« Wenn ich Kultur höre ... entsichere ich meinen Browning !. »
Citation de la pièce "Schlageter" écrite en 1933 par Hanns Johst (1890-1978), par laquelle un protagoniste dit à son compagnon que se battre vaut mieux qu'étudier.
La citation a souvent été mise - à tort - dans la bouche de dignitaires nazis (Hermann Göring, Joseph Goebbels, Baldur von Schirrach) sous la forme :
"Quand j'entends le mot "culture", je sors mon révolver", par quoi on suggère que ces messieurs sont incultes, ce qui est - malheureusement - faux.
La chronique de Mme Guilbert éclaire la citation d'un jour tout à fait inattendu ; dans le contexte qui est le nôtre, je ne peux que l'approuver. La culture est devenue un produit comme un autre : un produit culturel justement.
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chronique
La guerre à mort de la culture contre l’art
Cécile Guilbert
J’ai
la tête dure, c’est un gros défaut, mais peut-être moins fâcheux que de
l’avoir molle. J’aime aussi enfoncer le clou, tant il est vrai que
notre formidable époque charrie à chaque instant son lot de symptômes en
pagaille. Des symptômes qu’il est plus que jamais nécessaire de
dénombrer, de décrypter et d’analyser puisque seule l’approbation de
tout a droit de cité dans cette inlassable zone d’activité frénétique
qu’est aujourd’hui « la culture », cette industrie appliquée aux
Beaux-Arts, ce bazar mondial que le génial polémiste viennois Karl Kraus
définissait déjà en son temps comme « le mal rapporté au système des valeurs esthétiques ».
Or ce mal infini dont le centre est partout et la circonférence nulle
part, peu se risquent à l’examiner de manière critique.Car soit ils n’y
ont pas intérêt, soit ils l’imaginent facteur d’émancipation, soit ils
préfèrent s’en amuser plutôt que le penser. Or regarder, c’est toujours penser, ce qui est très différent du simple fait de voir.
D’où mon interrogation sur la prolifération contemporaine croissante
d’« installations », de « dispositifs », d’« événements » culturels à
propos desquels même le mot exposition
ne convient plus tant ils semblent n’avoir pour finalité que de nous en
mettre justement « plein la vue », c’est-à-dire – CQFD – nous dissuader
de penser. Démesure et monumentalité des formats, des lieux d’expos,
des coûts et des prix, n’est-ce pas là d’ailleurs le propre d’un certain
art dit contemporain, entreprise d’intimidation et de terreur habile à
compenser l’anéantissement des facultés sensibles par l’ironie de ses
gros jouets pour milliardaires ? Après l’expo « Artistes & Robots »
dont la séduction vantée ne consiste pas dans la visite mais dans la
balade et moins dans la contemplation que le divertissement, j’en veux
pour preuve « Gustav Klimt » (qui concerne aussi les artistes Egon
Schiele et Friedensreich Hundertwasser) visible jusqu’à la fin de
l’année à L’Atelier des lumières, nouveau lieu ouvert à Paris dans le 11e
arrondissement. Comme dans la précédente, on se promène, on déambule,
on flâne dans un univers animé et coloré où prédomine le maître et fin
mot de « ludique » d’où, comme chacun sait, dérive l’histrion qu’est
tout ludion. Et comme au Grand Palais, débauche techniciste et pillage
des peintres du passé forment une doublette d’enfer pour vider l’art de
tout contenu et de tout sens.
Les
œuvres de Klimt ? Des images saturées de tableaux démesurément
agrandies, projetées du sol au plafond à toute allure en séquences de
trente minutes par 140 vidéoprojecteurs au son de Beethoven, Strauss et
Wagner diffusés par une cinquantaine d’enceintes acoustiques. Ce n’est
ni une expo ni un concert mais un « parcours immersif » dans « un espace
de projection XXL » que je ne peux m’empêcher de ressentir comme un
matraquage technique et mental, un vautrage nauséeux dans le faux et le
kitsch, une débauche d’effets lumineux et sonores où ne s’hallucine
plus, selon le mot de Hegel, que « la vie, mouvante en soi, de ce qui est mort ». Car
si le surgissement de toute œuvre d’art digne de ce nom s’avère un
événement – celui de sa présence, de son aura –, sa mise en scène
événementielle en configure à coup sûr le tombeau. Or c’est précisément
ce à quoi n’a jamais pensé Culturespaces, entreprise issue d’Havas et
filiale d’Engie (ex-Lyonnaise des eaux devenue GDF-Suez), à savoir
l’entrepreneur privé d’ingénierie culturelle à l’origine de ce « barnum
Klimt » et dont le « business model » est si prometteur qu’il opère déjà
dans une dizaine de monuments et de musées français tandis qu’un
système de franchises est prévu à l’étranger… Système rentable, système
parfait, croissance et dividendes garantis, mais aussi honte et
désolation éprouvées au spectacle sans cesse amplifié de l’étouffement
de l’art par la culture, au nom de la culture comme bras armé de
l’économie politique dont se constate l’essor planétaire toujours plus
meurtrier.
Il y a vingt ans, dans JLG/JLG, l’un de ses plus beaux films, Godard énonçait déjà cette vérité immémoriale :
« Il y a la culture, qui est la règle, et il y a l’exception, qui est
de l’art. Tous disent la règle – ordinateurs, tee-shirts, télévision.
Personne ne dit l’exception. Cela ne se dit pas, cela s’écrit
– Flaubert, Dostoïevski ; cela se compose – Gershwin, Mozart ; cela se
peint – Cézanne, Vermeer ; cela s’enregistre – Antonioni, Vigo. Ou cela
se vit, et c’est alors l’art de vivre. Il est de la règle de vouloir la
mort de l’exception. »
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