Rappel des faits
Le 7 octobre 2014, Julien Aubert, député UMP du Vaucluse, a été condamné à payer 1378 € (soit un quart de son indemnité parlementaire mensuelle) pour s'être adressé à une des six vice-président(e)s de l'Assemblée nationale Sandrine Mazetier en l'appelant "Madame LE PRESIDENT". Provocation ? Bien sûr ! Affrontement de partis et de personnes au travers du vocabulaire ? Evidemment !L'Académie française considère qu'il est normal de féminiser certains noms, mais n'en fait pas un système. Elle aurait d'ailleurs quelques difficultés à faire accepter "sapeuse-pompière" ou - horresco referens (~=pire encore) - le féminin de "maître-chien". Voici les réflexions que cet incident inspire à Mme Geneviève Jurgensen dans le numéro de ce matin.
Libre donc réglo
« Pour ceux et celles qui trouvent la féminisation des titres ”ridicule” et dérisoire, il est une façon logique et directe de renvoyer ce sujet au peu de cas qu’elles et ils veulent en faire : cesser de se battre contre. » Ces lignes sont signées Marie Donzel, chèfe d’entreprise et auteure comme elle l’écrit et l’orthographie elle-même sur son blog (1). La cause en question est celle de la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions. Et la note, publiée le week-end dernier, commente bien sûr l’incident qui eut lieu à l’Assemblée nationale, quand un député du Vaucluse (et surtout de l’opposition, évidemment) insista pour interpeller l’un des six vice-présidents, une femme en l’occurrence, en l’appelant « madame le Président ».La sanction financière qui s’ensuivit – lourde et déclenchant une pétition signée de nombreux
collègues de l’opposition – me surprit. Non que la provocation ne fût évidente. Mais le débat vif, et même la provocation, sont fréquents dans les parlements d’États démocratiques, et les sanctions heureusement sont rares. En l’espèce, la provocation était idéologique, on ne peut pas dire qu’elle était insultante, ni même entachée de manque de respect.
Quelle différence avec, par exemple, certains députés, de l’opposition eux aussi, imitant la poule, le 8 octobre 2013, pendant qu’une députée écologiste s’exprimait sur la réforme des retraites ! Le président Bartolone demanda qu’on s’en tienne aux idées à défendre et que l’hémicycle ne se transforme pas en cour de récréation. Et il ordonna une suspension de séance d’une minute pour laisser le temps aux esprits de se calmer. Sage réaction à mon sens, qui remit tout le monde à sa place.
Réformer le langage doit rester un thème sensible parce que, sous couvert d’ajouter un e par-ci par-là et de défendre la cause des femmes, il s’agit évidemment de réformer la pensée. Peut-on admettre que cela se fasse par ordonnance ? Asséner que les Québécois écrivent chèfe et gouverneure n’a pas de sens. Avant tout parce que les Québécois font ce qu’ils veulent et nous aussi, accessoirement parce que, même au Québec, la féminisation des noms de titres et métiers n’a rien d’obligatoire, comme on peut le lire sur le site rigolo de la Banque de dépannage linguistique, sous l’égide de l’honorable Office québécois de la langue française (2).
Mais dans cette histoire, et particulièrement dans la citation du blog que je partage ci-dessus, ce qui m’a troublée, c’est l’idée que, lorsqu’un combat semble ridicule, il suffit de l’abandonner.
On notera en effet que l’auteur du blog suggère l’abandon aux seuls défenseurs du statu quo. À ce train, il suffirait dans tout désaccord que l’un fasse de son caprice une cause, l’autre estimant qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, pour que le premier l’emporte automatiquement. Ça nous emmènerait loin. De toute façon, rien n’indique l’efficacité concrète de la féminisation du vocabulaire sur la promot ion des femmes ni sur le respect de leur personne dans la vie quotidienne. Les femmes ne sont pas les égales des hommes, même en France où pourtant les progrès accomplis sont considérables, et leur situation est catastrophique dans bien des régions du monde. Mais, même dans ces régions, elle peut être complexe.
Le viol en Inde est par exemple un problème national et le mariage des jeunes filles avant leur majorité (18 ans) reste l’usage fréquent, mais une femme y fut premier ministre dès 1966, puis
à nouveau en 1980, et plus récemment une autre y fut président de la République, ce dont nous ne pouvons pas nous vanter. Au Pakistan voisin, les contrastes sont tels qu’on ne saurait non plus simplifier la question, si ce n’est pour souligner que l’enjeu, national, est loin de diviser la population de façon manichéenne (3).
La sanction sera-t-elle appliquée contre le député du Vaucluse ? La vice-présidente s’appuyait, au perchoir, sur le règlement de l’Assemblée nationale. La féminisation des noms de fonctions et métiers ne semble pourtant pas y figurer. J’estime pour ma part que, particulièrement au Palais-Bourbon, défendre le règlement, tout le règlement et rien que le règlement, est une cause importante pour la liberté de tous. J’espère que ce sera le cas.
(1)
blog.francetvinfo.fr/ladies-and-gentlemen/
(3)
Lire le
passionnant article « Les femmes au Pakistan : une situation contrastée », sur
le site de La Documentation française
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Deux notes encore :
- « Les réformistes, qui souhaitent tout féminiser, n’ont jamais réussi à se mettre d’accord avec les académiciens et les traditionalistes qui de leur côté souhaitent garder la forme masculine, quel que soit le sexe de la personne qui exerce la fonction » (Alain Rey, rédacteur en chef des éditions Le Robert)
- "En français le masculin tient aussi lieu de neutre" (un correcteur au Monde)
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J'ajoute que Madame Jurgensen vaut la peine d'être mieux connue ; je vous suggère de fureter derrière le lien suivant pour aller plus loin : http://fr.wikipedia.org/wiki/Genevi%C3%A8ve_Jurgensen
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