Michael
Cimino, cinéaste de l’abîme
Nathalie Lacube, le 04/07/2016 à
0h00
Les films de Michael Cimino, décédé
samedi à 77 ans, sont hantés par le vertige de la perte de soi face au
mal, de Voyage au bout de l’enfer à La Porte du paradis.
Sur le tournage de Voyage au bout de
l’enfer, en 1978. / Rue des Archives
Voyage au bout de l’enfer, le film qui révéla Michael Cimino en 1978, s’appelle, dans
sa version originale, Le Chasseur de daim (The Deer Hunter). Un
titre sans emphase, bien plus révélateur de la personnalité du réalisateur et
scénariste américain, retrouvé mort samedi à son domicile de Los Angeles.
Michael Cimino, dont les causes de la mort restent à déterminer, laisse une
œuvre hantée par le vertige de la perte de soi face à la violence et à la
banalité du mal.
Ainsi, le parcours du chasseur de
daim, incarné par Robert de Niro, et de ses amis, qui passeront de leur
quotidien d’ouvriers sidérurgistes de Pennsylvanie au bourbier de la guerre du
Vietnam, est bien plus qu’un film de guerre.
Réflexion intime et cinglante sur ce
que l’on peut défendre de son humanité dans un conflit dévastateur et absurde, Voyage
au bout de l’enfer, avec ses longues scènes américaines presque élégiaques
(de mariage, de chasse en montagne, de discussions familiales, de promenades
amoureuses), opposées à l’extrême violence des scènes vietnamiennes (combats,
bombardements, morts, survie dans un camp où les prisonniers sont contraints de
jouer à la roulette russe), crée une onde de choc en 1978.
Le talent de ses interprètes, Robert
de Niro, Christopher Walken, John Savage, John Cazale et Meryl Streep, fait
sensation. Avec cinq Oscars en 1979, dont celui du meilleur film, et de
meilleur réalisateur, Michael Cimino est célébré comme le chef de file du
« Nouvel Hollywood » aux côtés de Francis Ford Coppola. L’homme, dont
le nom n’avait jusque-là été associé qu’à des films d’action, le scénario du
deuxième Inspecteur Harry avec Clint Eastwood ou, comme réalisateur,
Le Canardeur avec Jeff Bridges, est reconnu comme un auteur.
Il obtiendra carte blanche et un
énorme budget de United Artists pour La Porte du paradis (Heaven’s Gate),
resté dans les mémoires comme le plus grand fiasco de l’histoire du cinéma.
Cette fresque de 3 heures 40, mettant en scène le féroce conflit opposant
de riches propriétaires de bétail du Wyoming à des immigrants venus d’Europe de
l’Est, choque les États-Unis, tant elle démolit la version idéalisée par les
westerns de la conquête de l’Ouest. Le film reste à l’affiche une semaine,
United Artists fait faillite, et Cimino devient, à l’instar d’Orson Welles, un
cinéaste « maudit ».
Il ne reviendra qu’en 1985 avec L’Année
du dragon, sur la mafia chinoise, qui lui valent des accusations de racisme,
puis subira trois échecs commerciaux avec Le Sicilien (1987), Desperate
Hours (1990), et The Sunchaser (1996). Depuis cette belle œuvre
méditative sur les Navajos, tournée dans les montagnes du Colorado, il y a
vingt ans, Michael Cimino n’avait pas fait de films. Mais, en 2012, il avait pu
présenter sa version définitive de La Porte du paradis, acclamée par les
cinéphiles à la Mostra de Venise.
Nathalie
Lacube
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