start-up nation »,
image avant-gardiste que l’État hébreu promeut ces dernières années.
Tranchant avec les clichés en noir et blanc des pionniers, outils en
main, labourant la Terre promise, elle souligne le bond du tout jeune
pays vers l’ultramodernité. Elle se fonde sur une réalité : Israël
compte une start-up pour 1 200 habitants (contre une pour 6 600 en
France), les hautes technologies y emploient 10 % de la main-d’œuvre et
représentent près de 50 % des exportations. Des innovations de renommée
mondiale – comme l’application Waze – sont israéliennes.
Les hautes technologies ne profitent cependant pas à tous. « C’est un secteur qui réussit à certains seulement, des gagnants qui ont des revenus très élevés »,
relève Pierre Blanc, enseignant-chercheur à Sciences Po Bordeaux et à
Bordeaux Sciences Agro. La redistribution ne s’opère pas. Ainsi, Israël
est aussi championne des inégalités. Malgré une croissance économique de
plus de 3 % en moyenne ces dix dernières années et un chômage aux
alentours de 4,2 %, près de 20 % de la population (8,1 millions
d’habitants) vit sous le seuil de pauvreté. « Israël, qui s’était fait fort de réaliser un État inclusif, a totalement raté, résume Pierre Blanc. Les inégalités se sont beaucoup accrues. Il y a une bipolarisation qui s’approfondit. » Un net contraste avec le dessein égalitariste des pionniers.
repères
Pour aller plus loin
Métamorphoses d’Israël depuis 1948, de Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2018, 134 p., 14,90 €.
Israël face à Israël, de Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud, Éd. Autrement, 2018, 215 p., 19 €.
Israël, mode d’emploi, de Jacques Bendelac, Éd. Plein jour, 2018, 287 p., 21 €.
Israël et ses paradoxes, de Denis Charbit, Éd. Le Cavalier bleu, 2018, 359 p., 22 €.
Israël et ses colombes : enquête sur le camp de la paix, de Samy Cohen, Éd. Gallimard, 2016, 320 p., 25 €.
Le conflit israléo-arabe, d’Alain Dieckhoff, Éd. Armand Colin, 2017, 144 p., 12,90 €.
Soixante-dix jours qui ont fait l’histoire d’Israël, de Salomon Malka, Éd. Armand Colin, 2018, 320 p., 18,90 €.
Comment le peuple juif fut inventé, de Shlomo Sand, Librairie Arthème Fayard, 2008, 456 p., 23,40 €.
Israël. La reconnaissance de la France, Frédérique Schillo, in Dans les archives secrètes du Quai d’Orsay, Éd. L’Iconoclaste, 2017, 400 p., 39 €.
La Croix - samedi 5 mai 2018
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