Confrontation
C’est sur une montagne, bien sûr, qu’a lieu la rencontre au sommet : celle de l’Élu par excellence, Moïse, avec Dieu. « Rencontre » est d’ailleurs un euphémisme, puisque cette confrontation dure quarante jours et quarante nuits, au terme desquels le prophète redescend du mont Sinaï, porteur des tables de la Loi reçues directement du Créateur. À son retour, il trouve son peuple, devenu infidèle, en adoration devant le veau d’or, et dans sa fureur il brise les tables sacrées. Il lui faudra retourner sur le Sinaï et obtenir de nouvelles tables, pour que les Hébreux, stupéfaits par le resplendissement de son visage, retrouvent leur foi en Dieu (Exode, 19-37).Dans les Églises réformées, les tables de la Loi, avec leur caractéristique bord arrondi, remplaçaient la croix des Églises catholiques. Par ailleurs, la Hollande était, au XVIIe siècle, le grand foyer européen des études bibliques et orientales. Rembrandt était proche des cercles intellectuels d’Amsterdam et il fréquentait la communauté juive de la ville. Cela explique peut-être le soin avec lequel, dans ce tableau, il a inscrit le texte des Dix Commandements, en hébreu, sur les tables.
Lieu extrême
L’œuvre date de la dernière période de l’artiste (1659), durant laquelle sa peinture devient de plus en plus allusive, elle ne définit pas mais suggère. Le fond vague et montueux, désertique et brûlant, suggère à merveille le lieu, un lieu extrême, aux confins du monde terrestre, un espace qui n’est plus tout à fait physique mais déjà mental et où souffle l’Esprit. Par le jeu des tons qui se superposent et se confondent, le prophète semble une émanation du lieu, il semble pétri dans la même substance, il en jaillit.Sa stature vertigineuse, en cadrage serré, compose une sorte de figure de montagne, couronnée, à l’instar d’une synagogue, par les tables sacrées. Ce personnage possède une autorité impérieuse et menaçante, quelque peu surhumaine, qui semble le reflet de l’autorité divine qui l’a investi. Mais l’expression du visage n’est pas accordée au geste de colère, elle est de grande tristesse, voire de pitié. C’est une colère navrée. Et l’image autorise plusieurs lectures : Moïse, affligé, s’apprête à fracasser les tables ; Moïse, au visage illuminé, brandit ces tables en un geste qui est aussi de triomphe. Les deux épisodes sont comme fondus en un seul geste et la trame narrative condensée dans cette figure unique dont la formidable énergie, « suspendue », se concentre, in fine, dans le visage et le regard : l’adresse directe au spectateur agit comme un appel à méditer les fondements de la morale chrétienne.
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