« Comment Heidegger se figurait la Révolution, c’est ce qui s’est clarifié pour moi lors d’un événement mémorable. Il avait été prescrit que soit organisée chaque mois, en vue de l’éducation politique, une conférence à laquelle tous les étudiants seraient astreints d’assister. Aucune salle de l’université n’étant assez grande, c’est la Salle Saint-Paul qui fut louée à cet effet. Pour prononcer la première conférence, Heidegger, qui était à l’époque recteur, invita le beau-frère de ma mère, Viktor von Weizsäcker. Tous les gens étaient perplexes, car chacun savait pertinemment que Weizsäcker n’était pas un nazi. Mais la décision de Heidegger avait force de loi. L’étudiant qu’il avait désigné comme chef du département de philosophie se sentit en devoir d’ouvrir la cérémonie en tenant un discours programmatique sur la révolution national-socialiste. Heidegger ne tarda guère à donner des signes d’impatience, puis il s’écria d’une voix forte, que l’irritation fit se fausser : « Nous n’écouterons pas un mot de plus de ce verbiage ! » Complètement effondré, l’étudiant disparut de l’estrade, plus tard il dut résigner sa charge. Quant à Viktor von Weizsäcker, il prononça une conférence impeccable sur sa philosophie de la médecine, dans laquelle il ne fut pas une seule fois question de national-socialisme, mais bien plutôt de Sigmund Freud."25. »Picht raconte ensuite que son oncle Weizsäcker lui aurait dit à propos de l'engagement politique de Heidegger :
« Je suis quasiment sûr qu'il s'agit d'un malentendu. Cela arrive bien souvent dans l'histoire de la philosophie. Mais Heidegger a une longueur d'avance : il perçoit quelque chose qui est en train de se produire et dont les autres n'ont aucune idée. »Heidegger se serait ainsi trompé par orgueil, surestimant jusqu'à la caricature l'intérêt de la philosophie (de sa philosophie) pour le mouvement politique qui s'empare de l'Allemagne et qui n'a rien de philosophique ni rien qui permette une renaissance de la vie de l'esprit et de la civilisation. Il ne voit pas le danger que d'autres déjà dénonçaient, mais une fois encore, les communistes (et sociaux-démocrates) et les Juifs sont seuls, ennemis, persécutés26.
(...)
Témoignages d'étudiants
Parmi ces témoignages nous avons celui de Walter Biemel, élève de Heidegger de 1942 à 1944, et spécialiste de son œuvre, et qui a écrit notamment Le concept de monde chez Heidegger (Vrin, Paris, 1950) qui fait toujours autorité. Voici le témoignage de l’auditeur que fut Biemel des cours tenus au cœur de la période nazie :« Pour la première fois, il me fut donné d’entendre de la bouche d’un professeur d’université, une violente critique contre le régime qu’il qualifiait de criminel52. »
« Il n’y a pas un cours, un séminaire où j’ai entendu une critique aussi claire du nazisme qu’auprès de Heidegger. Il était d’ailleurs le seul professeur qui ne commençât pas son cours par le "Heil Hitler!" réglementaire. À plus forte raison, dans les conversations privées, il faisait une si dure critique des nazis que je me rendais compte à quel point il était lucide sur son erreur de 193353. »Témoignage de Siegfried Bröse, fonctionnaire social-démocrate destitué par les nazis et devenu assistant de Heidegger dans les années trente :
« Les cours de Heidegger étaient fréquentés non seulement par des étudiants, mais aussi par des gens exerçant depuis longtemps déjà une profession, ou même par des retraités ; chaque fois que j’ai eu l’occasion de parler avec ces gens, ce qui revenait sans cesse, c’était l’admiration pour le courage avec lequel Heidegger, du haut de sa position philosophique et dans la rigueur de sa démarche, attaquait le national socialisme. Je sais également que les cours de Heidegger, précisément pour cette raison – sa rupture ouverte n’était pas demeurée ignorée des nazis – étaient surveillés politiquement54. »Témoignage de Hermine Rohner, étudiante de 1940 à 1943 :
« Lui ne craignait pas, fût-ce dans ses cours aux étudiants de toutes les facultés (où le nombre des auditeurs était tel qu’on ne pouvait pas compter qu’ils fussent tous “ses” élèves), de critiquer le national-socialisme d’une manière si ouverte et avec le tranchant si caractéristique qu’offre sa manière de choisir en toute concision ses termes, qu’il m’arrivait d’en être effrayée au point de rentrer la tête dans les épaules (…) En tout cas, la manière courageuse dont Heidegger s’est singularisé pendant les dernières années du IIIe Reich doit assurément compter dans la balance, car elle pèse lourd, bien plus lourd que ne peuvent se le représenter des auteurs nés après la guerre55. »Témoignage de Georg Picht :
« Je ne fus pas surpris lorsqu’un jeune homme vint me trouver et me dit : “Ne m’interrogez pas sur mes sources d’information. Vous mettez votre personne en grand danger si on vous voit aussi souvent avec M. le Professeur Heidegger.”56 »https://fr.wikipedia.org/wiki/Heidegger_et_le_nazisme
Bref, on nous gave grave (merci à Alain Rémond pour le jeu de mots)
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