18 mai 1302
Les «Matines
de Bruges»
Au petit matin du 18 mai 1302, à Bruges,
en Flandre, des insurgés en armes pénètrent dans les maisons et abordent les
occupants en leur demandant de répéter après eux :« Schild en
vriend ! » (Bouclier et ami !). *
Il est impossible à qui n'est pas natif des
Flandres de prononcer correctement cette expression. C'est ainsi que les
soldats de la garnison française sont démasqués les uns après les autres et
assassinés au pied de leur lit. On compte un millier de morts.
Cette journée a été appelée « Matines
de Bruges » (on dit aussi « Matines
brugeoises ») par analogie avec les « Vêpres siciliennes » qui chassèrent 20 ans plus tôt les
Français de Sicile. Elle réduit à néant le rêve des rois capétiens d'annexer
les Flandres. Jalouses de leur indépendance, les cités flamandes finissent par
se fédérer à leurs voisines brabançonnes, jusqu'à constituer la Belgique.
NB : dans le langage religieux, les matines désignent
les prières des moines avant le lever du jour et les vêpres, les
prières du soir).
Jean Brillet
Destins croisés
Lors du premier partage de l'empire carolingien, à Verdun, en août 843, la Francie
occidentale, ancêtre de la France, avait reçu la Flandre littorale,
jusqu'aux bouches de l'Escaut. En 862 apparaît le comté de Flandre. Le roi
Charles le Chauve confie la nouvelle seigneurie à son gendre Baudouin 1er.
Aux siècles suivants, les comtes de Flandre
empiètent sur les terres voisines, qui relèvent du Saint Empire romain
germanique, notamment la Zélande et le Hainaut. Ainsi deviennent-ils à la fois
vassal du roi de France et de l'empereur, ce qui leur garantit une grande marge
de liberté.
Dès le XIIe siècle, les tisserands flamands,
à Bruges, Ypres ou Gand, ont la bonne idée d'acheter de la laine aux éleveurs
anglais. Ils fabriquent ainsi des draps qu'ils revendent à prix d'or dans toute
l'Europe.
À Bruges, les importateurs de laine anglaise
forment une bourgeoisie qui domine la classe laborieuse des artisans. Leurs
représentants, les échevins, dirigent la ville avec les
représentants du comte de Flandre. Cette situation dure depuis l'assassinat du comte
Charles le Bon en 1127.
En 1280, des troubles agitent les villes
flamandes comme Ypres, Bruges et Douai. À Bruges, un incendie détruit le
beffroi et les chartes qu'il renferme. Le comte de Flandre Guy de Dampierre
punit la ville en lui imposant une lourde amende cependant que les échevins
profitent de la disparition des chartes pour raffermir leurs privilèges.
Sous les règnes de Philippe Auguste et Saint
Louis (Louis IX), la France est, quant à elle, devenue le plus puissant royaume
d'Europe. Mais à la fin du XIIIe siècle, la Flandre et l'Angleterre commencent
à lui faire de l'ombre grâce à leur enrichissement rapide.
Convoitises
françaises, cajoleries anglaises
Voilà qu'en 1294, les Anglais eux-mêmes
créent à Bruges une «étape». Les artisans tisserands y voient
l'occasion de se fournir directement en laine anglaise sans passer par
l'intermédiaire des bourgeois. Ces derniers se tournent vers le roi de France,
Philippe IV le Bel.
Les tensions montent entre les deux
populations. Elles sont brutalement aggravées en 1296 par le roi d'Angleterre,
Édouard 1er, qui impose un embargo sur les exportations de laine pour détourner
les Flamands de la laine anglaise. L'opération ne réussit que trop bien. Elle
provoque révoltes et même famines. Dès l'année suivante, le comte de Flandre
Guy de Dampierre négocie une alliance avec le roi d'Angleterre.
Mais Philippe IV le Bel attire le comte de Flandre à Paris et
l'emprisonne. Il installe en Flandre un gouverneur à sa dévotion, Guy de
Châtillon. De Lille à Bruges, les villes flamandes ouvrent leurs portes aux
garnisons françaises.
Le 29 mai 1301, Philippe le Bel et sa cour
sont accueillis en grande pompe à Bruges par les bourgeois (aux frais du
peuple). Le roi se réjouit de l'annexion des Flandres au royaume. Un tisserand
du nom de Pierre Coning (en flamand, Pieter de Coninck) appelle le peuple à la
révolte. Ses partisans, les « klauwaerts » (du parti
de la griffe, symbole de la Flandre), sont néanmoins repoussés par les
bourgeois, favorables au roi de France (on les surnomme « leliaerts » ou parti
du lys). Méfiant, le gouverneur des Flandres, Jacques de Saint-Pol,
supprime les libertés de Bruges. La population se reprend alors à écouter les
harangues de Pierre Coning. En représailles, les Français occupent en force la
ville.
C'est alors que surviennent les « Matines
de Bruges ». 1600 insurgés entrent dans la ville et assassinent les
Français.
La « bataille
des éperons d'or »
Comme si cet avertissement ne suffisait pas,
les chevaliers français, commandés par Robert d'Artois, sont honteusement
battus par les milices communales du parti de la griffe deux
mois plus tard, le 11 juillet 1302, à la « bataille des éperons d'or », près de Courtrai.
* En réalité le mot de passe était " 's gilden vriend " (ami des gildes); il n'est jamais trop tôt pour apprendre ou corriger de vieilles erreurs.
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