mercredi 15 novembre 2017

LC 20171115 à propos de Le monde du silence, de Todd Haynes, d'après Brian Selznick

Brian Selznick

Todd Haynes

Le monde du silence

Jean-Claude Raspiengeas

1927 (en haut). Rose (Millicent Simmonds) veut rencontrer son idole à New York. Myles Aronowitz
À cinquante ans de distance, deux enfants, Rose et Ben, sourds l’un et l’autre, fuient vers New York pour comprendre d’où ils viennent. Leurs histoires vont se rejoindre au terme d’une fresque somptueuse et bouleversante, d’après le beau roman graphique de Brian Selznick.
Le Musée des merveilles ***
de Todd Haynes
Film américain, 1 h 57
Savons-nous vraiment d’où nous venons ? La connaissance de nos origines est-elle à notre portée ? Peut-on échapper à son obscure généalogie ? À cinquante ans de distance, en 1927 et en 1977, Rose, sourde de naissance, et Ben, qui l’est devenu, frappé par la foudre un soir d’orage, cherchent à comprendre le mystère qui entoure leur vie, à percer leur secret de famille.
1927, New Jersey. Rose, 12 ans, vit dans une vaste maison avec un père autoritaire et distant. Spectatrice assidue des films muets, attirée par une actrice qui rayonne dans les mélodrames, elle archive tous les articles de presse qui parlent d’elle. Une double malédiction s’abat sur elle. L’arrivée du cinéma parlant et la volonté de son père de la confiner dans un pensionnat. Rose (la si expressive Millicent Simmonds, elle-même sourde, au visage d’égarée lucide) s’enfuit de chez elle pour gagner New York et tenter de retrouver l’icône en celluloïd dont les journaux lui ont appris qu’elle allait se produire au théâtre.
1977, Minnesota. Ben, 14 ans, qui vient de perdre sa mère, n’a jamais réussi à savoir par elle qui était son père. Une énigme plane sur la rencontre de ses parents disparus. Son géniteur évaporé a laissé une phrase mystérieuse : « Nous sommes tous dans le caniveau mais certains d’entre nous regardent les étoiles ». L’adresse d’une librairie trouvée dans la page de garde d’un livre, accompagnée d’un mot doux et d’un prénom inconnu, le pousse à fuguer, lui aussi, vers New York pour tenter de retrouver des traces enfouies.
Quand Rose débarque, enfermée dans sa surdité, elle se sent écrasée par ce décor d’immeubles majestueux, dans cette ville suractive surplombée entre l’héritage victorien et les premiers gratte-ciel. Un demi-siècle plus tard, Ben (Oakes Fegley) découvre, choc visuel affolant, un New York psychédélique, bariolé, métissé, bourré d’énergie mais aussi déglingué. Tous les deux errent en quête de réponses insaisissables. Leurs destins parallèles vont se rejoindre au terme d’une fresque somptueuse, inspirée par le superbe roman graphique de Brian Selznick, adapté et scénarisé par lui-même (lire les repères).
Todd Haynes (The Hours, ­Carol) distille, en reprenant le style des films muets, l’histoire de Rose en noir et blanc, plongée dans le silence, et celle de Ben en couleurs avec la bande-son des effervescentes années 1970. Le cinéaste entraîne ses personnages dans les coulisses d’un théâtre du New York des années 1920, dans le dédale du Musée d’histoire naturelle en 1927 et 1977, et à l’intérieur du spectaculaire Queens Museum qui abrite une maquette géante du panorama de New York, clou de l’Exposition universelle de 1964. Cette intrigue magnifique culmine lors d’une poignante scène de révélation, d’une bouleversante sobriété, soudain illuminée par l’actrice Julianne Moore qui fait le lien entre les deux époques et les deux personnages.
Comme dans le roman de Brian Selznick, Todd Haynes parvient, avec brio, à tenir en équilibre la symétrie de ces deux histoires, tout en déployant un univers visuel chatoyant, un mode de récit fascinant. Il sollicite aussi l’attention soutenue du spectateur qui, comme ces enfants, cherche à déceler où se niche le trou noir de leurs existences. Outre la magnificence de cette traversée du XXe siècle, d’une époque à l’autre, il sculpte une bande-son originale pour traduire la perception d’une enfant sourde de naissance et celle d’un gamin qui le devient brutalement et passe le restant de ses jours hanté par des « sons fantômes », déformés et feutrés.
Si l’on veut bien admettre que le cinéma ressemble à un cabinet de curiosités, où le spectateur est envoûté par ce qu’il ne s’attendait pas à découvrir, la nouvelle réalisation de Todd Haynes l’enchanteur se hisse à la hauteur de son titre. Son labyrinthe, qui serpente au milieu d’un passé figé, est un musée des merveilles.

1977. Jamie (Jaden Michael), Ben (Oakes Fegley) et Lillian Mayhew, l’idole de Rose (Julianne Moore) explorent le Musée d’histoire naturelle. Myles Aronowitz et Mary Cybulski

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