jeudi 7 juillet 2016

LC L'héritage de Michel Rocard 20160707

Quel héritage laisse derrière lui Michel Rocard ?
Recueilli par Quentin Fruchard et Pierre Wolf-Mandroux, le 07/07/2016 à 0h00
·          0
Un hommage national est rendu aujourd’hui à l’ancien premier ministre, figure de la deuxième gauche, mort samedi à l’âge de 85 ans. Un culte d’adieu sera célébré ce matin au temple de l’Étoile de l’Église protestante unie avant la cérémonie présidée à midi par François Hollande à l’Hôtel des Invalides.
« Il a incarné le tournant social-démocrate du Parti socialiste »
Alain Bergounioux
Historien, membre du conseil national du Parti socialiste et ancien collaborateur de Michel Rocard à Matignon
Du rocardisme, il demeure aujourd’hui trois grands legs. Le premier, comme on a pu le voir avec le grand consensus, à droite comme à gauche, qui a suivi l’annonce de sa mort, c’est la reconnaissance d’une certaine authenticité, d’une générosité dans les idées. Ce dialogue au nom d’une politique d’idées a pu s’illustrer dans son livre d’entretiens avec Alain Juppé (JC Lattès, 2011) : c’est de la politique comme on aimerait en voir plus souvent !
Son deuxième legs, c’est sa volonté de marier les responsabilités économiques et l’ambition sociale. Pour lui, il n’y avait pas de politique qui vaille en la matière, sans les moyens de la faire réussir, en prenant en compte la réalité. « Tout ne peut pas venir de l’État » : la phrase lui est souvent attribuée, même si elle provient de Lionel Jospin. C’est le Rocard autogestionnaire, décentralisateur, social-démocrate, qui proposait un partenariat entre l’État et la société, grâce à un dialogue avec la société et les syndicats.
Le troisième héritage de Michel Rocard, ce sont enfin ses grandes mesures dont les effets se font sentir encore aujourd’hui, adoptées au cours de sept ans de postes gouvernementaux, même s’il n’a jamais été président de la République. Il ne s’agit pas seulement du revenu minimum d’insertion (RMI) ou de la contribution sociale généralisée (CSG), mesures phares qui ont changé la donne en matière de protection sociale. Il a permis la signature des accords de Matignon en Nouvelle-Calédonie. En tant que ministre du plan et de l’aménagement du territoire, il a mis en place les contrats de plan État-régions. Il a également réformé l’enseignement agricole lors de son passage au ministère de l’agriculture. Et il a initié plusieurs politiques d’avenir en matière de réforme de l’État notamment.
Il a incarné le tournant social-démocrate du Parti socialiste, même si celui-ci ne commence pas avec son gouvernement, car déjà appuyé par des inflexions, sous la responsabilité de François Mitterrand dès 1982 et 1983. Aujourd’hui, la social-démocratie est cependant à la peine, bousculée par la mondialisation, les nouvelles technologies, les transformations de la société, etc. Au gouvernement, Manuel Valls, Michel Sapin ou Marisol Touraine sont des rocardiens de parcours, soutenus ou formés par l’ancien premier ministre à leurs débuts. Plus récemment, Emmanuel Macron se réclame du rocardisme. Michel Rocard a pourtant eu une pensée trop complexe, trop large et contrastée pour qu’on puisse lui trouver aujourd’hui de successeurs au vrai sens du terme.
« Le dialogue et la confiance en la société civile »
Jacques Stewart
Pasteur, ancien président de la Fédération protestante de France de 1987 à 1997
Lorsqu’il établissait son bilan, Michel Rocard évoquait souvent l’importance de la mission de dialogue qu’il avait lancée en 1988 pour rétablir la paix en Nouvelle-Calédonie. Il connaissait le rôle important qu’avaient joué les Églises chrétiennes et la franc-maçonnerie sur l’île, que ce soit sur le plan social ou dans l’éducation, pour pallier les carences de l’administration. Il a donc eu l’intuition d’envoyer une mission de dialogue composée, entre autres, de responsables religieux. Il m’avait sollicité et j’ai accepté d’en faire partie. J’étais accompagné du P. Paul Guiberteau, alors recteur de l’Institut catholique de Paris, de Roger Leray, ancien dirigeant du Grand Orient de France, ou encore du haut fonctionnaire Christian Blanc, ancien secrétaire général de l’île.
Cette initiative reflétait bien l’importance que Michel Rocard accordait au rôle de la parole, dans tous les domaines. Plutôt que d’imposer une négociation ou des statuts à la Nouvelle-Calédonie, comme c’était la coutume jusqu’alors à Matignon, Michel Rocard a souhaité restaurer une parole entre les différents groupes de la société civile. La démarche renouvelait la manière dont le gouvernement tentait de résoudre les conflits politiques ou sociaux. Même si pour certains, c’était une entorse faite à la laïcité…
Mais à l’époque, l’île risquait la guerre civile. Le gouvernement ne cessait d’imposer des statuts qui se contredisaient les uns les autres. Avant de partir, nous n’avions reçu absolument aucune consigne de la part de Michel Rocard. Il a fallu dissiper tout malentendu à ce sujet devant nos interlocuteurs. Beaucoup s’attendaient à ce que nous annoncions les grandes lignes d’un nouveau statut. Nous leur répondions que nous étions venus les mains vides. Cela a créé un certain choc. Peu à peu, une confiance s’est établie entre les personnes rencontrées – 1 500 au total, dont certaines étaient recherchées. On a préparé le terrain aux négociations qui débouchèrent sur les accords de Matignon.
Le P. Guiberteau avait parlé de « miracle » à l’issue de notre mission. Je le pense aussi. Lors de la guerre en ex-Yougoslavie, nous avions cherché, responsables religieux, à mener une mission de dialogue semblable. Mais le gouvernement français nous avait alors opposé une indifférence à peine polie. On nous avait fait comprendre que les négociations étaient réservées aux experts politiques… Michel Rocard, lui, accordait très souvent sa confiance aux personnes qu’il rencontrait. Mais cette confiance n’était pas naïve. En retour, il était très exigeant.
Il avait une passion pour la recherche de la vérité. Il ne se contentait pas des grands discours. Cela faisait partie de son éthique protestante, disait-il, et notamment celle qu’il avait acquise aux scouts. Il faisait très souvent allusion à ce moment particulier de sa jeunesse.
Recueilli par Quentin Fruchard et Pierre Wolf-Mandroux


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire