Patrick Bouchain,
constructeur en liberté
Stéphane Dreyfus ,
le 10/12/2017 à 7h08
Invité d’honneur de la Biennale d’architecture
d’Orléans, Patrick Bouchain est une personnalité à part. Il réhabilite des
lieux délaissés en espaces culturels hors normes pour des créateurs qui le sont
tout autant, comme Zingaro, le théâtre équestre de Bartabas, à Aubervilliers.
Patrick
Bouchain / Photo Julie Balagué
Port altier et livre à la main, il marche le nez en l’air. Mais il ne
flâne pas. Il faut dire que l’avenue qui longe le théâtre équestre Zingaro n’y
invite guère, en dépit de la douceur de cette matinée d’automne. La nationale
séparant Aubervilliers et Pantin est l’une de ces voies rapides de la petite
couronne où l’on ne fait que passer. Non, Patrick Bouchain ne musarde pas. Les
yeux plissés sous des lunettes encadrées de pattes d’oie, il promène son regard
sur cette banlieue qu’il a investie voici trente ans avec et pour la troupe de
Bartabas. Il scrute les lieux, curieux de voir les résultats de sa première
expérimentation, avant celles du Lieu unique, à Nantes, reconversion des
anciennes usines LU en scène culturelle, ou de l’Académie du spectacle équestre,
dans la grande écurie du château de Versailles, pour le même Bartabas. « Notre
première idée pour Zingaro était de l’installer sur l’île Saint-Germain, dans
l’Ouest parisien, pour acheminer les spectateurs en bateau, raconte
Patrick Bouchain. Puis on a découvert ce grand espace. »
Une
méthode Bouchain
Appartenant à l’armée, il était réservé pour la construction d’un
hôpital. Les deux compères convainquent le maire Jack Ralite (décédé
mi-novembre). « Il n’a pas hésité une seconde et a accepté sans
passer par le conseil municipal. C’est important de dialoguer avec des élus
compréhensifs. Il a donné son accord car les moyens manquaient pour bâtir un
équipement de santé. Mais aussi parce que le théâtre devait être provisoire et
démontable… À chaque changement de majorité, le nouveau maire veut déplacer
Zingaro, mais il est désormais inscrit comme un équipement culturel, donc il ne
bougera plus », sourit avec malice Patrick Bouchain.
Un lieu délaissé, une relation forte avec un artiste et une structure
temporaire appelée à durer : la méthode Bouchain opère déjà dans cet étonnant
théâtre de bois, à mi-chemin entre l’église et la ferme. Il remet ces principes
en œuvre dix ans plus tard, pour la Grange au lac, auditorium des Rencontres
musicales d’Évian alors dirigée par Mstislav Rostropovitch, pour lequel le
budget et les délais, serrés, imposent une immense et chaleureuse tente en
bois, autoportante et sans fondations, dont la cage de scène est décorée d’une
rangée de bouleaux. On y accède par un escalier simple et droit. Comme chez
Zingaro. « C’est une idée de Bartabas. »
Un
lieu chargé d’une énergie mystérieuse
L’intéressé, qui reçoit dans sa superbe caravane Assomption rouge et
vert, le confirme : « Arriver par le haut des gradins est toujours
plus beau, car le regard converge vers la piste. » Deux longues
passerelles parallèles surplombent les stalles des chevaux. Elles mènent vers
la salle carrée, dont la piste circulaire est recouverte de sable noir
pour Ex Anima. Le lieu est chargé d’une énergie mystérieuse, à la
fois intimidante et intime. « C’est comme un décor que la troupe
refait à chaque spectacle. Il est léger et juste posé sur le sol. Et surtout,
il a coûté la moitié du prix d’un décor de Richard Peduzzi, le scénographe de
Patrice Chéreau : 2 millions de francs à l’époque. Dans le spectacle
vivant, il ne faut pas aider les murs, mais les compagnies », commente
Patrick Bouchain – allusion aux coûteuses rénovations des théâtres publics.
« Zingaro, c’est de l’anti-Le Corbusier, estime Bartabas. Il faut une certaine dose d’humilité pour
concevoir une cabane en bois transformable. Mais l’architecture y est au
service des gens qui y travaillent. » Pourtant, Patrick Bouchain
ne se considère pas comme un architecte et a toujours refusé d’être inscrit à
l’Ordre de cette profession. Comme Jean Prouvé, figure tutélaire avec lequel il
a fondé en 1982 l’École nationale supérieure de création industrielle, à
Paris, « pour réhabiliter le travail manuel », il se
dit constructeur.
Enfant,
il rêvait d’être mécanicien. Puis coiffeur.
Enfant, il rêvait d’être mécanicien. Puis coiffeur. « Ce
n’était pas envisageable pour mon père, qui ne voulait pas que je sois aliéné.
Né juste à la fin de la guerre, j’étais un enfant de la victoire, choyé mais
élevé dans la méfiance de toute organisation politique, religieuse ou
militaire. Il a insisté pour que je ne reçoivepas d’instruction classique
à l’école, que je n’obtienne pas de diplôme. Je n’ai pas le bac, je suis
autodidacte au sens où j’ai composé mon savoir. Il m’a donné le goût de
l’autonomie et, comme il était décorateur, il m’a appris à
dessiner ! »
Aaprès avoir fait les Beaux-Arts et l’école Camondo, spécialisée dans
l’architecture d’intérieur, Patrick Bouchain travaille en agence au milieu des
années 1960 à l’époque de la constitution des grands logements sociaux. Déçu
par le mépris du terrain affiché, selon lui, par ses confrères, il part faire
sa coopération en Afrique, « pour ne pas faire mon service
militaire, comme mon père me l’avait conseillé ». Il dirige la
cinémathèque d’Abidjan et profite de virées en brousse pour faire des relevés
sur le terrain, dont certains sont exposés à la Biennale d’architecture
d’Orléans, et revient avec de superbes croquis, carnets et maquettes sur sa
carrière (1).
Un
séjour fondateur en Afrique
« Mon séjour en Afrique a été fondateur. À chaque saison, on y
reconstruit ce qui ne tient plus debout, et on le fait avec des matériaux
”vernaculaires”. Je me suis donc dit que je ne ferais plus que de la
réparation. » Et de la récupération qu’il pratique partout
avec inventivité. Non loin de l’entrée principale de Zingaro trône une
gloriette en bois peint. « C’est celle que j’ai faite pour
Mitterrand, pour son discours de Valmy, en 1989. Je recycle tout. J’ai même
utilisé des lots de plumes de canard pour l’isolation thermique du Channel,
ancien abattoir de Calais reconverti en scène nationale. Il y flotte d’ailleurs
un léger parfum ! » Écolo, Bouchain ? « Non,
l’écologie est horrible, car elle est régie par les ayatollahs de la
verdure ! », s’agace-t-il.
Une
préférence pour les accords téméraires
Militant communiste jusque dans les années 1980, il ne dédaigne pas pour
autant la politique, lui qui connaît bien Françoise Nyssen et a longtemps
travaillé au cabinet de Jack Lang. « J’étais son factotum,
certains disaient son bouffon. J’accepte le terme. Lang, pour sa part,
m’appelait le “facilitateur”. Je crois en la politique quand elle prend
des risques en amont et en concertation avec les acteurs de terrain. Pour le
Lieu unique à Nantes, Jean-Marc Ayrault ne croyait pas que je pourrais
le mener à bien en étant deux fois moins cher que les autres. Mais il
a accepté quand on lui a montré un projet similaire antérieur. Et il
ne l’a pas regretté. »
Patrick Bouchain préfère les accords téméraires aux compromis tièdes. Et
se prend à regretter le temps jadis où l’architecture était l’expression d’une
pensée commune, à l’instar des cathédrales, « ces livres de
pierres », chers à Victor Hugo. « Y a-t-il
aujourd’hui des bâtiments qui sont la traduction de la pensée démocratique ? On
ne se laisse pas entraîner, on a peur, on empile les plaintes dans le programme
architectural qui devient le reflet de toutes les souffrances, et on choisit le
moins-disant… » Qu’on se rassure, Patrick Bouchain ne commence
pas, à 73 ans, une carrière de dictateur. Il fustige le règlement, « car
il crée des obligations, il déresponsabilise et ne laisse pas de place aux
relations de confiance. La loi, au contraire, peut être
interprétée ».
Remettre
de la vie dans la norme
C’est cette souplesse qu’a cherché à instiller Patrick Bouchain avec
son « permis de faire », promulgué en mai dernier
dans la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au
patrimoine. « Une façon de remettre de la vie dans la norme, de
faire une loi en marchant. » Il souhaite désormais la mettre en
pratique dans le cadre de son nouveau projet « La preuve
par 7 », avec le parrainage des ministères de la culture et de la
cohésion des territoires.
Dans sept collectivités de taille différente – un village, une ville
moyenne (Orléans sans doute), un département d’outre-mer (peut-être Mayotte),
etc. –, il voudrait mettre en place des ateliers de réflexion ouverts aux
doctorants qui travailleraient avec les maires, les opérateurs et les
habitants. « Avant l’époque moderne, la ville a toujours été faite
comme cela, en marchant. »
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Bio
31 mai 1945. Naissance à
Paris.
1967-68. Coopérant à Abidjan après des études aux Beaux-Arts, à
Paris.
1984. Théâtre Zingaro, au Fort d’Aubervilliers.
1994. La Grange au lac, auditorium à Évian-les-Bains.
1999. Le Lieu unique, espace culturel aménagé dans
l’ancienne biscuiterie LU de Nantes.
2002. Académie Fratellini, à Saint-Denis, et Académie
du spectacle équestre avec Loïc Julienne, dans la grande écurie du château de
Versailles.
2006. La Metavilla, pavillon français à la Biennale
d’architecture de Venise.
2007. Transformation des abattoirs Le Channel en scène
nationale, à Calais.
2011. Centre Pompidou mobile.
2017. Exposition sur l’ensemble de sa carrière au Frac
d’Orléans, auquel il a cédé l’ensemble de ses archives.
Stéphane
Dreyfus
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