samedi 6 janvier 2018

LC Un juif pas très casher et donc très intéressant



portrait

Un judaïsme de liberté

Clémence Houdaille
« J’ai un idéal juif un peu libertaire, qui serait celui d’une communauté se constituant spontanément. » Antoine Doyen/
Éditions JC Lattès
Jean-Christophe Attias Historien, philosophe du judaïsme, et directeur d’études à l’École pratique des hautes études Jean-Christophe Attias raconte son itinéraire qui l’a conduit, jeune adulte, à se convertir au judaïsme orthodoxe, avant de s’en éloigner.
La reconnaissance par le président américain de Jérusalem comme capitale d’Israël, Jean-Christophe Attias l’a vécue non seulement comme une « décision relevant du degré zéro de la diplomatie », mais aussi comme une façon d’« ajouter pour les Palestiniens une humiliation supplémentaire à la dépossession concrète ». L’historien, philosophe du judaïsme, et directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE) s’exprimait ainsi dans une tribune cosignée avec sa femme, la sénatrice Esther Benbassa, publiée dans les colonnes de Libération. Mais c’est aussi aux institutions juives françaises, le Conseil représentatif des institutions juives de France, et le Consistoire, et à leur demande à Emmanuel Macron d’emboîter le pas à Donald Trump, qu’il s’en est pris. Une voix discordante, donc, alors que la grande majorité des juifs français se sont réjouis de cette reconnaissance. Mais dans la lignée des engagements de ce « banlieusard de cœur » qui a lancé en 2005, avec Esther Benbassa, le « Pari(s) du vivre-ensemble ».
« Ce qui nous intéressait, c’étaient nos banlieusards, les relégués, les discriminés, raconte-t-il. On a pu faire des choses improbables, faire se parler des gens qui se regardaient en chiens de faïence, des juifs et des musulmans… »
Les préventions de Jean-Christophe Attias à l’égard d’Israël ne datent pas d’hier. « Je ne peux pas me reconnaître un instant en ceux qui dirigent Israël. Ce sont mes adversaires », explique celui pour qui « être juif, c’est aussi se fâcher avec les juifs ». Cela ne l’empêche pas de se rendre chaque année dans ce pays, « un des ancrages de (sa) diaspora imaginaire », où vit une grande partie de la famille de sa femme.
Dans son bureau aux murs tapissés de livres, où une statuette de sainte Thérèse de Lisieux, cadeau de sa femme, se trouve devant de multiples éditions de la Bible, il ajoute : « Je ne me sens pas moins juif lorsque je critique Israël, ou certains excès du devoir de mémoire. » Un esprit libre, donc, dont l’identité se joue des étiquettes. Il n’entretient aucun rapport institutionnel avec la communauté, même s’il regarde avec intérêt ce qui peut se passer chez les libéraux.
« J’ai un idéal juif un peu libertaire, qui serait celui d’une communauté se constituant spontanément », explique-t-il. Certains le décrivent athée, d’autres, agnostique, d’autres encore, incroyant… Jean-Christophe Attias, ce « juif de mauvaise foi » (1), au prénom christique et au nom séfarade, plongé bébé dans l’eau du baptême à la demande de sa mère catholique, puis, jeune adulte, dans le bain du mikvé qui en fit un juif orthodoxe, suit sa propre route.
« Je suis un juif pratiquant qui ne pratique pas », ajoute-t-il pour brouiller les pistes. L’observance rigoureuse de ses 20 ans, dans la foulée de sa conversion au judaïsme, est loin. Il ne se rend plus à la synagogue. Mais l’avant-veille de notre rencontre, assistant à la bar-mitsva d’un proche, il s’y est senti « bien », chez lui.
« Je ne mange pas vraiment casher, mais je jeûne à Kippour. J’organise un séder à Pâque, auquel participent des juifs, des demi-juifs, des quarts de juifs, des non-juifs… » Et Dieu dans tout ça ? « J’ai toujours été persuadé que Dieu n’existait pas. Mais ça ne m’a pas posé problème au moment de ma conversion. Je me pose quand même la question. Mais elle est un peu secondaire. »
Sa vie professionnelle elle-même est emblématique de cet itinéraire. Après avoir enseigné l’hébreu moderne, il devient chargé de recherche au CNRS, puis est élu directeur d’études à la section des sciences religieuses de l’EPHE, où il est responsable de chaire de pensée juive médiévale. « Mon métier est une dimension importante de ma judéité. Mais je conçois tout à fait qu’on puisse faire le même métier sans être juif », estime-t-il.
Aujourd’hui, après avoir publié nombre d’essais et de travaux sur le judaïsme, une biographie très personnelle de Moïse (2) qui lui a valu le prix Goncourt de la biographie en 2015, et enfin le récit de sa conversion, il « a pris goût à la liberté d’écriture ». Désormais, il se demande ce qu’il écrira demain. « Je n’en ai aucune idée. Mais la vie se charge d’offrir des surprises », ajoute-t-il, inquiet « de l’avenir du judaïsme contemporain, qui n’a pas trouvé de voie moyenne entre une certaine rigidité identitaire et un abandon pur et simple ».

(1) Un juif de mauvaise foi, de Jean-Christophe Attias, Éd. JC Lattès, 407 p., 20,90 €. (2) Moïse fragile, de Jean-Christophe Attias, Éd. Alma, 276 p., 22 €.

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