1963-1975
La guerre du Vietnam
Mais au Sud-Vietnam se développe une rébellion communiste activement soutenue par le Nord-Vietnam. Elle va déboucher sur une nouvelle guerre de plus de dix ans dans laquelle vont s'impliquer les États-Unis et leurs alliés d'une part, l'URSS et dans une moindre mesure la Chine populaire d'autre part.
Bien plus qu'une nouvelle péripétie de la guerre froide entre le camp occidental et le camp soviétique, cette guerre ultra-médiatisée apparaît a posteriori comme le révélateur d'un monde nouveau. Elle met aux prises des Occidentaux las des aventures impériales et un tiers monde qui prend conscience de sa force.
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Tout commence avec les accords de Genève
du 21 juillet 1954 qui mettent fin à la présence française au Viêt-nam
(on écrit aussi Vietnam). Ils ne débouchent pas comme prévu sur la
réunification des deux Viêt-nam mais sur une exacerbation des
rivalités. Une zone démilitarisée sépare les deux Viêt-nam au niveau du
17e parallèle.Au sud, l'ex-empereur Bao Dai est éliminé par le chef du gouvernement, le catholique Ngô Dinh Diêm. Celui-ci proclame la République le 26 octobre 1955, suite à un référendum truqué, et instaure un régime dictatorial et népotique (*).
Il obtient l'évacuation des troupes françaises, mène à bien l'installation de 800 000 réfugiés nord-vietnamiens, dont beaucoup de catholiques, réduit les sectes au silence et combat la pègre saïgonnaise.
Mais Diêm lui-même, étroitement associé à son frère Nhu et à sa belle-soeur, s'engage dans une voie de plus en plus autoritaire et répressive.
Le 19 décembre 1960 est créé un mouvement insurrectionnel d'opposition, le Front national de libération du Viêt-nam du sud (FNL). Ses combattants sont qualifiés péjorativement par leurs adversaires de Viêt-công ou Vietcongs (« communistes vietnamiens »). Ils bénéficient du soutien actif des soldats de l'Armée Populaire Vietnamienne (APV).
Ces « Bô dôi » viennent du Nord-Vietnam selon un plan de conquête échafaudé par le gouvernement de Hanoi, en l'occurrence le secrétaire général du parti communiste Lê Duan et Lê Duc Tho. Trop vieux, Hô Chi Minh, le père de l'indépendance, se tient en retrait.
Diêm regroupe les paysans les plus exposés dans des « hameaux stratégiques » pour les soustraire à l'influence des guerilleros. Un millier de villages fortifiés sont au total aménagés. Mais cette politique coercitive n'a d'autre effet que d'amplifier l'opposition populaire au régime.
À partir de 1961, le président américain John Fitzgerald Kennedy envoie sur place quelques troupes déguisées en conseillers militaires.
Il veut à tout prix empêcher l'arrivée au pouvoir des communistes à Saigon pour éviter une chute en cascade des derniers régimes pro-occidentaux d'Asie (selon la « théorie des dominos » formulée par l'ancien président Eisenhower).
Dans un premier temps, l'armée sud-vietnamienne, épaulée par les conseillers américains, se flatte de quelques beaux succès et les Vietcongs se tiennent coi, apeurés par les moyens impressionnants mis en oeuvre par les Américains, en particulier les hélicoptères de combat.
Mais tout bascule le 2 janvier 1963 à Ap Bac, dans le delta du Mékong. Ce jour-là, dans une embuscade, les Vietcongs abattent cinq hélicoptères américains et font de nombreuses victimes avant de se retirer, libérés de la peur que leur inspirait la puissance américaine. La guerre du Vietnam commence pour de bon.
L'opposition au régime de Diêm et Nhu, de plus en plus répressif, gagne les villes.
Le 11 juin 1963, le moine bouddhiste Thich Quang Duc (73 ans) s'immole par le feu au centre de Saigon pour protester contre la dictature et les « persécutions » à l'égard de sa communauté. D'autres moines suivent son exemple. L'opinion publique occidentale s'émeut.
Le gouvernement Kennedy demande à Diêm d'écarter au moins son frère mais Diêm fait la sourde oreille car il sait que Washington n'a pas de solution de rechange.
S'y croyant autorisés par l'ambassadeur américain Henry Cabot-Lodge, des généraux sud-vietnamiens s'emparent le 2 novembre 1963 des bâtiments gouvernementaux. Diêm se réfugie avec son frère dans une église et réclame et obtient un sauf-conduit. Mais sitôt sortis de l'église, les deux hommes sont sommairement exécutés.
Quelques jours plus tard, à Dallas, le président Kennedy est lui-même assassiné. Lyndon Baines Johnson lui succède à la Maison Blanche.
On recense à ce moment-là plus de quinze mille militaires américains aux côtés des soldats sud-vietnamiens. Il s'agit dans les faits de forces spéciales (« bérets verts ») qui n'hésitent pas à intervenir en appui de leurs alliés et dont une cinquantaine ont déjà été tués.
Entre le 2 août et le 4 août 1964, deux destroyers américains, le Maddox et le Turner Joy, qui se sont aventurés dans les eaux territoriales du Nord-Vietnam, essuient des tirs de la part des Nord-Vietnamiens. C'est du moins ce qu'affirment les services secrets de Washington (les équipages des navires concernés nieront plus tard la réalité de cette agression).
Cet incident du golfe du Tonkin vient à point pour le successeur de Kennedy, Lyndon Baines Johnson, qui est entré en campagne électorale.
Il décide de montrer ses muscles pour faire taire son rival républicain Barrry Goldwater qui agite à tout va la menace de subversion communiste.
Prenant prétexte de l'« agression » du Tonkin, le président lance dès le 4 août les premiers raids américains sur les positions communistes au Sud-Vietnam et, le 7 août 1964, il obtient du Congrès les pleins pouvoirs militaires pour un engagement contre le Nord-Vietnam.
Cette détermination lui vaut une réélection triomphale le 4 novembre suivant.
Les Américains commencent à bombarder le Nord-Vietnam le 7 février 1965. Ils espèrent par ces bombardements priver les maquisards communistes du Sud-Vietnam et les troupes d'invasion nord-vietnamiennes de leurs approvisionnements en armes et en carburant. Ils n'arrivent cependant pas à couper les fameuses « pistes Hô Chi Minh » et les navettes maritimes par lesquelles transitent, du nord au sud, hommes et matériels.
L'escalade atteint son maximum d'intensité avec le bombardement des villes du Nord-Vietnam, à partir du 29 juin 1966. Mais elle est obérée par l'ineptie de l'armée sud-vietnamienne, nombreuse et surarmée mais corrompue et prédatrice. Ses généraux ont tout juste fait élire à la présidence l'un des leurs, Thieu. Comme son Premier ministre Ky, ce militaire n'a d'autre souci que de s'enrichir au plus vite...
Engagement au sol
En 1968, on en arrive à compter plus de 500 000 Américains en uniforme au Sud-Vietnam. Ces soldats et leurs alliés (50 000 Sud-Coréens, 7500 Australiens, 500 Néo-Zélandais, 2000 Philippins, 8000 Thaïlandais) sont néanmoins en minorité à côté du million de soldats et miliciens engagés dans l'armée sud-vietnamienne.
Qui plus est, la plupart des soldats américains se tiennent loin des combats, affectés à des tâches logistiques dans des bases géantes et plutôt confortables (Long Binh compte ainsi 12 piscines, trois bibliothèques, une salle de spectacles, trois terrains de foot...). Moins d'un quart combat réellement. Ce sont les « grunts » ou « grognards » (fusiliers, marines...), sollicités à outrance, et dont les exploits ont été largement mis en scène par les plus grands cinéastes d'Hollywood, avec en fond sonore le vrombrissement des hélicoptères, l'engin à tout faire de cette guerre.
Ils affrontent plus de 300 000 Vietcongs, mobiles et soutenus par une grande partie des paysans, sans compter les unités nord-vietnamiennes qui ont envahi le Sud.
Le général Westmoreland fait bombarder et brûler les villages avant qu'ils ne soient investis par les marines. Il s'ensuit trois millions de paysans déplacés.
Malgré ou à cause des pertes humaines, familles décimées, villages détruits, la détermination des Nord-Vietnamiens et des paysans ne faiblit pas et les recrutements tant dans l'armée que chez les rebelles compense régulièrement les pertes.
Laos et Cambodge voisins sont bientôt entraînés dans la guerre malgré eux. Le 30 janvier 1970, l'intervention des Américains et de leurs alliés au Cambodge, pays officiellement neutre mais par lequel transite la « piste Hô Chi Minh », suscite la protestation des parlementaires américains. Ils retirent au président ses pouvoirs spéciaux pour éviter tout nouveau dérapage.
Au total, sur les trois pays indochinois seront lâchées au cours de la guerre plusieurs millions de tonnes de bombes, trois fois plus que pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Le napalm et l'« agent orange » sont aussi utilisés à très grande échelle. L'US Air Force se sert de ces défoliants chimiques, précédemment employés par les Français, pour brûler le couvert végéral, les habitations en bois et les récoltes, avec des effets ravageurs à très long terme sur la santé des populations et sur l'environnement.
Mi Lay, un massacre impuni
Dans le village sud-vietnamien de Mi Lay, le 16 mars 1968, la compagnie C
a tué entre 300 et 500 civils, dont beaucoup de femmes et d’enfants, au
cours d’une opération planifiée sous les ordres du lieutenant William
Calley (26 ans). Le drame ayant été ébruité, le lieutenant prétendit
avoir obéi aux ordres de son capitaine Ernest Medina.Mais la cour martiale ne retint que la responsabilité personnelle. Le 29 mars 1969, elle le condamne à la prison à vie pour le crime de 22 civils. Le président Nixon intervient trois jours plus tard pour commuer sa peine. Il est gracié en 1974 après trois années de prison. Le scandale est grand dans l'opinion publique américaine.
La désescalade
À Washington, Robert McNamara, qui n'a jamais apprécié l'intervention au Vietnam et ne croit plus en un possible succès, quitte le Secrétariat à la Défense le 29 février 1968 pour la Banque Mondiale. À la tête du corps expéditionnaire américain, le général Creighton Abrams remplace le bouillonnant William Westmoreland.
Sur les campus de Californie, la contestation monte en flèche.
Elle témoigne d'une première scission entre la jeunesse éduquée, généralement issue des classes moyennes supérieures et habile à se faire exempter du service militaire, et la jeunesse pauvre issue des milieux ouvriers blancs et noirs, dans laquelle se recrute les soldats du corps expéditionnaire.
En lien avec la montée du mouvement hippie, qu'illustrent le festival de Woostock et le slogan Make love, not war (« Faites l'amour, pas la guerre »), la jeunesse étudiante et les artistes, telle Jane Fonda, se mobilisent activement contre l'intervention de leur pays de l'autre côté du Pacifique.
Les désertions se font plus nombreuses...
La contestation ne tarde pas à gagner tous les campus du monde occidental.
Une Amérique effondrée
Élu et réélu quatre ans plus tard, Nixon entame malgré tout en 1970 le retrait des troupes américaines. En 1972, il se rend à Pékin, amorçant une détente avec le camp adverse, et, en janvier 1973, conclut les accords de paix de Paris par lesquels les États-Unis s'engagent à retirer toutes leurs troupes dans les 60 jours et le Nord-Vietnam à libérer tous ses prisonniers américains.
Entre-temps, du 18 au 29 décembre 1972, il ordonne un bombardement massif de Hanoi et des grandes villes du nord par l'US Air Force pour tenter de rendre ses interlocuteurs à la table des négociations plus accommodants.
La guerre va se poursuivre entre Vietnamiens jusqu'à la chute de Saigon, deux ans plus tard, en laissant un bilan accablant du côté vietnamien. Les Américains déplorent 58 000 morts (environ deux fois moins que pendant les quelques mois de leur intervention dans la Première Guerre mondiale). Les Vietnamiens, quant à eux, auraient perdu un total de 3,8 millions de civils et militaires selon Robert McNamara, soit près de 8 % de leur population. À quoi s'ajoutent les blessés, les mutilés et les victimes du napalm et de l'« agent orange ».
La guerre du Vietnam a surpris les États-Unis au sommet de leur puissance et de leur prestige. Elle va ternir irrémédiablement leur image. Les Américains ne se remettront de leur humiliation que dans les années 1980, grâce au verbe du président Ronald Reagan.
De Cimino (Voyage au bout de l'enfer, 1978) et Coppola (Apocalypse Now, 1979) à Stone (Platoon, 1987) et Levinson (Good Morning Vietnam, 1987), les cinéastes d'Hollywood vont puiser dans le traumatisme vietnamien matière à nombre de chefs-d'oeuvre.
Quant aux militaires, ils veilleront désormais à garder sous contrôle (embedded) les journalistes appelés à suivre leurs opérations extérieures pour ne plus avoir à affronter leur opinion publique en sus de leurs ennemis.
https://www.herodote.net/1963_1975-synthese-1750.php
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