samedi 2 juillet 2016

Le désert dans la bible

Le désert dans la Bible

Si le désert renvoie à une terre hostile, stérile, il est pourtant le lieu où Dieu parle au cœur de l’homme.

Jésus, tenté par le diable dans le désert. Miniature de Cristoforo de Predis, 1476. / PrismaArchivo/Leemage

À quoi renvoie la notion de désert dans la Bible ?

Le désert, dans la Bible, est l’image de la terre hostile, stérile, « terre aride et ravinée, terre sèche et sinistre, terre où personne n’est jamais passé, où aucun homme n’a jamais habité » (Jr 2, 6). Un lieu désolé, peu sûr et habité par des êtres effrayants et des bêtes sauvages – « pays (…) de la lionne et du lion rugissant, de la vipère et du dragon volant » (Is 30, 6) –, où l’eau, principe même de la vie, est rare ou absente ; le lieu de la tentation (Lc 4, 1s) dans le Nouveau Testament.
 Cristoforo de Predis, 1476, "Jésus tenté par le diable"

À quels épisodes bibliques fait-il référence ?

Dès le Livre de la Genèse, il constitue le cadre géographique de plusieurs récits, notamment dans la geste d’Abraham : renvoi d’Agar et d’Ismaël (Gn 21, 14). Mais dans l’ensemble du Pentateuque, ce terme apparaît essentiellement à partir de l’Exode pour évoquer l’expérience de la longue traversée effectuée par le peuple hébreu, sous la conduite de Moïse, entre la sortie d’Égypte et l’arrivée en Terre promise. Les textes bibliques décrivent ainsi quarante ans – le temps d’une génération – d’errance, caractérisés par des difficultés multiples dans un « désert grand et terrible » selon les paroles prêtées à Moïse en Deutéronome 1, 19. Le peuple y affronte la faim, la soif, la guerre, la brûlure des serpents, le découragement.
D’un point de vue géographique, les descriptions de cet itinéraire mentionnent des lieux divers qui en constituent des étapes plus ou moins précises. En Exode 15, 22 – 16, 1, on relève les noms suivants : le désert de Shour, Mara, Élim, le désert de Sîn, le Sinaï.S’appuyant sur ces données, les géographes proposent un itinéraire possible partant de l’Égypte vers le sud de la péninsule du Sinaï puis remontant à Cadès d’où il redescend vers le golfe d’Aqaba pour remonter le long de la frontière occidentale d’Édom jusqu’au sud de la mer Morte ; de là, la route suit le cours du Zérèd, qui sépare Édom et Moab, contourne Moab par l’est, pour aboutir, après le passage de l’Arnon, au royaume amorite de Sihôn.
Cette marche servira alors de modèles aux autres traversées du désert rapportées par les prophètes, comme par les Évangiles : celle d’Élie notamment (1 Rois 19), celle d’Israël revenant de Babylone pour retourner en Judée (Isaïe 40 à 55) et, bien sûr, celle de Jésus (Mc 1, 12-13) : « Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert, et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient. »

Que symbolise-t-il dans les Écritures ?

Scandée par la mention des départs successifs, la traversée du désert montre un peuple en marche, conduit par Yahvé, son Dieu, vers la Terre promise. C’est un passage entre le pays de l’esclavage (l’Égypte) et le pays de la liberté ; le lieu, aussi, de la manifestation divine, du don de la Loi (la Torah) et du don de l’Alliance. « Les commentateurs soulignent d’ailleurs le paradoxe qui consiste à présenter le désert comme un lieu de parole », note le P. Michel Berder, exégète, professeur à la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Institut catholique de Paris (1) qui revient sur la racine hébraïque du terme : « En hébreu, le mot traduit ici par ”désert” est midbar. Or, la racine qui évoque la parole est dabar et le verbe “parler” vient très souvent dans les premiers chapitres du Livre des Nombres, dont le titre usuel en hébreu est bemidbar, “dans le désert”. »
Ce paradoxe se retrouve aussi dans ce que vit le peuple d’Israël, et plus largement l’homme. Car si le désert, dans la Bible, est un lieu d’épreuves où le peuple est tenté de se détourner de Dieu – adoration du veau d’or (Ex 32, 1-14) – il est aussi un lieu de grâce et de révélation ; un lieu où Yahvé parle au cœur de l’homme, comme il l’est mentionné dans Osée 2, 16 : « C’est pourquoi, mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur. » « C’est l’expérience de la parole de Dieu que nous entendons mieux parce que nous ne sommes pas gênés par les bruits extérieurs », soulève le P. Michel Guéguen, curé de la paroisse Saint-Honoré-d’Eylau (Paris) et ancien supérieur du séminaire de Paris (2). « Et cette parole se fait si proche qu’elle est sur les lèvres et dans le cœur. »« Le désert, c’est l’expérience de la proximité de Dieu », ajoute-t-il. Car sur ce chemin éprouvant propice au dépouillement et au retour sur soi, au long de cette marche initiatique, les Hébreux font l’expérience de l’indispensable protection de Dieu. Et prennent la conscience, concrète, qu’ils ne peuvent y subsister que par don, grâce et « bon vouloir » de Dieu : manne, cailles, eau du rocher (Exode 16 et 17).
Le désert est donc l’expérience, temporaire, pour le P. Gérard Billon, exégète et directeur du service biblique catholique Évangile et Vie, « durant laquelle l’homme se rend compte qu’il ne peut compter que sur Dieu, et sur lui seul ». Une expérience, transitoire, nécessaire pour pouvoir déguster et prendre conscience des vraies saveurs de la Terre promise. « Il faut être privé, un temps, du pain, pour pouvoir déguster sa vraie saveur », rappelle le P. Gérard Billon. « Et ne pas en manquer peut nous faire oublier cette saveur », précise l’exégète qui rapproche cette expérience des épisodes, « désertiques », que chacun peut vivre.

Pourquoi Jésus a-t-il dû vivre, lui aussi, ce temps d’épreuves ?

« Jésus est mis dans la même situation que le peuple juif, dans le désert, pour montrer les attitudes que Moïse et le peuple juif, auraient dû adopter », explique le P. Gérard Billon. Il se montre ainsi réellement comme le Fils de Dieu, à travers une confiance, inébranlable, en Dieu. Ainsi, face aux tentations du diable, Jésus ne cède jamais mais se réfère, toujours, à l’Écriture. Quand le diable lui demande d’ordonner à la pierre de devenir pain (Lc 4, 1-13), il répond : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain » ; quand il lui demande de se prosterner, il répond : « il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte »« En tant qu’homme, il nous montre ainsi qu’il est possible pour nous, hommes, de poser ces mêmes attitudes, de confiance, relève l’exégète. Jésus est un modèle exemplaire. »
Isabelle Demangeat
(1) « L’Expérience du désert dans la Bible et le Coran », Le Monde de la Bible, n° 197, 67 p. (2) « Au désert, je parlerai à ton cœur », conférence de Carême pour les jeunes à St-Joseph des Carmes (Paris), mars 2010, 8 p.

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