Le dessinateur a publié, chaque jour
pendant dix ans, dans des milliers de journaux, les aventures de Calvin et
Hobbes. Avant de s’arrêter définitivement en 1995, âgé seulement de
37 ans.
Bill Watterson, dans sa
maison de Chagrin Falls en 1986. / C.H. Pete Copeland/Associated Press
Le 5 novembre 2014, sensation
dans le monde de la bande dessinée. L’affiche officielle de la 42e édition
du Festival d’Angoulême vient d’être dévoilée. Elle est signée Bill Watterson.
Si la chose est exceptionnelle, c’est que cela faisait près de vingt ans que le
créateur de la cultissime série Calvin et Hobbes avait rangé crayons et
pinceaux. Allergique aux interviews, aux séances de dédicaces et peut-être
davantage encore aux festivals, il refusera d’ailleurs de venir à Angoulême
présider l’édition 2015 du festival, après en avoir reçu le grand prix l’année
précédente, pour l’ensemble de son œuvre. Et quelle œuvre.
Il n’existe pas, dans la presse
française, la culture du comic strip que l’on trouve dans les journaux
anglo-saxons. Calvin et Hobbes est d’ailleurs arrivé en France sous la
forme de 24 albums classiques, dont le dernier est paru en 2005. Mais à
l’origine, les aventures du « sale gosse » et de son tigre en peluche
étaient publiées quotidiennement dans les journaux, à raison d’un strip (une
histoire courte de quatre ou cinq cases) les jours de semaine, et d’une page le
dimanche. À son lancement, le 18 novembre 1985, la bande dessinée est
publiée dans 35 journaux américains. Un début modeste. Une décennie et
3 160 strips plus tard, les personnages de Bill Watterson sont
publiés dans 2 400 journaux partout dans le monde, dans 40 langues,
représentant un lectorat de plusieurs centaines de millions de personnes chaque
jour.
Et puis, plus rien. Le
31 décembre 1995 paraît la dernière planche de Calvin et Hobbes.
Quelques jours plus tôt, Bill Watterson avait envoyé une courte note à ses
éditeurs. « Mes intérêts ont évolué, et je crois avoir fait tout ce que
je pouvais faire avec les contraintes du rythme quotidien et des espaces
réduits », écrivait-il simplement. À 37 ans, il se retire dans
l’intimité la plus complète. Marié et père d’une fille, il semble se consacrer
à la peinture, dédaignant toute apparition publique et toute exposition
médiatique. À tel point qu’au début des années 2000, des reporters de journaux
locaux tentent en vain de retrouver sa trace dans la ville de Chagrin Falls, en
banlieue de Cleveland, dans l’État de l’Ohio, où Bill Watterson est arrivé à
l’âge de 6 ans et a vécu jusqu’au début du succès.
Pendant quinze ans, ses activités
publiques et en lien avec la bande dessinée se résument à de rarissimes dessins
pour des revues, à l’occasion de tel ou tel hommage ou anniversaire. Pendant ce
temps, les albums de Calvin et Hobbes s’arrachent : en 2013, on comptait
45 millions d’exemplaires vendus, dont plus de 2,5 millions en
France. Ce n’est qu’en 2010 que le journal de Cleveland Plain Dealer
publie non sans fierté une interview de Bill Watterson, que beaucoup ont,
entre-temps, comparé à l’écrivain Salinger, qui a vécu reclus pendant
quarante ans après avoir publié un unique roman.
Dans cet entretien, le dessinateur
explique pour la première fois, en toute simplicité, la décision que les fans,
quinze ans après, n’avaient toujours pas digérée. « Certains essayent
de rendre cela plus difficile à comprendre que ça ne l’est en réalité. Après
dix ans, j’avais dit tout ce que j’avais à dire, explique-t-il. C’est
toujours mieux de quitter la fête tôt. Si j’avais surfé sur la popularité de ma
bande dessinée et continué à faire la même chose pendant cinq, dix ou vingt
années de plus, ceux qui aujourd’hui “pleurent” Calvin et Hobbes me
détesteraient et maudiraient les journaux de continuer à publier un vieux strip
comme le mien au lieu de laisser la place à de nouveaux talents. Et je serais
bien d’accord avec eux.Je crois que l’une des raisons pour lesquelles Calvin
et Hobbes a toujours une audience aujourd’hui, c’est parce que j’ai choisi
de ne pas user le sujet jusqu’à la corde. »
Ne pas épuiser le sujet, voilà
peut-être la préoccupation qui distingue Bill Watterson d’autres grands noms du
comic strip. Son purisme intransigeant, sa volonté de promouvoir la
bande dessinée comme un art à part entière font de lui un ovni dans cet
univers. Le « neuvième art » est en effet souvent perçu comme réservé
aux enfants ou aux adultes trop paresseux pour lire un « vrai »
livre, et surtout, très commercial.
Bill Watterson, lui, a toujours
refusé que le moindre produit dérivé Calvin et Hobbes ne voie le jour,
tournant le dos à des revenus qui s’estiment en centaines de millions de
dollars. D’autres n’ont pas eu ces scrupules. Peanuts et son personnage
Snoopy, de Charles Schulz, ou Garfield, dessiné par Jim Davis, pour ne
citer que les plus connus : il n’y a pas un objet de la vie courante sur lequel
ne soient imprimés ces personnages. Sans parler des adaptations pour le petit
ou le grand écran. Snoopy, qui génère encore, soixante-six ans après sa
création, plus de 80 millions de dollars (soit 73 millions d’euros) de
revenus par an en produits dérivés, sert même de mascotte à une compagnie
d’assurances américaine. De son côté, Watterson aurait raccroché au nez de
Steven Spielberg, et contraint son éditeur à repousser les avances des studios
Disney.
Mais si l’œuvre de Bill Watterson
reste, après plus de vingt ans de silence, aussi admirée, c’est aussi qu’elle
n’a jamais été détrônée. Car la fin de Calvin et Hobbes a aussi marqué
le début du déclin de la grande tradition américaine du comic strip, qui
remonte au début du XXe siècle. La faute à la crise de la
presse, en partie : les espaces dédiés aux bandes dessinées se sont réduits,
les budgets aussi, et avec eux la liberté des auteurs. Dans Dear Mr
Watterson, de Joel Allan Schroeder, un documentaire qui explore l’héritage
de Calvin et Hobbes, l’avis de la nouvelle génération de dessinateurs
est unanime : le « yéti des dessinateurs », comme le surnomme
l’un d’eux, est le dernier géant du comic strip.
Gauthier Vaillant, le 29/07/2016 à
0h00
http://www.la-croix.com/Journal/Bill-Watterson-dernier-geant-comic-strip-2016-07-28-1100778897?utm_source=Newsletter&utm_medium=e-mail&utm_content=20160729&utm_campaign=newsletter__crx_subscriber&utm_term=273207&PMID=d6c105ff084145913ded2e1bfaee96f0
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire