Elie Wiesel,
une vie pour témoigner et ne pas oublier
Laurent Larcher, le 04/07/2016 à
0h00
Le prix Nobel de la paix s’est
éteint à l’âge de 87 ans.
Auteur d’une soixantaine de livres,
inspirés de son expérience des camps de la mort, il a consacré sa vie à la
mémoire de la Shoah.
Elie Wiesel en 2009. Sans relâche,
le Nobel de la paix méditera ce qu’il a vécu, dira ce qu’il a vu, exposera ce
qu’il a compris. / Bela Szandelszky/AP
Mai 1955, Elie Wiesel a 26 ans
et commence sa carrière de journaliste. Le futur prix Nobel de la paix qui
s’est éteint samedi à l’âge de 87 ans aux États-Unis, frappe, intimidé, à
la porte de François Mauriac pour une interview. L’académicien et grande plume
du Figaro lui parle surtout de Jésus et de la souffrance. Le jeune
Wiesel l’interrompt : « Il y a de cela dix ans à peu près, j’ai vu des
enfants, des centaines d’enfants juifs qui ont souffert plus que Jésus sur sa
croix, et nous n’en parlons pas. » Et ajoute : « Je suis l’un
d’eux. »
Il se lève et se dirige vers
l’ascenseur. François Mauriac l’invite à reprendre sa place. « Il m’a
regardé et il s’est mis à pleurer », raconta plus tard Elie Wiesel.
L’écrivain catholique avait lu la « mort de Dieu dans cette âme d’un
enfant qui découvre d’un seul coup le mal absolu », comme il l’écrivit
dans sa préface de La Nuit, premier roman du jeune Roumain.
Mauriac encourage Wiesel à écrire
sur son expérience de l’extermination, à raconter son histoire et oser la
publier. Grâce à cet appui, Wiesel peut non sans mal, publier en 1958 son
premier livre aux éditions de Minuit : La Nuit. La vie du numéro A-7713,
rescapé d’Auschwitz, prenait une nouvelle tournure. Désormais, il va non
seulement écrire sur la Shoah, mais sans relâche méditer ce qu’il a vécu, dire
ce qu’il a vu, exposer ce qu’il a compris. Auteur d’une soixantaine de romans,
d’essais, de pièces de théâtre et de dialogues, son œuvre est une immersion
dans le mal, dans la destruction de l’homme par l’homme. Et un appel à la
responsabilité de ses contemporains face à l’histoire qui se fait et aux
tragédies du moment.
Né dans une famille juive de
modestes et pieux épiciers le 30 septembre 1928 à Sighet, en Roumanie
(alors la Transylvanie), Elie Wiesel n’a rien vu venir du danger nazi. C’est
avec une forme de stupeur qu’il est déporté en mai 1944, à 15 ans à
Auschwitz-Birkenau. Dans La Nuit, il y raconte : « Jamais je
n’oublierai cette nuit, la première nuit de camp, qui a fait de ma vie une nuit
longue et sept fois verrouillée. Jamais je n’oublierai cette fumée. Jamais je
n’oublierai les petits visages des enfants dont j’avais vu les corps se
transformer en volutes sous un azur muet. »
Sa mère et l’une de ses sœurs sont
assassinées. À Birkenau où il a été transféré, il assiste, impuissant, à la
mort de son père sous les coups d’un SS : « J’ai laissé mon vieux père
seul agoniser. Sa voix me parvenait de si loin, de si près. Mais je n’ai pas
bougé. Je ne me le pardonnerai jamais. Jamais je ne pardonnerai au monde de m’y
avoir acculé, d’avoir fait de moi un autre homme, d’avoir réveillé en moi le
diable, l’esprit le plus bas, l’instinct le plus sauvage. »
À sa sortie du camp, en 1945, il est
recueilli en France par l’Œuvre de secours aux enfants (OSE). Il doit apprendre
à vivre l’après-génocide dans un pays qui n’est pas le sien. Après des études à
la Sorbonne, il devient journaliste.
En 1956, il s’installe aux
États-Unis. Il écrit toujours en français, publie plusieurs romans aux éditions
du Seuil dans les années 1960 (L’Aube, Le Jour, Les Portes de
la forêt, Le Mendiant de Jérusalem…) et devient titulaire de la chaire en
sciences humaines de l’université de Boston.
Il est, à l’initiative du Conseil
américain du Mémorial de l’Holocauste, chargé de créer un musée en souvenir des
millions de victimes, juives et non juives, de la Seconde Guerre mondiale.
Nobel de la paix en 1986, Élie Wiesel met son nom et sa notoriété au service
des persécutés et des victimes des violences extrêmes : défense des juifs
soviétiques, des Indiens du Nicaragua, des Cambodgiens, des Kurdes, des
Kosovars. En 2008, il accepte de soutenir la démarche de l’hebdomadaire Pèlerin
en faveur des réfugiés du Darfour en signant l’appel de Bernard Kouchner,
coécrit et publié par l’hebdomadaire catholique.
Elie Wiesel a pris également des
positions lui valant de nombreuses critiques comme son engagement en faveur de
l’intervention américaine en Irak en 2003.
Lors de son discours de réception du
prix Nobel de la paix en 1986, l’auteur de La Nuit lança cet appel qui
résonne aujourd’hui comme un testament : « Nous devons toujours prendre
parti. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage
le persécuteur, jamais le persécuté. »
Laurent
Larcher
En quelques dates
30 septembre 1928. Elie Wiesel naît à Sighet, en Roumanie alors la Transylvanie.
1944. À 15 ans, il est déporté avec sa famille dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, où sa mère et sa plus jeune sœur sont assassinées, puis à Buchenwald où son père meurt.
1945. Libéré en avril, il est recueilli en France. Après des études de philosophie à la Sorbonne, il devient journaliste et écrivain.
1955. Il publie La Nuit, où il raconte sa captivité.
1963. Il devient citoyen américain, enseigne les sciences humaines à l’université de Boston et partage sa vie entre les États-Unis, la France et Israël.
1986. Il reçoit le prix Nobel de la paix.
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