vendredi 29 juillet 2016

Bill Watterson, dernier géant du comic-strip



Le dessinateur a publié, chaque jour pendant dix ans, dans des milliers de journaux, les aventures de Calvin et Hobbes. Avant de s’arrêter définitivement en 1995, âgé seulement de 37 ans.

Bill Watterson, dans sa maison de Chagrin Falls en 1986. / C.H. Pete Copeland/Associated Press
Le 5 novembre 2014, sensation dans le monde de la bande dessinée. L’affiche officielle de la 42e édition du Festival d’Angoulême vient d’être dévoilée. Elle est signée Bill Watterson. Si la chose est exceptionnelle, c’est que cela faisait près de vingt ans que le créateur de la cultissime série Calvin et Hobbes avait rangé crayons et pinceaux. Allergique aux interviews, aux séances de dédicaces et peut-être davantage encore aux festivals, il refusera d’ailleurs de venir à Angoulême présider l’édition 2015 du festival, après en avoir reçu le grand prix l’année précédente, pour l’ensemble de son œuvre. Et quelle œuvre.
Il n’existe pas, dans la presse française, la culture du comic strip que l’on trouve dans les journaux anglo-saxons. Calvin et Hobbes est d’ailleurs arrivé en France sous la forme de 24 albums classiques, dont le dernier est paru en 2005. Mais à l’origine, les aventures du « sale gosse » et de son tigre en peluche étaient publiées quotidiennement dans les journaux, à raison d’un strip (une histoire courte de quatre ou cinq cases) les jours de semaine, et d’une page le dimanche. À son lancement, le 18 novembre 1985, la bande dessinée est publiée dans 35 journaux américains. Un début modeste. Une décennie et 3 160 strips plus tard, les personnages de Bill Watterson sont publiés dans 2 400 journaux partout dans le monde, dans 40 langues, représentant un lectorat de plusieurs centaines de millions de personnes chaque jour.
Et puis, plus rien. Le 31 décembre 1995 paraît la dernière planche de Calvin et Hobbes. Quelques jours plus tôt, Bill Watterson avait envoyé une courte note à ses éditeurs. « Mes intérêts ont évolué, et je crois avoir fait tout ce que je pouvais faire avec les contraintes du rythme quotidien et des espaces réduits », écrivait-il simplement. À 37 ans, il se retire dans l’intimité la plus complète. Marié et père d’une fille, il semble se consacrer à la peinture, dédaignant toute apparition publique et toute exposition médiatique. À tel point qu’au début des années 2000, des reporters de journaux locaux tentent en vain de retrouver sa trace dans la ville de Chagrin Falls, en banlieue de Cleveland, dans l’État de l’Ohio, où Bill Watterson est arrivé à l’âge de 6 ans et a vécu jusqu’au début du succès.
Pendant quinze ans, ses activités publiques et en lien avec la bande dessinée se résument à de rarissimes dessins pour des revues, à l’occasion de tel ou tel hommage ou anniversaire. Pendant ce temps, les albums de Calvin et Hobbes s’arrachent : en 2013, on comptait 45 millions d’exemplaires vendus, dont plus de 2,5 millions en France. Ce n’est qu’en 2010 que le journal de Cleveland Plain Dealer publie non sans fierté une interview de Bill Watterson, que beaucoup ont, entre-temps, comparé à l’écrivain Salinger, qui a vécu reclus pendant quarante ans après avoir publié un unique roman.
Dans cet entretien, le dessinateur explique pour la première fois, en toute simplicité, la décision que les fans, quinze ans après, n’avaient toujours pas digérée. « Certains essayent de rendre cela plus difficile à comprendre que ça ne l’est en réalité. Après dix ans, j’avais dit tout ce que j’avais à dire, explique-t-il. C’est toujours mieux de quitter la fête tôt. Si j’avais surfé sur la popularité de ma bande dessinée et continué à faire la même chose pendant cinq, dix ou vingt années de plus, ceux qui aujourd’hui “pleurent” Calvin et Hobbes me détesteraient et maudiraient les journaux de continuer à publier un vieux strip comme le mien au lieu de laisser la place à de nouveaux talents. Et je serais bien d’accord avec eux.Je crois que l’une des raisons pour lesquelles Calvin et Hobbes a toujours une audience aujourd’hui, c’est parce que j’ai choisi de ne pas user le sujet jusqu’à la corde. »
Ne pas épuiser le sujet, voilà peut-être la préoccupation qui distingue Bill Watterson d’autres grands noms du comic strip. Son purisme intransigeant, sa volonté de promouvoir la bande dessinée comme un art à part entière font de lui un ovni dans cet univers. Le « neuvième art » est en effet souvent perçu comme réservé aux enfants ou aux adultes trop paresseux pour lire un « vrai » livre, et surtout, très commercial.
Bill Watterson, lui, a toujours refusé que le moindre produit dérivé Calvin et Hobbes ne voie le jour, tournant le dos à des revenus qui s’estiment en centaines de millions de dollars. D’autres n’ont pas eu ces scrupules. Peanuts et son personnage Snoopy, de Charles Schulz, ou Garfield, dessiné par Jim Davis, pour ne citer que les plus connus : il n’y a pas un objet de la vie courante sur lequel ne soient imprimés ces personnages. Sans parler des adaptations pour le petit ou le grand écran. Snoopy, qui génère encore, soixante-six ans après sa création, plus de 80 millions de dollars (soit 73 millions d’euros) de revenus par an en produits dérivés, sert même de mascotte à une compagnie d’assurances américaine. De son côté, Watterson aurait raccroché au nez de Steven Spielberg, et contraint son éditeur à repousser les avances des studios Disney.
Mais si l’œuvre de Bill Watterson reste, après plus de vingt ans de silence, aussi admirée, c’est aussi qu’elle n’a jamais été détrônée. Car la fin de Calvin et Hobbes a aussi marqué le début du déclin de la grande tradition américaine du comic strip, qui remonte au début du XXe siècle. La faute à la crise de la presse, en partie : les espaces dédiés aux bandes dessinées se sont réduits, les budgets aussi, et avec eux la liberté des auteurs. Dans Dear Mr Watterson, de Joel Allan Schroeder, un documentaire qui explore l’héritage de Calvin et Hobbes, l’avis de la nouvelle génération de dessinateurs est unanime : le « yéti des dessinateurs », comme le surnomme l’un d’eux, est le dernier géant du comic strip.



Gauthier Vaillant, le 29/07/2016 à 0h00



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