lundi 16 octobre 2017

HERODOTE Alexis Piron

Alexis Piron (1689 - 1773)

Un stylet acéré




Auteur aujourd’hui oublié, Alexis Piron a égayé comme personne le siècle des Lumières. Ennemi juré de Voltaire qu’il n’eut de cesse de tourner en ridicule, ses épigrammes étaient les plus redoutées de tout le royaume.
Dans Des hommes célèbres de France au XVIIIe siècle, Goethe écrit qu’il fut « l’un des hommes les plus spirituels qu’ait produit la France, si riche et si féconde en ce genre ; le plus véritablement bon vivant, le plus inépuisable diseur de bons mots, le plus amusant convive de son temps. »
Julien Colliat
Portrait d'Alexis Piron, École française, vers 1760, Musée Cognacq-Jay, Paris.

Un bourguignon débordant d’esprit

Né à Dijon en 1689, Alexis Piron est le fils d’un notable de la ville, apothicaire de son état et poète à ses heures perdues, et qui lui transmit son tempérament joyeux et le goût des bons mots. Dès son plus jeune âge, Piron se distingue par son caractère irrévérencieux et farceur qui donne du fil à retordre à son père. Ce dernier souhaiterait qu’il fasse carrière dans l’Église ou la médecine, mais Piron est un cancre et n’aspire qu’à être poète.
Il se résout finalement à devenir avocat et s’inscrit à la faculté de droit de Besançon où il décroche son diplôme. Il n’aura cependant pas la possibilité de plaider, son père, soumis à des revers de fortune, ne pouvant lui apporter l’aide financière nécessaire à sa charge. De retour à Dijon, Piron mène une vie oisive. Il passe son temps à courir les jupons et à festoyer avec sa bande d’amis, avec laquelle il compose des poèmes libertins, des épigrammes et des chansons paillardes.
Rêve d'amour, Jean-Honoré Fragonard, 1768.
Les belles jambes
Colin poussé d’amour folâtre
Regardait à son aise un jour
Les jambes plus blanches qu’albâtre
De Rose, objet de son amour.
Tantôt il s’adresse à la gauche,
Tantôt la droite le débauche.
Je ne sais plus, dit-il, laquelle regarder.
Une égale beauté fait un combat entre elle.
Ah ! lui dit Rose, ami sans plus tarder.
Mettez-vous entre deux pour finir leurs querelles.

L’Ode à Priape

Fresque de Priape, Casa dei Vettii, Pompéi. Priape est représenté pesant son énorme pénis en érection contre un sac d'or.Un jour de 1710, à la suite d’un défi lancé par son cousin, Jehannin de Chamblanc, durant un repas bien arrosé, Piron compose une Ode à Priape, dieu grec de la fertilité, toujours représenté avec un gigantesque phallus. Volontairement outrancier, le texte est non seulement pornographique mais également blasphématoire.
Alors que Piron lui avait demandé de détruire son manuscrit, Jehannin ne trouve rien de mieux à faire que de lire le texte à des jeunes conseillers du parlement de Bourgogne qui en font aussitôt des copies.
L’ode circule dans toute la ville et un exemplaire se retrouve même entre les mains d’Antoine Bouhier, président du parlement. Face à la polémique, le jeune homme est contraint de désavouer son texte. Diffusée jusqu’à Paris, l’Ode à Priape fait néanmoins connaître le nom de Piron dans les cercles littéraires. 
Quelques années plus tard, sa verve va entraîner le bourguignon dans une nouvelle mésaventure. Venu à Beaune (ville rivale de Dijon) à l’occasion d’un tournoi d’arquebuse, Piron multiplie les bons mots et quolibets assimilant les Beaunois à des ânes. Alors qu’il se promène dans la campagne, il arrache avec sa canne tous les chardons qu’il croise sur son chemin, en claironnant : « Je suis en guerre avec les Beaunois : je leur coupe les vivres » (les ânes aiment brouter le chardon !).
Au théâtre, alors qu’un spectateur s’exclame : « Silence ! On n’entend rien ! », il répond du tac-au-tac : « Ce n’est pourtant pas faute d’oreilles ! ». Ses railleries ne sont évidemment pas au goût des Beaunois qui préfèrent faire taire l’impertinent à coups de cannes. Piron n’échappe au lynchage que grâce à l’intervention d’une jeune femme qui le cache chez elle.
Les buveurs de vin, dit Le poète Piron avec ses amis, Jacques Autreau, 1729-1732, musée du Louvre, Paris (Piron est au centre).

Succès dans le théâtre de la foire

De retour à Dijon, Piron continue à mener sa vie de joyeux fêtard et multiplie les épigrammes contre ses concitoyens. Las de ses frasques, son père l’exhorte à quitter la ville. Piron a alors 30 ans et, avec son brillant esprit pour seul bagage, se rend à Paris afin de tenter sa chance dans le milieu des lettres.
Il trouve d’abord un emploi de copiste chez le chevalier de Belle-Isle, petit-fils de Fouquet, mais celui-ci le rémunérant trop mal, il quitte rapidement son service. Piron fait ensuite la connaissance d’une certaine Mademoiselle de Bar, originaire elle aussi de Bourgogne et qui devient sa maîtresse (il l’épousera en 1741 après près de 20 ans de vie commune).
Bernard le Bovier de Fontenelle, Louis galloche, 1723, Château de Versailles.Grâce à sa compagne, Piron est admis dans le salon de la marquise de Mimeure, muse de Fontenelle, et qui est fréquenté par de nombreux beaux esprits. Le bourguignon y rencontre pour la première fois Voltaire
Agacé d’entendre ce dernier manger fort bruyamment, Piron le raille en buvant à grosses gorgées, provoquant le courroux de l’auteur d’Œdipe. De cette première altercation va naître une profonde animosité entre les deux hommes qui resteront des ennemis jurés jusqu’à la fin de leurs jours. 
Afin de discréditer son rival, Voltaire n’hésite pas à lire l’Ode à Priape à la marquise de Mimeure, mais cette basse manœuvre se retourne au final contre le délateur.
Pour gagner sa vie, Piron va écrire des pièces comiques données à l’occasion des foires de la capitale. Le défi est relativement ardu puisque sur pression de la Comédie-Française, ces spectacles avaient interdiction de mettre en scène le moindre dialogue ! Pour 100 écus, Piron compose un monologue en trois actes, destiné à l’Opéra-Comique, et intitulé Arlequin Deucalion.
Mettant en scène un Arlequin, seul rescapé du Déluge, la pièce remporte un très grand succès et est jouée plus de 30 fois en 1722. La carrière de Piron est désormais lancée. L’année suivante, il écrit un opéra-comique, L’Endriague, dans lequel il collabore avec un organiste dijonnais encore inconnu : Jean-Philippe Rameau. C’est un nouveau succès.
Salon de Mme de Tencin : Mme de Tencin et M. Lawdans, Louis Lurine, Paris, BnF, département Littérature et Art.
Fort de sa nouvelle notoriété, Piron fréquente le prestigieux salon de madame de Tencin (mère de d’Alembert) où il rencontre Fontenelle, MontesquieuMarivaux ou l’abbé Prévost. Sans cesser d’écrire pour le théâtre de foire, il entend prouver qu’il peut aussi s’illustrer dans un registre plus sérieux et surtout plus lucratif. Il s’essaie ainsi à la comédie. En 1728, sa pièce L’École des Pères est jouée à la Comédie-Française mais se fait démolir par la critique.
A Paris, Piron continue à mener une vie d’épicurien avec une petite bande de chansonniers comprenant Crébillon fils, Charles Collé, Pierre Gallet et Charles-François Panard. En 1729, ceux-ci fondent dans un cabaret situé rue de Bussy, une goguette (sorte de club festif) baptisée le Caveau. C’est dans ce lieu licencieux, où aucune femme n’est admise, que les joyeux drilles se réunissent deux fois par mois pour festoyer dans une ambiance de franche camaraderie.
Jean-Philippe Rameau, attribué à Joseph Aved, vers 1728, musée des Beaux-Arts de Dijon.Au programme : lecture de pièces de théâtre de la foire et concours de chansons et d’épigrammes. De nombreuses personnalités se joindront au Caveau tels le tragédien Crébillon père, le philosophe Helvétius, le peintre François Boucher ou encore Jean-Philippe Rameau qui y composa la célèbre comptine Frère Jacques.
Cherchant à rivaliser avec Voltaire, Piron présente en 1730 sa première tragédie : Callisthène. Mais le soir de la première, au moment où l’acteur interprétant Callisthène doit mettre fin à ses jours en se poignardant le cœur, la lame de son couteau tombe à terre, contraignant le comédien à feindre de se suicider avec le seul manche ! Cet incident provoque la chute de la pièce.
Loin de rester sur cet échec, Piron écrit une deuxième tragédie : Gustave Vasa. Consacrée au célèbre souverain suédois, elle obtient un franc succès et la reine-consort de Suède, Ulrique-Éléonore (sœur de Charles XII), lui adresse personnellement une lettre de félicitations.
Lecture de Molière, Jean-François de Troy, vers 1728.

La Métromanie : la consécration

Pour s’adonner totalement à l’écriture, Piron bénéficie de la protection du marquis de Livry, lieutenant-général des armées, qui lui octroie une généreuse pension et le loge dans un vaste appartement de son château du Raincy. C’est là que le dijonnais écrit la comédie qui va marquer sa consécration : La Métromanie.
Cette pièce est directement inspirée par une supercherie imaginée par le poète Paul Desforges-Maillard, lequel s’étant vu refuser la publication de ses poèmes par le Mercure de France, a l’idée de les renvoyer mais sous le nom d’une poétesse bretonne totalement imaginaire : Mademoiselle Malcrais de La Vigne.
Château du Raincy sous les Duc d'Orléans, XVIIIe siècle, Textes et documents d'histoire locale, Service éducatif des Archives Départementales de Seine Saint-Denis. L'agrandissement présente la couverture de La Métromanie, comédie... par M. Piron, BnF Gallica.
Le directeur du Mercure tombe dans le piège et publie plusieurs poèmes. Il va même jusqu’à écrire une déclaration d’amour à la pseudo-poétesse ! Voltaire lui-même est trompé et adresse une élogieuse dédicace à l’auteure.
Lorsque la vérité éclate au grand jour, Piron voit l’occasion de tourner son ennemi en ridicule en faisant de lui le héros d’une comédie. La Métromanie est une charge contre les faux poètes. Elle a pour personnage central Damis, un écrivain inspiré de Voltaire et dont la manie de faire des vers à tout propos occasionne une série de mésaventures.
Portrait de Voltaire, Nicolas de Largillierre, vers 1724, château de Versailles.On trouve dans la pièce cette célèbre citation, allusion directe à l’affaire Desforges-Maillard : « Voilà vos arrêts messieurs les gens de goût ! L’ouvrage est peu de choses et le seul nom fait tout ».
La première représentation a lieu au château de Berny en 1737 et il faut l’intervention de Maurepas pour que la Comédie-Française accepte de la jouer, les acteurs l’ayant d’abord refusée pour ne pas froisser Voltaire.
Célébrée par la critique qui voit en Piron un nouveau Molière, La Métromanieconnaît un succès considérable et est jouée à la cour. Voltaire ne partage évidemment pas ces louanges.
Surnommant la pièce La Piromanie, il écrit : « J’ai vu la Piromanie qui n’est pas sans esprit ni sans beaux vers mais ce n’est un ouvrage estimable en aucun sens et il ne tient son succès qu’à moi. On peut hardiment juger de l’ouvrage par son auteur ».
Piron a toujours le dernier mot
La rivalité entre Piron et Voltaire a donné lieu à quelques joutes verbales qui se sont toujours terminées à l’avantage du dijonnais. Ainsi, lors d’un séjour chez des amis communs en Belgique, les deux rivaux acceptent de se mesurer dans un défi littéraire consistant à écrire la lettre la plus courte qui soit. Voltaire propose : « Eo rus raquo; (en latin : « Je vais à la campagne »). Piron triomphe en lui répondant simplement : « I »(« Va »).
Autre anecdote savoureuse : un jour, Piron aperçoit Voltaire inscrire sur sa porte d’entrée : « jean-foutre ». Tenant à avoir le dernier mot, il se présente le lendemain chez son ennemi en lui annonçant : « J’ai vu votre nom sur ma porte et je m’empresse de vous rendre la visite que vous m’avez faite. » Et toc !

L’ennemi juré de Voltaire

Durant toute leur carrière, Piron et Voltaire se voueront une animosité féroce. Il faut dire que tout oppose les deux hommes, à commencer par leur physique. 
Portrait d'Alexis Piron par Alexander Roslin, XVIIIe siècle.Piron mesure 1 mètre 84 et pèse plus de cent kilos tandis que Voltaire est petit et maigre. Le bourguignon a une figure ronde et joviale alors que son rival a le visage anguleux et osseux et Piron le compare à « un os à ronger que la mort tarde à frapper car elle a peur d’ébrécher sa faux ».
Les deux écrivains dénotent surtout par le caractère. Voltaire est cynique, belliqueux et misanthrope. Piron se distingue par son allure bonhomme, sa gaieté naturelle et son goût des bonnes choses. Il reproche à son ennemi son inclination pour le faste et les intrigues, son amitié avec Frédéric II ou la superficialité de sa pensée.
Une lettre de 1735, non signée mais attribuée à Piron, dresse de l’auteur de Candide un portrait au vitriol : « Il aime les grandeurs et méprise les Grands, est aisé avec eux, contraint avec ses égaux. Il commence par la politesse, continue par la froideur et finit par le dégout. Il aime la cour et s’y ennuie. (…) Il travaille moins pour sa réputation que pour l’argent : il en a faim et soif. (…) Il n’a ni religion ni patrie, étant indécis à propos des deux. Il est toujours mécontent de son pays et loue avec excès ce qui est à mille lieux de lui. (…) Politique, physicien, géomètre, il est tout ce qu’il veut, mais toujours superficiel et incapable d’approfondir en effleurant seulement les matières. »
Une épigramme parlante
L’élection quai Conti de l’explorateur et scientifique La Condamine, atteint de surdité, lui inspire ainsi cette épigramme :

Enfin dans la troupe immortelle
La Condamine est admis aujourd’hui.
Il est bien sourd, tant mieux pour lui,
Mais non muet, tant pis pour elle.

Le maître incontesté de l’épigramme et de la répartie

Alexis Piron a surtout marqué son époque pour son inégalable talent dans l’art de l’épigramme. Sa productivité en la matière est prodigieuse. Ainsi, après que l’abbé Desfontaines (autre grand ennemi de Voltaire) ait éreinté une de ses œuvres, il annonce qu’il écrira une épigramme par jour contre lui. Piron tiendra parole et relèvera le défi durant… 54 jours consécutifs !
Charles Marie de La Condamine, Louis Carrogis Carmontelle, 1760, musé Condé, Chantilly.Une autre de ses cibles favorites : le journaliste Elie Fréron, contre lequel il n’écrira pas moins de 34 épigrammes. Piron garde par ailleurs en réserve de nombreuses épigrammes contre Voltaire, destinées à être diffusées au cas où il prendrait fantaisie à ce dernier de déclencher les hostilités. 
Les victimes de ses épigrammes sont très diverses : la Comédie-Française, les apothicaires, les Beaunois… et bien sûr les académiciens ! Mais Piron est aussi admiré (et redouté !) pour son extraordinaire vivacité d’esprit et son sens inné de la répartie.
Plusieurs anecdotes témoignent de ce don. Un jour, un plumitif lui soumet deux de ses poèmes et lui demande lequel des deux il préfère. Après avoir achevé la lecture du premier, Piron rend son avis d’un ton sentencieux : « J’aime mieux l’autre. » Lorsque l’archevêque de Paris, connu pour ne pas écrire lui-même ses livres, lui demande s’il a lu le mandement qu’il a fait paraître pour la mort du dauphin, le dijonnais répond : « Non monseigneur, et vous ?  ».
Le panégyrique d'un diplomate 
Le diplomate allemand Friedrich Melchior Grimm clame son admiration pour Piron :
« C’était une machine à saillies, à épigrammes, à trait. (…) Piron était donc un vrai spectacle pour un philosophe, et un des plus singuliers que j’aie vu. (…) C’était dans ce genre de spectacle à coups de langue, l’athlète le plus fort qui eut jamais existé nulle part. Il était sûr d’avoir les rieurs de son côté. Personne n’était capable de soutenir un assaut avec lui ; il avait la répartie terrassante, prompte comme l’éclair et plus terrible que l’attaque. Voilà pourquoi Voltaire craignait toujours la rencontre de Piron parce que tout son brillant n’était pas à l’épreuve des traits de ce combattant redoutable qui les faisait tomber sur ses ennemis comme une grêle. »
Lecture de la tragédie de Voltaire, L'Orphelin de la Chine, chez Mme Geoffrin en 1755, Anicet Charles Gabriel Lemonnier, Rueil-Malmaison, Châteaux de Malmaison et Bois-Préau.

Victime du véto royal

En 1753, Piron est à l’apogée de sa gloire. Protégé par plusieurs riches et influents mécènes, il a son rond de serviette dans le prestigieux salon de Madame de Geoffrinoù se réunissent les plus grands artistes et savants du siècle des Lumières : Voltaire, Rousseau, Fontenelle, Montesquieu, Diderot, D’Alembert, Buffon, Marivaux… Il ne lui manque plus qu’un fauteuil à l’Académie française.
Sa candidature est parrainée par Montesquieu et la marquise de Pompadour : la porte de l’Académie lui est grande ouverte, d’autant que Voltaire est en Prusse. D’Alembert et Buffon qui briguent chacun un fauteuil ont même accepté de se désister en sa faveur.
Madame Geoffrin, Jean-Marc Nattier, 1738, Tokyo Fuji Art Museum.Le bourguignon rassure les académiciens en promettant que lors de son discours de réception il se contentera de lever simplement son chapeau et dire « Merci messieurs ». Son élection est une formalité.
Mais le philologue Jean-Pierre de Bougainville (frère du célèbre explorateur) qui convoite lui aussi le fauteuil, va torpiller la candidature de Piron par l’intermédiaire de l’évêque de Mirepoix, lui-même académicien et adversaire acharné des philosophes. Précepteur du dauphin, le prélat signale à Louis XV que Piron est l’auteur de l’Ode à Priape dont il lui lit le texte à haute voix.
Si le roi de France n’a pas le moindre grief contre Piron, il est néanmoins contraint de mettre son véto à son élection, compte tenu des passages blasphématoires de l’ode. Il faut rappeler qu’à l’époque de nombreux ecclésiastiques siègent à l’Académie et que Voltaire lui-même n’a pu y entrer (après deux échecs) qu’en prononçant une palinodie dans laquelle il promettait de renoncer à ses idées antireligieuses.
Comme Molière et tant d’autres après lui, Piron ne sera jamais érigé au rang d’Immortel. A défaut des honneurs académiques, il obtient cependant, grâce à l’intervention de Montesquieu, une importante compensation : une pension royale égale à celle versée aux académiciens.
Fidèle à lui-même, le dijonnais se vengera de l’institution par une série de saillies et quolibets dont il a le secret, comparant par exemple l’Académie à « une femme à quarante époux presque tous impuissants » et les académiciens à des « invalides de l’esprit ». Son bon mot le plus fameux sur le quai Conti reste cependant : « Ils sont là-dedans quarante qui ont de l’esprit comme quatre. » En 1762, Piron se consolera en étant élu à l’Académie de Dijon.
Buste d'Alexis Piron, Jean-Jacques Caffieri, 1762, sculpteur de Louis XV, musée des beaux-arts, Dijon.

Les dernières années

Au cours des dix dernières années de sa vie, Piron doit faire face à d’importantes difficultés financières. L’ancien libertin s’est en outre considérablement assagi au point de mener une existence pieuse et d’écrire des odes à Dieu. Veuf et atteint de cécité, ce qui l’empêche d’écrire, il est assisté quotidiennement par sa nièce Nanette.
Malgré son grand âge et sa maladie, il n’a rien perdu de son esprit. Par exemple, lors d’une promenade aux Tuileries, sa nièce constate que son pantalon est complètement déboutonné, laissant voir ses attributs. Embarrassée, elle lui chuchote alors : « Mon oncle, tout le monde nous regarde. Cachez votre histoire. » Ce à quoi l’auteur de la Métromanie réplique du tac-au-tac : « Ah mon enfant, il y a bien longtemps que cette histoire-là n’est plus qu’une fable.  »
Le jour de ses 80 ans, Piron a l’honneur de recevoir un visiteur prestigieux : Jean-Jacques Rousseau, de passage à Paris. Cette visite surprise le comble de bonheur et il s’empresse de demander pardon au genevois de l’avoir autrefois traité dans ses épigrammes de « petit philosophe allobroge ». Son hôte l’ayant accueilli en entonnant une prière, Le Cantique de Syméon, Rousseau dit en se retirant : « C’est la Pythie sur son trépied.  »
Alexis Piron s’éteint le 21 janvier 1773 à l’âge de 84 ans. Sans jamais rien perdre de sa gaieté et de sa bonhommie, il trouve la ressource de faire des bons mots jusqu’à son dernier souffle et se charge même de composer sa propre épitaphe, empreinte de son humour inimitable : « Ci-gît Piron qui ne fut rien, pas même académicien ».
Craintifs Immortels
Alexis Piron, gravure de Nicolas Le Mir d'après une peinture de Nicolas Bernard Michel Lépicié, frontispice des Oeuvres choisies (Paris: Duchesne, 1773), bibliothèque du Congrès, Washington.Rancuniers, les Immortels ne daigneront pas se déplacer pour son enterrement à l’église Saint-Roch. Mais ses amis le vengeront en diffusant cette épigramme que Piron n’aurait certainement pas reniée :
Des quarante priés en vain à ton convoi.
Aucun n’en a voulu grossir le petit nombre.
Ne t’en plains pas, Piron, c’est qu’ils avaient ma foi,
Encore peur, même de ton ombre !

Bibliographie

Pierre-Yves Laurioz, Alexis Piron, le libertin repenti, Editions Clea, 2009
Publié ou mis à jour le : 2017

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