29 mai 1453
Prise de Constantinople par les Turcs
Le 29 mai 1453 figure traditionnellement parmi les dates-clés de l'Histoire occidentale. Ce jour-là,
Constantinople tombe aux mains du sultan ottoman Mehmet II (ou Mahomet II).
La cité, vestige de l'empire romain d'Orient et de l'empire byzantin,
était l'ultime dépositaire de l'Antiquité classique. Elle faisait aussi
office de rempart de la chrétienté face à la poussée de l'islam.
Sa chute, bien qu'attendue et prévisible, provoque l'émoi dans toute
la chrétienté. Elle consacre l'avènement d'une nouvelle ère historique.
André Larané
Le siège de Constantinople
Cette illustration tirée d'un manuscrit français de 1455 montre le
siège de Constantinople avec, à gauche, la Corne d'Or, et au fond, de
gauche à droite, le détroit du Bosphore et la mer de Marmara.
Déjà les Arabes...
La prestigieuse capitale de l'empire byzantin avait déjà subi deux
sièges par des flottes musulmanes. C'était aux premiers siècles de
l'islam. Le premier siège avait duré cinq ans, de 673 à 677 ; le second
un an
«seulement», en 717.
À chaque fois, les assiégeants - des Arabes - avaient été repoussés
grâce à une arme secrète dont disposaient les Byzantins : le feu
grégeois (ou grec). Il s'agit d'un mélange mystérieux de salpêtre,
bitume, soufre.... qui a la particularité de brûler même sur l'eau.
Propulsé en direction des navires ennemis, il permettait d'incendier
ceux-ci à coup sûr. Malgré cet atout, les Byzantins perdirent au fil des
siècles leur supériorité en matière d'armement.
D'un siècle l'autre, ils eurent aussi à affronter des adversaires
d'autres origines : Bulgares et Avars venus du bassin danubien, croisés
francs, Normands, Vénitiens et Génois venus d'Occident....
... Et voici qu'arrivent les Turcs
La chute de la
«nouvelle Rome» devient inéluctable lorsque de nouveaux envahisseurs venus d'Asie, les
Turcs ottomans,
traversent le détroit du Bosphore. Ils s'emparent de la plus grande
partie de la péninsule des Balkans et installent leur capitale à
Andrinople, à un jet de pierre au nord de Constantinople. Celle-ci se
trouve dès lors presque complètement isolée au milieu des territoires
ottomans. Elle ne peut d'autre part guère compter sur le soutien des
Occidentaux...
Dès le XIVe siècle, les victoires des Turcs à
Kossovo et Nicopolis sur les armées coalisées des chrétiens permettent de croire à la chute imminente de Constantinople.
Mais la défaite des Turcs à
Angora(aujourd'hui Ankara, en Turquie), face à Tamerlan, diffère d'un demi-siècle l'échéance fatale.
Au milieu du XVe siècle, réduite à moins de 100.000 habitants et dépourvue d'arrière-pays, la ville de l'empereur
Constantin 1er n'est plus que l'ombre d'elle-même.
C'est un petit État en relation avec les marchés de l'Extrême-Orient
pour le plus grand bénéfice des marchands de Venise et de Gênes qui
s'approvisionnent en soieries chinoises.
La mobilisation
En 1451, à Andrinople, capitale de l'empire ottoman, Mehmet II
succède à son père Mourad II à la tête de l'empire ottoman. Né d'une
mère esclave, probablement chrétienne, le nouveau sultan, à peine âgé de
19 ans, décide d'en finir avec Constantinople.
Il adresse en juillet 1452 une déclaration de guerre à l'empereur
byzantin. Deux mois plus tard, il entame les hostilités, testant la
résistance des murailles de Constantinople avec 50.000 hommes.
Le siège commence en avril 1453 avec150.000 hommes, y compris 6 à 10.000 janissaires, et une flotte puissante.
Le
basileus (empereur en grec) Constantin XI
Dragasès
(50 ans) ne dispose pour sa défense que de 7.000 soldats grecs et d'un
détachement d'environ 700 Génois sous le commandement de Giovanni
Giustiniani Longo, ainsi que d'une quarantaine de navires. Il se fie aux
puissantes fortifications héritées du passé pour résister aux Turcs en
attendant d'hypothétiques secours.
Constantin XI envoie des émissaires en Occident. Le brigantin qui
porte ces émissaires déguisés en Turcs se faufile avec audace parmi les
navires ennemis et finit par atteindre Venise.
La Sérénissime République arme aussitôt dix puissants navires pour
secourir ses anciens alliés... Mais l'absence de vent... et le peu
d'empressement des Vénitiens ne permettront pas à cette flotte d'arriver
à temps pour sauver Constantinople.
Le siège
Devant le triple cercle de murailles de la ville, Mehmet II fait
appel à toutes les ressources de l'artillerie. Il dispose de pas moins
de 25 à 50 grosses
bombardes (canons primitifs) et de plusieurs
centaines de plus petites qui vont projeter sans trêve des pierres et
des boulets sur les murailles pendant plusieurs semaines d'affilée.
Il dispose aussi d'une bombarde d'exception, surnommée
«la Royale»
qui, montée sur un impressionnant château de bois et manoeuvrée par un
millier d'hommes, tire sur la cité des pierres pesant jusqu'à 1500
livres ...
Cette bombarde est l'oeuvre d'un Hongrois du nom d'Orban qui s'est mis au service du sultan contre argent.
Mais les Grecs arrivent à incendier le
château grâce à des flèches enflammées, rendant la machine inopérante.
L'immense flotte du sultan fait par ailleurs le siège de la ville par
le Bosphore et la mer de Marmara. Mais elle ne peut entrer dans le
chenal de la Corne d'Or, qui ferme la ville par l'Est, car celui-ci est
protégé par une chaîne qui en interdit l'accès.
En désespoir de cause, Mehmet II fait aménager sur la colline de
Galata, de la rive du Bosphore à la rive de la Corne d'Or, une glissière
en bois de 4,5 kilomètres. Des milliers d'hommes vont hisser le long de
cette glissière pas moins de 72
birèmes (galères à deux rangs
de rames). Arrivés au point culminant, les navires descendent
d'eux-mêmes sur la glissière jusqu'au bord de la Corne d'Or.
Au prix de ce mémorable exploit, encore commémoré de nos jours par
des fêtes et des reconstitutions, les navires turcs arrivent à
contourner la chaîne et à s'introduire dans la Corne d'Or avec marins et
soldats, Constantinople se trouve complètement assiégée et réduite à
l'impuissance.
Sexe
des anges et querelles byzantines
On raconte qu'au palais de l'empereur, les prêtres orthodoxes et les courtisans continuaient de se disputer à propos du
sexe des anges
tandis que les Turcs faisaient le siège de Constantinople et
s'apprêtaient à dévaster la ville. Il ne s'agit que d'une légende sans
fondement historique mais on lui doit l'expression de
«querelles byzantines» pour désigner des disputes disproportionnées par rapport à leur enjeu.
Les médisances concernant Byzance remontent au XVIIIe siècle. En ce siècle dit des
«Lumières»,
les hommes de lettres occidentaux, tel Voltaire, se sont pris de dégoût
pour Byzance, qu'ils jugeaient médiévale, décadente et trop chrétienne.
Il reste encore bien des traces de cette mauvaise réputation dans nos
livres d'Histoire.
L'assaut
Le 28 mai, les hérauts du sultan annoncent la bataille décisive.
Toute la ville prie cependant que dans le camp turc, des religieux
musulmans excitent les soldats en vue du combat. Arrive l'aube fatale où
des dizaines de milliers d'hommes ivres d'impatience entrent dans la
ville. Dans la basilique Sainte-Sophie, l'empereur grec meurt avec
courage, les armes à la main, au milieu de ses derniers soldats. Dès la
mi-journée, le sultan peut faire son entrée dans la ville.
Les combats ont fait au moins 4.000 morts. Selon la tradition de
l'époque, les vainqueurs s'offrent le droit de piller la ville, de
violer et de tuer à qui mieux mieux pendant les trois jours qui suivent
sa chute. Tous les habitants survivants (25.000), attachés deux par
deux, sortent de la ville et sont réduits en esclavage.
Le sultan Mehmet II, qui songe à faire de Constantinople sa propre
capitale et veut lui conserver sa grandeur, veille à ce que les pillages
ne s'éternisent pas. Il fait venir des immigrants de tout l'empire pour
rendre à la cité sa splendeur antique. Il peut enfin déplacer sa
capitale de la ville voisine d'Andrinople à Constantinople, bientôt
rebaptisée
Istamboul.
Celle-ci atteindra son apogée sous le règne de
Soliman le Magnifique... Notons que jusqu'à la fin de l'empire ottoman, elle conservera une population majoritairement chrétienne.
Avec la chute de Contantinople entre les mains des Turcs ottomans, c'en est fini du dernier vestige de l'empire romain et de l'
empire byzantin
qui a succédé à l'empire romain d'Orient. Les historiens datent de cet
événement la fin de la longue période historique appelée faute de mieux
Moyen Âge. La
Renaissance
qui lui succède doit beaucoup aux savants et artistes byzantins qui,
réfugiés en Italie, ont contribué à la redécouverte de la culture
antique par les Occidentaux.
Aux franges orientales de l'Europe, le grand-duc de Moscovie
revendique l'héritage religieux de Byzance et prétend faire de sa capitale, Moscou, la
«troisième Rome». En France s'achève la guerre de Cent Ans, dernier conflit de type féodal.
Comme les liaisons commerciales entre l'Occident et la Chine, qui
bénéficiaient de la protection des Byzantins, se sont interrompues, de
hardis Portugais scrutent l'océan en quête d'une voie maritime de
remplacement. L'heure de Vasco de Gama et de
Christophe Colomb approche.