Avec une remarquable pédagogie, le psychanalyste et biologiste médical Jean-Guilhem Xerri analyse les racines spirituelles de la crise de notre société et propose un chemin d’intériorité à l’école des Pères du désert.
"Prenez soin de votre âme. Petit traité d’écologie intérieure", de Jean-Guilhem Xerri, éditions du Cerf, 400 p., 20 €
Stress, surmenage, addictions en tous genres, troubles dépressifs, angoisse du vide et de l’ennui, sentiment de ne « plus avoir le temps de rien »… Dans une société d’hyperactivité, d’hyperconnexion et d’hyperconsommation, comment (re)trouver la paix intérieure ? Depuis plusieurs années, les livres de développement personnel ont envahi les rayons des librairies, cherchant, chacun à sa manière, à répondre à la quête contemporaine d’une santé qui englobe tout l’être – et pas seulement le corps.
Jean-Guilhem Xerri prend lui aussi très au sérieux ce mal-être diffus et ces souffrances psychiques dont, comme psychanalyste et spécialiste de l’exclusion – il fut notamment président de l’association Aux captifs la libération –, il est un témoin privilégié. Mais à ses yeux, la racine de ces « pathologies du XXIe siècle » est bien plus profonde que ce que la psychanalyse ou la sociologie peuvent en dire. « Nous sommes tombés dans l’hyperconsommation… car nous avons perdu le sens », diagnostique-t-il.
Autrement dit, notre façon de vivre est le produit de la vision que notre société a de l’homme, l’homme des sciences humaines résumé à ses déterminismes ou l’homme des neurosciences, réduit à son cerveau. Dans tous les cas, ces anthropologies matérialistes l’ont amputé d’une partie essentielle, sa dimension spirituelle. Or, affirme l’auteur, en niant cette dimension, « l’homme blesse son identité et ses dynamismes profonds, et peut développer certaines pathologies ».
Proposant au lecteur, croyant ou non, de partir « à la recherche d’une vision plus complète de l’humain », Jean-Guilhem Xerri s’oriente vers la « science de l’âme » développée par les premiers moines chrétiens, les Pères du désert. Ces hommes et ces femmes qui ont été des thérapeutes et des guides spirituels pour leurs contemporains « n’ont pas pris une ride », affirme-t-il, car « ce qu’ils ont éprouvé dans leur être, c’est ce qui traverse tout le genre humain ».
Rien d’une énième recette de développement personnel, ce que visent les Pères du désert va bien au-delà : c’est le développement de la personne tout entière, corps, âme (psychisme) et esprit, fondé sur ce principe dynamique que « l’humain est inachevé à la naissance et qu’il est appelé à faire advenir son humanité ».
Dès lors, si la santé est fondamentalement l’alignement corps-âme-esprit, un dérèglement de ces trois pôles de l’homme et de ses facultés (imagination, intelligence…) provoquera inéluctablement des maladies spirituelles. Avidité, vanité, acédie… « Les maladies d’origine spirituelle telles qu’elles ont été identifiées, répertoriées et comprises par les Anciens sont bien présentes aujourd’hui », repère Jean-Guilhem Xerri, établissant finement des parallèles avec les maux dont souffre l’homme moderne. L’auteur réhabilite ainsi et met à la portée du lecteur moderne la grande tradition chrétienne de l’intériorité, faite de sobriété, d’hospitalité, d’attention et de pratique méditative.
Particularité de cet ouvrage d’une remarquable pédagogie, chaque chapitre se clôt par un « intermède ». Le thérapeute guide son lecteur dans des exercices pratiques pour prendre du recul avec les modes de vie « fous » que la société lui impose et faire une expérience de son « être profond », repérer les maladies spirituelles dont il souffre, s’approprier les conseils des Pères du désert les plus à même de l’aider à retrouver une « écologie intérieure ».
Au lecteur qui craindrait de tomber dans un vain égotisme, ce livre est un précieux rappel de ce qui distingue l’amour excessif de soi – la philautie qu’épinglent les Pères du désert – du bon narcissisme, celui qui permet de se construire et d’entrer dans une saine relation avec les autres. Bien plus, il révèle la dimension éthique de ce travail sur soi – « prendre soin de son intériorité est intimement et indissolublement lié au respect de la planète ». Un chemin incontournable pour l’Église si elle veut rejoindre l’homme moderne dans sa quête d’intériorité.
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