mercredi 16 mai 2018

LC 20180516 Un destin vraiment particulier : Srinivasa Ramanujan

Noblesse des mathématiques


Cécile Guilbert

«Ô mathématiques sévères, je ne vous ai pas oubliées, depuis que vos savantes leçons, plus douces que le miel, filtrèrent dans mon cœur, comme une onde rafraîchissante. J’aspirais instinctivement, dès le berceau, à boire à votre source, plus ancienne que le soleil, et je continue encore de fouler le parvis sacré de votre temple solennel, moi, le plus fidèle de vos initiés. (…) Arithmétique ! algèbre ! géométrie ! trinité grandiose ! triangle lumineux ! Celui qui ne vous a pas connues est un insensé ! » Et Maldoror d’exacerber sa louange en extrayant les « magnifiques splendeurs » et les « mines de diamant » de la corne d’abondance des « mathématiques saintes ».
Bien que non initiée à leurs sortilèges et cancre en cette matière durant toute ma scolarité, j’ai toujours su gré à Lautréamont, découvert à l’époque où je rendais régulièrement copie blanche à mes profs de maths, d’avoir composé en leur honneur le plus vibrant des chants d’amour. Car il y a dans la rigueur de leurs propositions, la constance de leurs lois et la vérité incontestable qui en découlent, quelque chose qui fait aussitôt paraître l’humanité approximative, cafouilleuse, perdue de folie et de mensonges. Compliquées de signes obscurs inconnus du profane et en mesure de se confronter à tout l’univers, les mathématiques semblent défier l’humanité à hauteur d’éternité, comme si Dieu seul était leur concurrent. Et pourtant, les mathématiciens m’ont toujours semblé les plus humbles, les plus innocentes et les moins arrogantes des créatures. Ou, si l’on préfère, les plus radieusement enfantins et même bouleversants des êtres humains.
En raison de leur foncier désintéressement ? Je le crois et j’y repensais récemment en découvrant la publication par Le Monde d’une collection de livrets consacrée aux plus grands génies de cette noble discipline. Le dernier en date m’a touchée car il concerne un météore indien, Srinivasa Ramanujan, dont j’avais découvert le nom en lisant l’été dernier l’émouvante nécrologie d’un écrivain que je ne connaissais pas, à savoir Éric Nonn qui lui avait consacré un livre intitulé Madras, Note Book Ramanujan. N’écoutant que ma passion pour l’Inde et les destins rimbaldiens, je l’avais aussitôt lu, impressionnée par sa sensibilité et sa beauté.
Né en 1887 dans une famille de brahmanes pauvres, Ramanujan découvre par hasard les maths dans un vieux manuel anglais. Y perçoit-il un miroir de la démultiplication du panthéon hindou dans son vertige d’infini ? Cas foudroyant d’instinct et d’intuition purs, cet autodidacte se met à noircir des Note Books qui compteront à la fin de sa courte vie (33 ans, ndlr) des milliers de théorèmes et des millions de calculs relatifs aux fractions continues, aux séries infinies, comme à d’autres identités mathématiques alors inconnues. Mais il ne donne pas de preuves, pas le temps, il faudrait un ordinateur surpuissant, alors les mathématiciens du cru doutent, essaient de l’aider mais le trouvent trop difficile à lire.
Toujours habité par son désir et tout feu tout flamme, il publie en 1911 son premier article sur les nombres de Bernoulli, envoie ses travaux en Angleterre et commence à correspondre avec Godfrey Hardy, professeur à Cambridge. Travaillant alors comme employé portuaire pour un salaire de misère, il lui écrit : « Donc ce que je veux maintenant, au point où nous en sommes, c’est que des professeurs aussi éminents que vous reconnaissent qu’il y a quelque valeur en moi. Je suis déjà un homme à moitié mort de faim. Pour préserver mon cerveau, je veux de la nourriture, et c’est aujourd’hui ma première préoccupation… »
Hardy l’invite à venir mais l’autre hésite à abandonner sa famille, ce n’est pas rien pour un pauvre indien sans diplôme d’aller se confronter à ces grands messieurs de Trinity College : un mois de bateau, devoir se vêtir à l’occidentale, modifier son régime alimentaire, sacrifier son chignon de brahmane, effacer les cendres rituelles de son front… Il partira cependant en 1913, il le fallait, et restera deux ans en Angleterre dans une grande solitude où la tuberculose finira par le cueillir. Élu à la Royal Society, il rentre en Inde en 1919 et meurt l’année suivante, laissant derrière lui des milliers de découvertes qui accompagneront le développement des mathématiques tout au long du XXe siècle. « Dans cent ans, on parlera encore de moi », disait-il à sa femme. Cent ans ont presque passé et le singulier destin de Ramanujan demeure une leçon de passion, de courage, de simplicité qui brise le cœur.
  « ces théorèmes devaient être vrais, car s'ils avaient été faux, personne n'aurait eu assez d'imagination pour les inventer »
(citation à son propos de Godfrey Harold Hardy  (1877-1947), professeur de mathématiques pures à Cambridge, médaille Sylvester  en 1940 et médaille Copley en 1947 ; un de ses élèves les plus célèbres est Alan Turing).
 Si lle coeur vous en dit,  voici le lien vers l'article que wikipedia lui consacre

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