samedi 3 février 2018

LC 20180203 Non à la chasse (aux sorcières) - par Geneviève Jurgensen



Non à la chasse (aux sorcières)

Geneviève Jurgensen
Casey Affleck a 42 ans, trois grands enfants, et le cinéma c’est sa vie. Bien sûr il a aussi d’autres engagements, comme la défense des animaux, depuis des décennies. Mais sa vie, c’est le cinéma, qui est aussi la vie de son frère, de son beau-frère, de tous ceux qui l’entourent. Parcourir l’une ou l’autre de ses notices biographiques rédigées en langue anglaise, c’est découvrir une enfance compliquée, comme celle de beaucoup de ces enfants dont le talent, avant de s’enflammer, se forge douloureusement sur un brasier intime.
Casey Affleck, pas si connu en France, figure pourtant au générique de certains des plus beaux films de ces vingt dernières années, dont l’un lui valut, il y a un an, de recevoir à Hollywood l’Oscar du meilleur acteur. À ceux qui l’applaudissaient, dont beaucoup debout, il a lancé : « Je suis vraiment fier d’être l’un d’entre vous. » Mais dans ce ­Hollywood qui tient sa force et sa légitimité tant de ses génies dans tous les domaines du cinéma (même des Nobel de littérature comme l’Islandais Halldór Laxness ou l’Américain William Faulkner y signèrent des scénarios !) que de sa façon unique d’honorer la profession et d’en cultiver les traditions, une exception sera faite le 4 mars prochain, jour de la remise des Oscars 2018. L’usage qui veut que le meilleur acteur de l’année précédente remette la récompense à la meilleure actrice de l’année suivante ne vaudra pas pour Casey Affleck, acclamé hier, persona non grata aujourd’hui. Entre-temps il y eut l’affaire Weinstein, une affaire terrible, portée à la connaissance du public par des enquêtes journalistiques de longue haleine, une affaire qui aurait pu être salutaire mais au lieu de cela, soixante-dix ans après la chasse aux sorcières, en a ouvert une nouvelle saison, pire que la précédente.
Pire ? Oui, notamment parce que cette fois, le chasseur n’est pas identifiable. La traque des communistes à Hollywood fut menée il y a soixante-dix ans par une commission d’investigation sur les activités anti-américaines et par le FBI. La traque des délinquants sexuels est menée par n’importe qui. Comment s’organiser contre un sport qui ne connaît aucune règle, au point que son but paraît souvent être la destruction de l’individu plutôt que la défense d’une cause juste ? La proie peut être accusée de faits datant de plusieurs décennies, variant jusqu’au vertige sur l’échelle de gravité, invérifiables, ayant même parfois, quand la justice s’y intéressa, abouti à l’acquittement de l’accusé, à l’abandon des poursuites, ou comme c’est le cas pour Casey Affleck, à un arrangement à l’amiable. Mais rien n’éteint l’action de ces millions de procureurs auto-générés. Et enfin il y a le terrain de chasse. Celui de la chasse aux communistes était national, celui de la chasse aux « porcs », comme hélas on dit en France, est sans frontières.
Nul, dans l’Académie des Oscars, ne se soucie de ce que Casey Affleck a fait ou pas à des femmes pendant des tournages, et de ce qu’il va devenir, maintenant qu’il est rejeté. La seule loi des académiciens est celle du moindre ennui. Leur amour du 7e art, si brillamment proclamé à chaque cérémonie, n’ira pas jusqu’à leur inspirer un sursaut d’honneur. N’ont-ils laissé s’exiler des Charlie Chaplin, des Jules Dassin, des Joseph Losey à qui ils devaient tant ? Hollywood ne s’en est-il remis ? La saison de nos modestes Césars a commencé cette semaine avec les nominations. D’ici à la remise des prix, à la fin du mois, que les votants trouvent en eux le minimum de courage nécessaire pour s’en tenir à juger le cinéma, leur seul domaine de compétence, et laisser à la justice la tâche de juger les hommes. Ceux qui se croient à l’abri, ou estiment que la cause des femmes justifie la chasse à l’homme, oublient que les causes changent, et les proies avec. À qui le tour ?
Un mot pour finir, qui n’a rien à voir. Comme dans certains quartiers, on parle de « voisins vigilants », j’ai l’honneur d’avoir des lecteurs vigilants. L’un d’eux m’a fait remarquer que, contrairement à ce que j’écrivais la semaine dernière, l’École nationale d’administration pénitentiaire défilait depuis peu sur les Champs-Élysées le 14-Juillet. Je me réjouis de cette évolution, et je recommande le visionnage du reportage sur le premier défilé, en 2016 (1). En neuf minutes, on y voit le personnel de demain présenter son plus beau visage, et ça fait du bien.

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