Le romancier est décédé d’une crise cardiaque à son domicile de Neuilly (Hauts-de-Seine), a précisé sa fille, l’éditrice Héloïse d’Ormesson.
Le romancier est décédé d’une crise cardiaque à son domicile de Neuilly (Hauts-de-Seine), a précisé sa fille, l’éditrice Héloïse d’Ormesson.
L’écrivain et académicien français, Jean d’Ormesson, est mort dans la nuit de lundi à mardi 5 décembre, à l’âge de 92 ans / AFP PHOTO / JOEL SAGET / JOEL SAGET/AFP
Difficile de croire que cet éternel jeune homme allait un jour disparaître. Chouchou des Français, qui reconnaissaient en lui depuis les années 1970 la figure familière et presque familiale de l’écrivain de tradition française, Jean d’Ormesson s’est éteint dans la nuit de lundi à mardi 5 décembre à l’âge de 92 ans.
On aurait pu le croire immortel, malgré une alerte de santé en 2012, un cancer qu’il révéla après sa guérison. Immortel, il le fut en réalité deux fois. À partir d’octobre 1973, date à laquelle il s’assoit dans le fauteuil numéro 12 (celui de Jules Romains), à l’Académie française. Et en avril 2015, à son entrée de son vivant dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade, « mon Nobel à moi », dira-t-il… Cette dernière consécration avait réjoui ses (nombreux) lecteurs, et fait aussi grincer quelques dents, d’aucuns jugeant qu’il était trop tôt pour faire de lui un classique.
Cst qu’il « peut aujourd’hui tout se permettre, notait son ami l’Académicien Marc Fumaroli en préface du volume, d’autant qu’il sait, comme personne, jusqu’où ne pas aller trop loin ! Pour autant, on ne saurait réduire Jean d’Ormesson à sa popularité paradoxale de gentilhomme de la République (…) Le mythe social vivant, l’homme du monde, le communicateur de tous les succès, autant de masques ou de paravents (…) »
Le malentendu d’Ormesson… Pour nombre de Français, l’écrivain s’était confondu avec le personnage télévisé : au JT, chez Michel Drucker ou chez Bernard Pivot. Le patron d’Apostrophes invita souvent l’Académicien qui en 1974 l’avait viré du Figaro Littéraire en arrivant à la tête du quotidien (Pivot se fera d’ailleurs construire une « Piscine Jean d’Ormesson » grâce à ses indemnités de départ, une plaque honorant le financeur…)
Le gentleman était urbain sur l’écran comme en coulisses, le sourire accueillant comme le bleu de ses yeux, pieds nus dans ses éternels mocassins en peau, généreux de sa personne… Inlassablement, Jean d’Ormesson fut Jean d’O. L’aristocrate mondain imité par les humoristes, adulé par les femmes, son nom tatoué sur le bras d’un chanteur pop – Julien Doré, qui avait baptisé son premier groupe The Jean d’Ormesson Disco Suicide… De quoi faire connaître la littérature au-delà du cercle des lecteurs ? Et peut-être éclipser l’écrivain véritable, celui qui ne vécut que pour et par les livres dès sa prime jeunesse.
« Ce que j’aimais, et à la folie, c’était de lire »
« Toute ma vie, j’ai tourné autour des livres », résumait-il en avril 2015 dans son texte d’introduction à la Pléiade, vénérant « la chose écrite » : « Je n’étais fou ni de balle, ni de ballon, ni de vélo, ni de cheval, ni de piscine, ni de déguisement, ni de fête, ni même de bavardage. Ce que j’aimais, et à la folie, c’était de lire. »
Né en Paris le 25 juin 1925, il est le fils d’un ambassadeur de France, « libéral, janséniste, républicain », ami de Léon Blum, et de l’héritière d’une famille monarchiste catholique proche de l’Action Française. La famille tient de la branche paternelle le Château d’Ormesson, et de son aïeul le conventionnel Louis-Michel Lepeletier le château de Saint Fargeau, où Jean passe les vacances de son enfance.
Des séjours et lieux romancés dans Un jour je m’en irai sans avoir tout dit et dans Au plaisir de Dieu : « Nous menions la vie la plus simple, où comptaient le curé, la chasse à courre, le culte du drapeau blanc et le nom de la famille. Notre vie ne nous étonnait pas : il y avait trop longtemps qu’elle nous était familière pour pouvoir seulement en imaginer une autre (…) Chaque nation, chaque famille, chaque individu vit sur une mythologie qui colore son existence. Notre mythologie à nous, c’était le château. »
Ses compagnons se nomment Bibi Fricotin, Arsène Lupin…
En dehors de ces vacances, il suit pendant ses jeunes années les missions diplomatiques de son père en Europe et en Amérique du Sud. Ses compagnons se nomment Bibi Fricotin, Arsène Lupin, d’Artagnan, puis bientôt Julien Sorel, Fabrice del Dongo, Swann, Françoise, Aurélien… Et plus que tout autre : René, le double de Chateaubriand, que d’Ormesson place au plus haut. Sur lui il écrira notamment une « biographie sentimentale » (Mon dernier rêve sera pour vous, 1982) et l’album de La Pléiade (1988).
Après le retour familial à Paris en 1942, le cours Bossuet et le lycée Louis-le-Grand, où il suit le cours d’histoire de Georges Bidault, il obtient son baccalauréat en 1943. En Hypokhâgne à Henri IV, il est l’élève de Jean Hyppolite, fait l’École Normale Supérieure, et obtient l’agrégation de philosophie en 1949, qui le mène mollement à l’enseignement pour un temps bref. Il entame une carrière de journaliste, publiant des articles ou des critiques dans Paris Match, Arts ou la NRF. Il faudra attendre 1974 (après qu’il aura été secrétaire général de l’Unesco et rédacteur en chef de la revue Diogène) pour le voir à la tête d’un journal, Le Figaro, dont il démissionnera trois ans plus tard, conservant une chronique régulière.
Premier roman en 1956
Il peut alors se consacrer à sa grande affaire, la littérature, qu’il pratique assidûment depuis la parution de son premier roman, L’amour est un plaisir, en 1956. Le croisant à un dîner en janvier 1957, le critique Matthieu Galey retiendra du jeune homme : « De la classe, et même un rien de morgue sous la gentillesse, qui veut séduire à tout prix, pour le plaisir d’être aimé. »
L’époque est friande des jeunes prodiges et Françoise Sagan vient de décoiffer le public avec son Bonjour Tristesse, lançant la mode d’une littérature à la fois grave et insouciante qui brûle sa vie au volant de voitures de sport. Une étiquette à visée commerciale collée par l’éditeur René Julliard, que le jeune homme se hâtera de décoller, le signifiant avec malice en 1966 avec un bien lancé Au revoir et merci.
Ainsi, souligne Marc Fumaroli, « il reprenait à son compte, sous une forme beaucoup plus allusive, le cri fameux du jeune Hugo : « Je veux être Chateaubriand, ou rien ! » ». D’Ormesson enfoncera le clou en 1976 dans une réédition augmentée d’une préface : « Dix ans après » : « Sans doute, en ces temps-là – in illo tempore… – étais-je plus jeune, plus libre, plus naïf, plus insolent qu’aujourd’hui. Je n’en rougis certes pas. Peut-être faudrait-il plutôt rougir d’avoir accepté de vieillir. Je ne m’y résous pas non plus. Vieillir est, jusqu’à ce jour, et pour un bon bout de temps j’imagine, le seul moyen de ne pas mourir. »
Grand prix du roman de l’Académie française
En 1971, il avait reçu le Grand prix du roman de l’Académie française pour son grand pastiche des récits d’historiens, La Gloire de l’empire. Premier pas sous la coupole où il prendra ses quartiers en 1973, devenant sa figure la plus célèbre, œuvrant dans l’ombre aux candidatures et élections qui lui tiendront à cœur, dont celle de la première femme en habit vert en 1980, Marguerite Yourcenar. Il en était le doyen depuis 2007.
Quarante livres dont beaucoup à succès, et énormément de fantaisie dans cette carrière : un rôle au cinéma (François Mitterrand dans Les Saveurs du palais en 2012), une carte à la CGT pendant quelques mois en 1944, un passage dans l’un régiment de parachutistes coloniaux, le refus d’un poste d’enseignant en lettres à Nanterre que lui proposait Paul Ricœur en 1967, une émission littéraire sur TF1 en 1978 et 1979, la présidence du "jury 1939" du festival de Cannes (tenu en 2002, il couronnera Pacific Express de Cecil B. DeMille)…
Des facéties aussi, digne du "mentir-vrai" d’Aragon que d’Ormesson aura illustré tout au long de son œuvre aux allures de mémoires. Au poète il empruntera aussi plusieurs vers pour nommer ses livres : C’est une étrange chose à la fin que le monde, ou encore Un jour je m’en irai sans avoir tout dit. Des romans brouilleurs de pistes où la biographie se mêle à l’imaginaire malgré les apparences du récit, comme son cher Proust l’affectionnait lui-même.
Un de ses derniers livres, paru en janvier 2016, empruntait aussi un vers au poète, résonnant comme une épitaphe : Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.
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