jeudi 14 décembre 2017

HERODOTE Climat : a faute aux bébés ?

Démographie

Climat : la faute aux bébés ?



Dans un document de 2009, les démographes mandatés par l'ONU (UNFPA) ont identifié la cause du réchauffement climatique qui menace l'humanité. Serait-ce notre frénésie de consommation, qui a épuisé en moins d'un siècle des combustibles fossiles accumulés dans le sous-sol pendant 60 millions d'années ? Pas du tout. Selon nos experts onusiens, la faute en reviendrait principalement aux bébés nés ou à naître, autant de consommateurs-pollueurs en puissance...
Ce rapport témoigne d'une grossière méconnaissance des enjeux démographiques.
Pour faire bref, soulignons d'abord que la bombe P (comme population) annoncée par le prophète Paul Ehrlich en 1968 n'explosera pas. La population mondiale a franchi le seuil du milliard au milieu du XIXe siècle et celui des 6 milliards en 1999. Contre toute apparence, elle est en voie de stabilisation rapide avec un indice de fécondité qui n'est déjà plus que de 2,1 enfants par femme en moyenne (hors Afrique subsaharienne).
Soulignons ensuite que c'est l'american way of life partagé aujourd'hui par un cinquième de la population mondiale qui est tout entier responsable des dérèglements climatiques, du fait d'un usage inconsidéré de l'automobile, de l'avion et des énergies. Les quatre cinquièmes restants de l'humanité ont une empreinte écologique très modérée et s'ils venaient à disparaître, le réchauffement climatique se poursuivrait presque au même rythme qu'aujourd'hui !  
Joseph Savès

La population en voie de stabilisation

En 1969, la Terre comptait 3,6 milliards d'habitants ; 40 ans plus tard, à la date du rapport onusien, elle en comptait 6,8 milliards (+84%) et 40 ans plus tard, vers 2050, elle en comptera environ 9,4 selon les estimations de l'ONU. Cet accroissement à venir peut sembler important en valeur absolue. Il n'est que de +38%, soit deux fois moins rapide que dans la période antérieure.
Sur les 2,6 milliards d'hommes supplémentaires qui peupleront la Terre en 2050, 900 millions seront en Afrique et 1,7 milliard dans le reste du monde, ce qui correspond pour celui-ci à un accroissement de « seulement » 28%.
Les démographes sont à peu près d'accord pour considérer que la population mondiale ne devrait pas dépasser les 10 milliards à la fin du siècle. « Mais c'est 3 milliards de gens en plus qui vont réclamer comme les autres de brûler du pétrole et consommer du steak, disent en substance les rapporteurs de l'ONU. Ne faut-il pas intervenir dès maintenant pour amplifier la baisse de la natalité, en premier lieu dans les pays riches, qui ont le plus d'impact sur l'environnement ? »
Derrière ce bon sens trivial, le rapport de l'ONU véhicule beaucoup de poncifs dans un domaine - la démographie - à la lisière de l'Histoire et de la sociologie. Il méconnaît les « lois » qui guident les comportements individuels et collectifs et le danger de vouloir les ignorer ou les contourner.

Les pollueurs sont les autos, pas les bébés !

Observons sans y voir de lien causal que les peuples africains sont de loin les plus féconds du monde actuel ; ce sont aussi les seuls dont l'empreinte écologique (contribution au réchauffement climatique) est négligeable. A contrario, les habitants des pays industrialisés sont les plus inféconds et également, de très loin, les principaux pollueurs de la planète.
Cette observation élémentaire nous permet de rappeler que c'est le mode de vie, davantage que le nombre d'enfants, qui détermine l'empreinte écologique. Y compris dans les pays riches. Avec ou sans enfants, les couples poussés par les contraintes financières à s'établir ou travailler dans des zones surburbaines polluent bien davantage que ceux qui vivent et travaillent en centre ville et se satisfont des transports publics.
On devine par là que le rapport de l'ONU peut cacher derrière ses imprécations malthusiennes le secret désir de prolonger envers et contre tout un « american way of life » fondé sur le gaspillage d'espace et l'énergie bon marché. Ce mode de vie plébiscité par les nouveaux riches d'Europe et d'Extrême-Orient est de toute façon condamné à terme par l'épuisement inéluctable des ressources. Le nombre d'enfants à naître n'y changera rien.
Émissions de CO2 par habitant selon les régions de la planète
grandes régions
Population
(milliards)
enfants/femme tonnes CO2/hab/an total CO2
(mds t/an)
Monde


Afriques
Moyen-Orient et Asie centrale
Asie du Sud (monde indien)
Sud-Est asiatique
Amérique latine
Pays pauvres

Chine

Extrême-Orient (Japon, Corée…)
Amérique du Nord et Australasie
Europe
Pays riches

transports internationaux
7,6


1,3
0,4
1,9
0,7
0,6
4,9

1,4

0,2
0,4
0,7
1,3
 
2,5


4,6
2,8
2,4
2,3
2,1
3

1,8

1,4
1,8
1,6
1,6
 
4,7


0,5
3
2
3
3
2

10

10
15
7
10
 
38







10

13




13

2
Le tableau ci-dessus, établi à partir d'estimations officielles récentes (PRB, ONU), met en évidence les contrastes entre 1) des régions très riches, à faible fécondité et très forte « empreinte écologique » (contribution au réchauffement climatique) et 2) des régions pauvres ou très pauvres, à fécondité modérée ou très forte et à très faible empreinte écologique.
- Le premier groupe (Amérique du Nord, Europe, Extrême-Orient...) représente seulement 1,3 milliards d'habitants, soit à peine un sixième de l'humanité. Mais il contribue directement au tiers des émissions de gaz à effet de serre (C02) responsables du réchauffement climatique.
Sa contribution au réchauffement climatique est dans les faits bien supérieure car il faut y ajouter la majeure part des émissions de la Chine et du Sud-Est asiatique ainsi que des transports internationaux (fret maritime et aérien). En effet, si les usines chinoises émettent du CO2, c'est en bonne partie pour fabriquer avec des techniques énergivores (métallurgie des terres rares...) des appareils électroniques comme nos portables ou nos téléviseurs qui contourneront ensuite l'Afrique à destination de nos ports et de nos hypermarchés. Les émissions de CO2 très élevées des pays exportateurs de pétrole sont aussi liées à notre frénésie de consommation.
- Les pays plus ou moins pauvres représentent les deux tiers de l'humanité, avec une croissance modérée ou forte. Mais ils contribuent aux émissions de C02 pour un quart tout au plus.
- La Chine, devenue l'« atelier du monde », est dans une situation intermédiaire : la plus grande partie de sa population vit encore très pauvrement et s'apparente au deuxième groupe. La population des métropoles riveraines de la mer de Chine et du fleuve Jangze, environ 300 millions de personnes, a déjà atteint un niveau de vie de type occidental et émet pour son compte propre au moins autant de CO2. C'est le cas aussi d'une centaine de millions d'Indiens.
Retenons de ce qui précède l'absence de lien entre population et climat. C'est notre mode de vie, exceptionnellement énergivore, qui est source du réchauffement climatique en cours. Certes, la croissance démographique très rapide de certaines régions (Afrique subsaharienne) va aussi poser des problèmes sérieux dans les décennies à venir mais ces problèmes seront d'ordre géopolitique et sociaux, pas écologique.
« Supprimons un ou deux milliards d'hommes et tout ira mieux ! »
Illustrons par l'absurde l'enjeu climatique. Imaginons que disparaisse le cinquième le plus riche de l'humanité : Européens, Nord-Américains et riverains de la mer de Chine (y compris nous-mêmes !). Le réchauffement climatique sera instantanément stoppé car les quatre cinquièmes restants ont une empreinte écologique tout à fait modérée. Leur effectif continuera de croître pendant une génération ou deux avant de se stabiliser au niveau actuel.
Au lieu de cela, imaginons que se réalise le souhait de quelques « bienfaiteurs de l'humanité » comme le navigateur Jacques Cousteau ou l'essayiste Jared Diamond qui prônaient l’éradication des quatre cinquièmes les plus pauvres de l'humanité : cela ne freinera pas le réchauffement climatique comme nous l'avons montré. Et à la catastrophe écologique s'ajoutera deux ou trois générations plus tard une catastrophe démographique avec la disparition de l'humanité faute de renouvellement.
Cette alternative pourrait nous déprimer s'il n'y avait une issue plus appétissante. Elle est politique et collective. Elle consiste à sortir de l'american way of life, un mode de vie qui associe la puissance des techniques modernes à une économie de prédation façon Paléolithique...
Publié ou mis à jour le : 2017-12-10 22:50:48

Les commentaires des Amis d'Herodote.net
Les commentaires sur cet article :
Fulcanius (20-11-201722:11:57)
A mon sens, cet article reflète un excès d'optimisme qui ne peut qu'anesthésier les citoyens du monde. En réalité, Il est déjà trop tard ! Nous ne pourrons pas revenir sur les milliers d'espèces animales et végétales qui ont disparues par la faute de l'homme depuis au moins 1 siècle et sur les dégâts occasionnés sur le climat, les océans ... etc. Nous ne pouvons que limiter les dégâts futurs. De plus, il faudrait prendre en compte le fait que la nature n'est pas à notre service. Elle peut très ... Lire la suite
Jean-Pascal Florent (23-11-200915:10:21)
Bravo de ne pas céder à la pensée unique malthusienne, même/surtout quand elle vient d’organisations comme l’ONU
Le meilleur livre sur ce sujet me semble être celui de Hervé Le Bras
« Les limites de la planète : mythes de la nature et de la population »
La présentation en est la suivante :
Y a-t-il trop d'hommes sur terre ? Au grand banquet de la nature, l'humanité est-elle de trop ? Dans notre imagination, la peur du nombre a remplacé la peur de la bombe : non seulement, nous dit-on, il n'y aura bientôt plus de quoi nourrir la planète mais la surpopulation est directement ou indirectement responsable du trou dans la couche d'ozone, du réchauffement climatique, de l'érosion des sols, bref de toutes les catastrophes écologiques qui guettent l'espèce humaine à l'aube du XXe siècle.
Hervé Le Bras démontre qu'il n'y a pas une parcelle de vérité dans les terribles prédictions chiffrées que nous assènent nos Cassandre. Les chiffres masquent des arguments d'autorité, et les arguments d'autorité sont le paravent de nos préjugés et de nos peurs. La surpopulation est un mythe : telle est en substance la conclusion qui s'impose ici après une analyse serrée. Et, comme tout mythe, celui-ci nous en apprend plus sur nous-mêmes que sur le monde qui nous entoure.
Les organismes internationaux sont malthusiens depuis leur création.
En septembre 1948, Julian Huxley alors directeur général de l'UNESCO, créa l'Union Internationale pour la protection de la nature (UIPN) et fit un discours fondateur très clair :
« A long terme, le problème démographique est plus important que celui de la guerre et de la paix parce que l'homme a commencé à se répandre sur la planète comme un cancer. (...) Le progrès médical et l'assistance sociale ont fait apparaître un affaissement du processus de sélection naturelle qui aura des conséquences dégénératives. (...) Il faut une politique démographique positive qui impose un contrôle des naissances chez les gens de qualité inférieure et une procréation bien ajustée chez les gens de qualité supérieure. »

Cette dérive idéologique des travaux de Darwin est désignée par « darwinisme social » : sélection des individus selon leurs origines sociales ou ethniques. Pour le frère de Julian Huxley, Aldous la dérive est même l'eugénisme : la sélection selon des critères biologiques. 

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