mardi 5 décembre 2017

LC Glyphosate et bon sens et sens des nuances

Chronique

Pour une poignée de dollars

Geneviève Jurgensen
« Ma chère Geneviève, la dangerosité du glyphosate n’est plus à démontrer. Elle est prouvée scientifiquement », m’écrit cet ami en réponse à une interrogation de ma part. L’affirmation me désole. Car si nous tous pouvons vérifier facilement la crédibilité de certains slogans, c’est plus difficile pour des questions sur lesquelles le monde scientifique lui-même est si radicalement divisé.
J’aurais pu répondre, « Mon cher Éric, le caractère inoffensif du glyphosate n’est plus à démontrer. Il est prouvé scientifiquement », car les études ne manquent pas, aussi complètes, menées sur de longues années par des chercheurs aussi qualifiés que ceux qui aboutissent à des conclusions inverses. Pourtant, la vérité, même nuancée, existe, et ne se situe pas quelque part entre les deux. Et on nous la doit. À moins, ce qui est probable, qu’elle ne soit très difficile à établir. Sommes-nous sûrs que nos États et notre Union, qui sont là pour nous protéger, prennent les décisions qu’ils croient sincèrement les meilleures, pour nous aujourd’hui et nos enfants demain, plutôt que les décisions populaires, qui confortent aujourd’hui leur éclat et demain favoriseront leur réélection ?
Quand des internautes cultivés expliquent que l’expression « Black Friday » est héritée d’une pratique de l’esclavage, les trafiquants blancs soldant en quelque sorte le vendredi les hommes restés invendus, on peut facilement, grâce à Internet, vérifier ce dont on se doutait : l’origine de la formule s’est perdue, elle n’a aucun lien connu avec l’esclavage, et pas plus qu’on ne sait en France d’où vient l’expression « pieds noirs », on ne sait aux États-Unis pourquoi ce jour de folie consumériste s’appelle Black Friday. Il n’en porte toutefois pas plus mal son nom, car chaque année des blessés graves et même quelques morts sont à déplorer, comme dans tout mouvement de foule. Mais si on peut le comprendre quand il s’agit d’échapper au feu qui prend dans un endroit clos, il y a de quoi désespérer de l’humanité quand l’enjeu est une console Nintendo ou un lave-vaisselle. Le premier rabais, c’est sur le prix de la vie qu’il est appliqué dans ces tristes moments.
La communauté scientifique est aussi divisée que toute autre. La rivalité, si elle la stimule, la détruit tout autant. La recherche a besoin d’argent, et chaque équipe se trouve en compétition avec d’autres, dont les travaux ne sont pas de moindre qualité. Décrocher un budget, c’est un autre métier que celui de chercheur. Cela demande de l’entregent, du brio, de la diplomatie, de l’instinct, du talent de rédaction, de l’éloquence, du sens politique, de la séduction. À qualité égale de dossier présenté – qui lui aussi exige de répondre à des codes dont on ne connaît pas toujours facilement les subtilités –, quels seront les critères d’attribution ? Sans doute ces critères comportent-ils en plus certains aspects auxquels les candidats ne peuvent rien, comme leur âge, leur pays d’origine, l’historique récent des projets primés par le sponsor, dans lequel le leur s’inscrit opportunément ou pas. Si l’on pense que cette course au financement est à renouveler plusieurs fois par an, au détriment du cœur de métier des équipes, on imagine sans peine que l’éthique parfois s’émousse devant la nécessité absolue de voir l’argent arriver au laboratoire. Et que le payeur soit peu ou prou le conseilleur. D’où l’argument disqualifiant classique, selon l’origine des fonds. Même si cette origine n’est jamais unique, et même si une poignée de dollars très minoritaires, injectés par certains dans un budget important, suffisent à rendre le tout suspect voire indigne d’intérêt.
On rêve d’une recherche scientifique dont le financement serait le cadet des soucis. Mais se débarrasser des contingences est le rêve de tous, en tout ! Dans les domaines qui ne relèvent pas de notre compétence, comme l’effet du glyphosate sur notre santé et notre sol, il ne nous reste qu’à suivre notre pente et l’admettre, nous nous reconnaissons en certaines démarches plus qu’en d’autres, ce sont notre tempérament, nos convictions, nos aspirations qui nous guident avant tout, et c’est en eux qu’en dernier ressort nous cherchons, sinon la vérité, du moins la cohérence. Pas besoin pour cela d’attendre des scientifiques plus de preuves qu’ils ne peuvent en fournir. Une certaine humanité, irriguant et éclairant en profondeur notre désir de bien faire, voilà ce que, Union, État ou simple citoyen, nous devons et pouvons démontrer.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire