lundi 12 mars 2018

LC Patrick Grainville : "Je veux défendre la langue française." (20180312)

Patrick Grainville : « Je veux défendre la langue française »


L’écrivain Patrick Grainville a été élu jeudi 8 mars à l’Académie française au fauteuil n° 9, celui d’Alain Decaux. Le nouvel Immortel explique pourquoi il a voulu entrer à l’Académie française.

La Croix  : Votre écriture est loin d’être académique, vous voilà Académicien. Vous passiez pour un éternel rebelle, vous voilà Immortel…

Patrick Grainville : Éternel rebelle, n’exagérons rien. Je ne vais pas me comparer à Rimbaud jeune. J’ai pu passer pour transgressif ou insolent. C’est une question de tempérament, pas de rébellion. Il est difficile, c’est vrai, de me ranger dans la tradition d’une littérature française, très tenue et sobre.

Mais j’ai évolué, j’ai mûri. Ma manière d’écrire, je ne l’ai pas choisie. Elle s’est imposée à moi, par opposition à une écriture dominante, le grand canon français, où surnagent pourtant des auteurs prolixes, aux mots rares et précieux, comme Rabelais, Hugo, Proust. C’est toujours le modèle classique qui l’emporte.

J’en ai souffert, parfois. Je m’insurgeais quand on me reprochait d’employer trop d’adjectifs ou des mots que l’on qualifiait, à tort, de désuets. On me jugeait, de façon péjorative, comme si je me laissais aller à des excès complaisants, voire provocateurs.

Pourquoi cette candidature ?

P. G. : Affaire de circonstances et d’amitié. Il y a quinze ans, Jean-Marie Rouart m’avait sondé. J’avais décliné. Je n’étais pas prêt. Jean d’Ormesson, Maurice Rheims, Michel Déon étaient revenus à la charge. Puis, plus récemment, Erik Orsenna, Florence Delay, Jean-Marie Rouart, de nouveau, ont insisté…

Pourquoi avez-vous fini par céder ?

P. G. : Parce que la langue française me paraît en danger. Je l’ai vu dans mon lycée et dans ce que je lis. Aux mots de la langue française, on préfère « bullshit », « fakenews », « page turner ». Y en a marre de ce chiqué, de l’usage effréné de ces blocs de mots inhabités, reliés à rien, sans souffle ni expression. On s’en régale partout. Ce n’est pas sans risques. On va finir par sacrifier et liquider la langue française. C’est une des raisons de ma candidature.

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Ce qui a été décisif dans mon esprit, c’est la décision de l’Académie, prise à l’unanimité, de rejeter la grammaire inclusive. Sa ferme déclaration a été reprise par le gouvernement. J’ai considéré que cette institution, quoi qu’on en dise, protégée par le président de la République, régulièrement consultée, a du pouvoir pour protéger la langue.

L’Académie va bientôt lancer un débat sur les noms de métiers. Je suis favorable à leur féminisation. J’espère que nous aurons aussi des discussions sur l’anglicisation de la langue française qui nous conduit à cet étrange volapük.

La langue française est la langue que je cultive, celle dans laquelle j’écris des livres et des articles, que j’ai enseignée, que je lis, avec laquelle je vis. On ne va pas m’en priver. Il faut résister. D’où mon envie de rejoindre cette institution qui mène ce combat.

Débarrassé de mes angoisses et de mes préjugés, j’ai fini par dire oui.

Que représentait l’Académie française pour vous ?

P. G. : J’en ai eu, très tôt, une image positive. Mon mémoire de maîtrise portait sur « Le donjuanisme chez Montherlant ». Il m’avait reçu. J’avais rencontré un Académicien délicat et très respectueux. Avec son allure de Romain austère, il m’avait dit : « Pour être un écrivain reconnu, il faut avoir la Sorbonne, Le Figaro et l’Académie française. » C’était très exotique pour moi.

À la Comédie-Française où j’allais parfois, je voyais des Immortels, comme Maurice Genevoix qui demandait, avec une simplicité qui m’émerveillait, son paletot et son écharpe.

Les Académiciens n’étaient pas mes modèles. Je ne m’identifiais pas à eux. Je les regardais de loin, mais sans ironie.

Comment votre élection a-t-elle été reçue ?

P. G. : J’ai été surpris par la chaleur des réactions, venues de partout, y compris d’inconnus. J’avais préparé une batterie d’arguments mais je n’ai pas eu à me justifier. Et puis ça faisait tellement plaisir à ma famille. À mes sœurs, et surtout à mes nièces et mes neveux, trop contents d’imaginer Tonton en habit vert déclamer son discours solennel.

J’ai reçu des dizaines de tweets d’anciens élèves, de messages enthousiastes, sur Facebook, de connaissances perdues de vue, et même des courriels d’anciennes amours. Depuis jeudi, c’est toute la profondeur d’une vie qui remonte et surgit.

Quel mot allez-vous inscrire sur votre épée ?

P. G. : Luxuriance, peut-être. Un mot paradisiaque, voluptueux, baudelairien. C’est aussi ma pente…

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Une œuvre prolifique et baroque

Patrick Grainville a publié 26 romans, dont :

– Les Flamboyants (1976), prix Goncourt.
– Le Paradis des orages (1986).
– L’Orgie, la Neige (1990), prix Guillaume-le-Conquérant.
– Le Tyran éternel (1998).
– La Main blessée (2006).
– Lumière du rat (2008), grand prix de littérature de la SGDL.
– Le Corps immense du président Mao (2011).
– Bison (2014), grand prix Palatine du roman historique.
– Falaise des fous (2018).

Professeur pendant quarante ans, critique au Figaro littéraire, Patrick Grainville a aussi écrit des nouvelles, des récits et une vingtaine de livres d’art.

En 2012, l’Académie française lui a décerné le grand prix de littérature Paul-Morand pour l’ensemble de son œuvre.

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