Une question de rédemption
Le 27 juillet 2003, Bertrand Cantat, chanteur vedette du groupe Noir Désir, et l’actrice Marie Trintignant se trouvaient à Vilnius, en Lituanie. Au cours d’une dispute, Bertrand Cantat portait à sa compagne dix-neuf coups, dont quatre au visage. Tombée dans un coma profond, Marie Trintignant fut hospitalisée à Vilnius, puis transportée en France, où elle devait décéder le 1er août. Bertrand Cantat a été condamné par un tribunal lituanien à huit ans d’emprisonnement. Il purgea une année de sa peine en Lituanie, puis trois autres en France. Il fut ensuite libéré en conditionnelle pour bonne conduite. À sa sortie de prison, le couple qu’il formait avec Krisztina Rady avant sa liaison avec Marie Trintignant se reforma. En janvier 2010, Krisztina Rady se suicidait. En octobre, Bertrand Cantat remontait sur scène.
Voilà que sept ans plus tard, sa carrière explose en plein vol. Un article dans le magazine Les Inrocks, en octobre 2017, n’y est pas pour rien. Bertrand Cantat a sa photo en couverture. Il vient de sortir un nouvel album, intitulé Amor Fati, selon l’expression nietzschéenne. « L’amour du destin. » On peut voir ça comme ça.… Intitulé Cantat en son nom, l’article fait sept pages. Dire qu’il est bienveillant ne serait pas contraire à la vérité. À sa lecture, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, écrira sur Twitter : « Au nom de quoi devons-nous supporter la promo de celui qui a assassiné Marie Trintignant à coups de poing ? » L’article parle de « rédemption », Cantat ayant, « pour ses actes, été jugé, condamné, incarcéré. Il a ensuite été libéré, peine purgée ».
Depuis, les polémiques, les échauffourées et les annulations de concert se succèdent. Bertrand Cantat a pris l’initiative de biffer ce qui reste de sa tournée. Françoise Nyssen, la ministre de la culture, défend le chanteur, qui, dit-elle, « a le droit de vivre sa vie, il a payé ». Comment ne pas être d’accord ? La justice des hommes a passé. Comment, aussi, ne pas ressentir un profond malaise – non pas à l’idée qu’un homme qui a purgé sa peine vive sa vie, pansant ses blessures comme il le peut – mais à l’idée qu’un homme condamné pour meurtre cherche à se faire applaudir, puisque tel est le propos de sa profession ? Il y a eu punition, c’est vrai. Incarcération, oui. Mais rédemption ? L’affirmer me paraîtrait audacieux.
La situation de Bertrand Cantat me rappelle – avec les réserves d’usage, les actes étaient autrement moins graves – l’affaire Profumo. En 1961, le baron John Profumo, brillant secrétaire d’État à la guerre du gouvernement Macmillan, pas encore la cinquantaine et portant beau, entretient une relation extraconjugale avec un mannequin de 19 ans, Christine Keeler. La jeune femme est aussi la maîtresse de Yevgeny Ivanov, attaché naval à l’ambassade d’URSS à Londres. La liaison de Profumo est découverte. Le scandale est immense. L’affaire fait la une de la presse. À sa notoriété de secrétaire d’État, Profumo ajoute celle d’homme du grand monde. Sa femme n’est autre que Valerie Hobson, l’une des plus célèbres actrices de son temps.
Profumo soutint n’avoir livré aucun secret, et rien ne vint le contredire. Ses seules fautes auront été d’agir sans le moindre discernement, de mettre dans l’embarras son gouvernement et de plonger sa femme dans le désarroi. On l’admettra, c’était quand même moins grave que d’ôter une vie. Il ne fut condamné à aucune peine.
Et pourtant… Il démissionna de tous ses mandats et proposa ses services à Toynbee Hall, une institution caritative pour sans-abri, située dans l’East End, un quartier misérable, où il resta durant quarante années. Il y remplira les tâches les plus humbles, à commencer par celle de laver la vaisselle. Au fil des ans, il gagnera en responsabilité et en autorité. Il sera nommé directeur général de l’institution, puis son président, usant de son savoir-faire pour récolter des fonds et adoucir la vie des démunis de Toynbee Hall. Il créera des liens réguliers entre son institution et Grendon Psychiatric Prison. La reine Elizabeth lui rendra visite, le saluera, et le nommera à l’ordre de l’Empire britannique. Margaret Thatcher dira de lui qu’il est un héros national. À un vieil ami qui lui demandait ce que ses quarante années à Toynbee Hall lui avaient appris, il répondit, après un long silence : « L’humilité. Mais s’il te plaît, ne me cite pas. » Son épouse, Valerie Hobson, restera à ses côtés jusqu’à son décès, en 1998. Profumo mourra en 2006, à l’âge de 91 ans. L’un des bâtiments de Toynbee Hall porte désormais le nom de Profumo House.
Pour ma part, je trouverais intéressant que quelques concerts rock soient proposés dans les prisons françaises, cet été.
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