Noblesse des mathématiques
«Ô mathématiques
sévères, je ne vous ai pas oubliées, depuis que vos savantes leçons,
plus douces que le miel, filtrèrent dans mon cœur, comme une onde
rafraîchissante. J’aspirais instinctivement, dès le berceau, à boire à
votre source, plus ancienne que le soleil, et je continue encore de
fouler le parvis sacré de votre temple solennel, moi, le plus fidèle de
vos initiés. (…) Arithmétique ! algèbre ! géométrie ! trinité grandiose ! triangle lumineux ! Celui qui ne vous a pas connues est un insensé ! » Et Maldoror d’exacerber sa louange en extrayant les « magnifiques splendeurs » et les « mines de diamant » de la corne d’abondance des « mathématiques saintes ».
Bien
que non initiée à leurs sortilèges et cancre en cette matière durant
toute ma scolarité, j’ai toujours su gré à Lautréamont, découvert à
l’époque où je rendais régulièrement copie blanche à mes profs de maths,
d’avoir composé en leur honneur le plus vibrant des chants d’amour. Car
il y a dans la rigueur de leurs propositions, la constance de leurs
lois et la vérité incontestable qui en découlent, quelque chose qui fait
aussitôt paraître l’humanité approximative, cafouilleuse, perdue de
folie et de mensonges. Compliquées de signes obscurs inconnus du profane
et en mesure de se confronter à tout l’univers, les mathématiques
semblent défier l’humanité à hauteur d’éternité, comme si Dieu seul
était leur concurrent. Et pourtant, les mathématiciens m’ont toujours
semblé les plus humbles, les plus innocentes et les moins arrogantes des
créatures. Ou, si l’on préfère, les plus radieusement enfantins et même
bouleversants des êtres humains.
En raison de leur foncier désintéressement ? Je le crois et j’y repensais récemment en découvrant la publication par Le Monde
d’une collection de livrets consacrée aux plus grands génies de cette
noble discipline. Le dernier en date m’a touchée car il concerne un
météore indien, Srinivasa Ramanujan, dont j’avais découvert le nom en
lisant l’été dernier l’émouvante nécrologie d’un écrivain que je ne
connaissais pas, à savoir Éric Nonn qui lui avait consacré un livre
intitulé Madras, Note Book Ramanujan.
N’écoutant que ma passion pour l’Inde et les destins rimbaldiens, je
l’avais aussitôt lu, impressionnée par sa sensibilité et sa beauté.
Né
en 1887 dans une famille de brahmanes pauvres, Ramanujan découvre par
hasard les maths dans un vieux manuel anglais. Y perçoit-il un miroir de
la démultiplication du panthéon hindou dans son vertige d’infini ? Cas
foudroyant d’instinct et d’intuition purs, cet autodidacte se met à
noircir des Note Books qui
compteront à la fin de sa courte vie (33 ans, ndlr) des milliers de théorèmes et des
millions de calculs relatifs aux fractions continues, aux séries
infinies, comme à d’autres identités mathématiques alors inconnues. Mais
il ne donne pas de preuves, pas le temps, il faudrait un ordinateur
surpuissant, alors les mathématiciens du cru doutent, essaient de
l’aider mais le trouvent trop difficile à lire.
Toujours
habité par son désir et tout feu tout flamme, il publie en 1911 son
premier article sur les nombres de Bernoulli, envoie ses travaux en
Angleterre et commence à correspondre avec Godfrey Hardy, professeur à
Cambridge. Travaillant alors comme employé portuaire pour un salaire de
misère, il lui écrit : « Donc ce que je
veux maintenant, au point où nous en sommes, c’est que des professeurs
aussi éminents que vous reconnaissent qu’il y a quelque valeur en moi.
Je suis déjà un homme à moitié mort de faim. Pour préserver mon cerveau,
je veux de la nourriture, et c’est aujourd’hui ma première
préoccupation… »
Hardy
l’invite à venir mais l’autre hésite à abandonner sa famille, ce n’est
pas rien pour un pauvre indien sans diplôme d’aller se confronter à ces
grands messieurs de Trinity College : un mois de bateau, devoir se vêtir
à l’occidentale, modifier son régime alimentaire, sacrifier son chignon
de brahmane, effacer les cendres rituelles de son front… Il partira
cependant en 1913, il le fallait, et restera deux ans en Angleterre dans
une grande solitude où la tuberculose finira par le cueillir. Élu à la
Royal Society, il rentre en Inde en 1919 et meurt l’année suivante,
laissant derrière lui des milliers de découvertes qui accompagneront le
développement des mathématiques tout au long du XXe siècle. « Dans cent ans, on parlera encore de moi »,
disait-il à sa femme. Cent ans ont presque passé et le singulier destin
de Ramanujan demeure une leçon de passion, de courage, de simplicité
qui brise le cœur.
« ces théorèmes devaient être vrais, car s'ils avaient été faux, personne n'aurait eu assez d'imagination pour les inventer »
(citation à son propos de Godfrey Harold Hardy (1877-1947), professeur de mathématiques pures à Cambridge, médaille Sylvester en 1940 et médaille Copley en 1947 ; un de ses élèves les plus célèbres est Alan Turing).
Si lle coeur vous en dit, voici le lien vers l'article que wikipedia lui consacre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire