vendredi 24 octobre 2014

Soigner

La médecine occidentale à l’épreuve de l’ayurveda
Par Danièle Moyse
Le 6 juin 2013, Arte diffusait Mon docteur indien, le documentaire de Simon Brook, qui évoque la rencontre du cancérologue Thomas Tursz avec les médecins indiens qui ont soigné par la médecine ayurvédique une de ses anciennes patientes, alors atteinte d’un cancer du sein. Impressionné par la guérison de Marinella Bani, cette malade qui avait refusé plusieurs des traitements proposés à l’Institut Gustave-Roussy, le professeur Tursz a accepté d’accompagner Marinella jusque dans l’hôpital d’Inde du Sud où elle a été accueillie.
C’est avec tout ce qu’il est, que le professeur habitué aux validations scientifiques, et désireux de comprendre les « techniques » qui ont guéri Marinella, entreprend le voyage. La rencontre n’en est que plus passionnante ! Car le praticien français n’est pas d’abord présenté à un médecin, du moins au sens que notre médecine donne désormais à ce mot, mais à un sage. Si ayurveda signifie effectivement, en sanscrit, « la connaissance de la vie », il apparaît aussitôt que cette « connaissance » ne relève pas principalement, pour les savants indiens, de la science biologique.
Aussi, quand le médecin occidental demande : « Quelle est votre méthodologie, votre technique ? » la réponse qui lui est donnée constitue en soi un bouleversement de la conception actuelle de la médecine occidentale : « Nous commençons par essayer de gagner l’amitié des malades », « Nous n’avons pas de méthodologie ; on interagit et on s’adapte ».
Sans qu’il en soit peut-être très conscient, le sage indien énonce ainsi ce que signifie philosophiquement, pour nous, avoir ou ne pas avoir de méthode. Tout le monde comprend en effet qu’un médecin qui exerce méthodiquement suit une démarche rationnelle, mais la plupart auront oublié qu’avoir une « méthode », au sens que Descartes a imprimé à ce terme, c’est précisément ne pas « interagir et s’adapter », mais chercher à imposer aux phénomènes la loi de l’esprit, « en supposant même de l’ordre entre “les objets” qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres » (Discours de la méthode) ! On sent donc à plusieurs reprises que le médecin occidental semble rechercher quelle rigueur scientifique préside à cette médecine dépourvue de méthodologie.
Inversement, on se demande comment les médecins indiens pourraient s’entendre avec des praticiens qui luttent d’abord contre des maladies, là où ils tentent de soigner des malades. Deux mondes s’affrontent : celui où l’on se donne pour but de supprimer les symptômes ; celui où l’on tente de réinscrire le malade dans un univers de sens où il pourrait se réconcilier avec la vie.
Pourtant, le dialogue s’instaure, les médecins indiens reconnaissant aux Occidentaux des résultats thérapeutiques rapides, là où leurs médicaments conjugués à une réforme en profondeur de la façon d’envisager l’existence ne produisent d’effets que sur le long terme. Aussi affirment-ils ne jamais proposer l’arrêt des chimiothérapies ou radiothérapies, jugées souvent nécessaires pour tenir en bride la maladie. On se prend alors à rêver d’une médecine qui, conjuguant l’efficacité de la science moderne avec une compréhension globale de l’homme, se remémorerait l’époque où, invoquant Asclépios, fils d’Apollon, les médecins grecs auxquels Hippocrate était affilié donnaient spontanément au retour à la santé une dimension spirituelle !


Retrouvez la chronique de Danielle Moyse sur http://philosophies.tv

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire