Yves
Bonnefoy : il est mort le poète…
Francine de Martinoir, le 04/07/2016
à 0h00
L’un des plus grands poètes
contemporains, Yves Bonnefoy, est décédé, laissant à la postérité plus d’une
centaine de livres.
Yves Bonnefoy en 1992. / Ulf
Andersen/Epicureans
« Désœuvre ce regard qui
méconnaît la nuit »… C’est
par ce vers, l’un de ses plus célèbres, que de nombreux admirateurs ont salué,
vendredi, la mémoire du grand poète Yves Bonnefoy, 93 ans, décédé la
veille. Dès la parution de son premier texte, Du mouvement et de
l’immobilité de Douve (en 1954), Maurice Nadeau déclarait qu’on ne se
rappellerait peut-être plus le nom du Goncourt de l’année, mais qu’on se
souviendrait de ce recueil. Une quarantaine d’œuvres devait suivre, poésies,
essais, parmi lesquels Hier régnant désert (1958), Un rêve fait à
Mantoue (1967), Le Nuage rouge (1977), Une variante de la sortie
du jardin (2007). Poète jusqu’au bout de ses jours, on lui devait encore
cette année L’Écharpe rouge (poésie) et La Poésie ou la gnose (essai).
Yves Bonnefoy était né en 1923 à
Tours. Son père était ouvrier-monteur, sa mère infirmière, puis institutrice.
La grande épreuve de son enfance fut la mort de son père en 1936. Il dira plus
tard : « Je revois mon père s’éloigner vers son lieu de travail,
silencieux, prisonnier de son silence. Je me dis parfois que j’ai voulu parler
à sa place. »
Tenté par des études scientifiques,
Yves Bonnefoy se consacrera à la poésie, la philosophie, l’histoire de l’art,
devenant professeur associé au Centre universitaire de Vincennes, à Nice et
enfin au Collège de France.
La lecture de ses textes ouvre à un
pays – un « arrière-pays », pour reprendre un de ses
titres – singulier, où le recours aux mots est nourri par la démarche ontologique
et l’arpentage des tableaux. Un pays à la fois tout à fait inactuel et
étrangement familier, chaque ouvrage étant une tentative nouvelle pour le
rejoindre et, si possible, le fixer dans l’écriture. L’œuvre de Bonnefoy a été
hantée par cette recherche du lieu. Et du sens à travers le lieu.
Le surréalisme l’attira, mais il
s’en détacha en 1947. Ses vrais maîtres furent Baudelaire, Nerval, Mallarmé.
Ses textes sont ponctués par la recherche de signes, entre espoir et
incertitude : « Une hésitation, pour finir, écrivit-il, entre la
gnose et la foi, le dieu caché et l’incarnation, plus que le choix sans
retour. »
L’œuvre critique d’Yves Bonnefoy,
son travail de traducteur sont inséparables de ses poésies. Dans l’espace d’une
toile, il captait une figure, une forme, comme une apparition, promesse de
présence : un bleu chez Poussin, les arbres d’Alexandre Hollan, la façade de
Santa Maria Novella à Florence.
L’Italie fut pour lui la vraie
patrie des images. Son Italie, c’était la peinture de Chirico, la Toscane, et
surtout Rome, ville qu’il avait, adolescent, eu l’impression de rejoindre en
traduisant du latin, langue qu’il aimait pour la densité de sa syntaxe : « Il
me semblait que le latin était un feuillage vert sombre, un laurier de l’âme à
travers lequel j’eusse perçu une clairière peut-être, en tout cas la fumée d’un
feu, un bruit de voix, un frémissement d’étoffe rouge. »
Dans L’Alliance de la poésie et
de la musique (2007), Yves Bonnefoy revient sur ce qui a hanté son univers
personnel : le sens de la profondeur inconsciente, la présence de l’Un, le
rapport de la musique à l’existentiel. Et il y définit le christianisme,
« une transcendance aussi radicale que l’abîme (…), exactement la
sorte de donation par laquelle j’ai caractérisé le projet de la poésie ».
Francine
de Martinoir
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