chronique
Pour en finir avec la cérémonie des vœux
François Sureau
Ces jours-ci, mon cœur s’est attristé à la vue des cadavres de sapins qui jonchaient les rues de Paris. Ces petits arbres avaient été admis dans l’intimité des maisons. Ils y avaient apporté un air de Danube et de forêts russes, les souvenirs de Grimm et de Séraphin de Sarov qui était aimé des ours. Ils avaient reçu les confidences des enfants, consolé les cœurs souvent lourds, allez savoir pourquoi, à l’approche de Noël. Ils avaient abrité des cadeaux, nourri des songes, vu des drames et des réconciliations. Et puis, tout d’un coup, la fête terminée, on les avait jetés dehors, sans un mot, sans un regard, à la voirie des rêves. Il n’y a pas de Père Noël. Il y aura toujours des pauvres et des chômeurs. Il nous faudra nous consoler comme nous pourrons, avec un livre, une espérance confuse, l’amour et l’amitié. Prenons l’expulsion des sapins dans ce qu’elle a de meilleur, le refus de l’illusion. Puisque réalité il y a, on sait que son chemin est semé d’objets perdus.
Parmi ces objets que nous pourrions vouloir perdre, le premier est l’inepte enchaînement de la cérémonie des vœux. Les Français ont, mieux que tous les peuples, donné à leur idolâtrie particulière la forme du kitsch. Républicains en quête d’un roi, à la fois rebelles et courtisans, se taillant des légions d’honneur dans l’étoffe de leurs bonnets rouges et singeant l’Église jusque dans le mariage civil, avec une innocence, une sûreté de soi qui laisseraient confondus le Persan, le Huron le plus insensible. Les voici donc groupés en corporations, célébrant les joies de la vie publique, se réjouissant d’en être, craignant de n’en être plus.
Le kitsch français tient, dans son essence, à sa médiocrité même. Le Français ne va pas assez loin. Il ne tolère son roi qu’en complet veston, et n’ose pas revêtir ses juges de perruques anglaises. Il ne célèbre pas l’assomption d’une classe dirigeante multicolore et chamarrée, mais celle des fonctionnaires des douanes et de l’enregistrement, que le discours du monarque vient transformer en agents du règne de l’esprit dans l’histoire, en anges gris de l’empire du bien, d’autant plus estimables que leur supériorité est moins visible. Au fond, c’est s’arrêter en chemin. Si l’on ne se décide pas à supprimer ces rassemblements, ayons au moins le courage, la folie de leur donner un tour éclatant. Prenons modèle sur l’Académie française, une institution également risible, mais que son apparence rédime dans la jonction costumière du plumeau des flatteries et de l’épée des renoncements, dans le rapprochement de Nestor et des employés de la maison Borniol, sous ce manteau de Noé dont les broderies vertes dissimulent moins l’ivresse que les atteintes de l’âge.
Revêtons les ministres d’un uniforme rouge et noir, à la casquette portée visière en arrière, ornée des mots « intégration » ; que la traîne, semée de photographies de Roland Dumas, du président du Conseil constitutionnel, soit portée en procession par les anciens chefs de l’État ; que le premier président de la Cour de cassation, et lui seul, puisse écouter les discours couvert d’un bonnet de police, assis, comme dans la Perse ancienne, sur un fauteuil en peau de mauvais juge ; que les hauts fonctionnaires laissent tomber sur leurs nuques les augustes paroles à la manière des mandarins, genou en terre et poing au sol, pendant qu’un gong lointain, manié dans les profondeurs du palais par le vice-président du Conseil d’État, sonnera le glas des rêves de leur jeunesse ; que la presse se présente en chemise avec, pour chacun de ses rédacteurs en chef, au cou une tablette de cire où sera gravé le montant des subventions publiques que son journal reçoit ; que le corps diplomatique ne soit plus rangé par ordre d’ancienneté dans l’accréditation, mais en fonction inverse du nombre de malheureux réfugiés que leurs gouvernements incapables contraignent à émigrer chez nous, ou selon le nombre de violations des droits de l’homme commis au cours de l’année précédente, d’après un état établi par le secrétaire général du gouvernement, et dont copie, sur parchemin en veau, serait remise à l’issue à chaque Excellence. Et surtout, qu’au son d’une musique de Lully, à la fin de chaque allocution, tous lèvent les bras vers le ciel en s’écriant par trois fois : « République ! Lendemains lumineux ! Territoires reconquis ! Administration et prospérité ! Impôts et joie ! », après quoi la foule dorée sur tranche s’écoulera vers la sortie entre deux rangées de cheminots présentant les armes, au son de « Parlez-moi d’argent, racontez-moi des choses tendres », joué par l’orchestre mixte des « insoumis de la garde républicaine ». Laissons là nos vaines pudeurs et montrons-nous à la hauteur des circonstances, du souvenir de Cyrano, du facteur Cheval et de Ferdinand Lop. Ne renonçons pas à nous aimer avec excès. Pour 2018, je nous souhaite de n’être pas modestes.
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