mardi 28 février 2017

LC 20170228 La souffrance ordinaire des étudiants en santé

La souffrance ordinaire des étudiants en santé

Dans un livre, « Omerta à l’hôpital », qui sort ce jeudi 2 mars, plus d’une centaine d’élèves infirmières, aides-soignantes ou d’étudiants en médecine dénoncent les maltraitances vécues durant leur formation.

Les étudiants dans les professions de la santé sont souvent victimes d’importantes pressions et charges de travail.
Les étudiants dans les professions de la santé sont souvent victimes d’importantes pressions et charges de travail. / upixa - Fotolia
Une succession de mots de souffrance et d’humiliations. « Ce n’est pas normal d’en arriver à pleurer systématiquement avant d’aller en stage, de vomir de stress pour une évaluation, de servir de punching-ball à certaines infirmières mal lunées », écrit une étudiante infirmière. « Je ne voulais plus vivre dans ce monde de dingues. Je pleurais tous les jours quasiment. J’ai failli me foutre en l’air en voiture sur l’autoroute plusieurs fois », dit une interne en radiologie. « Les violences en stage, on n’en parle même plus après quelques années. Ça fait partie du tout, du pack études de médecine », témoigne une autre interne.

La chronique d’une souffrance banalisée pour les étudiants en médecine

Ce jeudi sort en librairie le livre (1) d’une généraliste, Valérie Auslender. Avec un titre un peu choc, Omerta à l’hôpital. Attachée à Sciences-Po, l’auteur a lancé en 2015 un appel sur les réseaux sociaux et dans plusieurs médias pour recueillir le témoignage d’étudiants en souffrance. En un an, elle a recueilli 130 récits d’aides-soignantes, d’élèves infirmières, d’étudiants en médecine, de kinés, d’ambulanciers…
La chronique d’une souffrance ordinaire, banalisée, quasi institutionnelle. Et comme reproduite de génération en génération par un système censé enseigner le soin et l’attention à l’autre. « Entendre à tout bout de champ que pour apprendre des choses en médecine, il est normal de se faire maltraiter, ça marque » (…), explique une interne.

« L’hôpital est un lieu étrange »

Il s’agit certes là d’étudiants ayant répondu à une enquête ciblée. Tous les futurs médecins ou infirmières ne subissent pas au quotidien les mêmes violences verbales, sexistes ou psychologiques. Mais on aurait tort de n’y voir que des récits isolés. Début février, un jeune médecin de 30 ans, resté anonyme, a par exemple adressé une lettre ouverte au monde médical, relayée dans les colonnes du Quotidien du médecin. « Réveillez-vous ! Regardez chacun de vos internes dans les yeux et demandez-leur comment ils vont », écrit ce jeune praticien dénonçant un système monarchique où le chef de service, le « patron », est tout-puissant.
En juin dernier, une enquête du conseil de l’Ordre, menée auprès de 8 000 étudiants et jeunes médecins, constatait l’existence d’une souffrance « avérée ». Avec 14 % des étudiants ou jeunes médecins déclarant avoir déjà eu des idées suicidaires. « L’hôpital est un lieu étrange. Emblème du soin, de la relation humaine, de ce qui reste d’humanisme dans notre société, il peut soudain se révéler un lieu de barbarie et de maltraitance. Celles-ci restent cachées aux yeux des observateurs », écrit le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité national d’éthique.

Des étudiants en médecine corvéables

Le docteur Auslender, en effet, a choisi de faire réagir diverses personnalités à ces témoignages. « L’hôpital est une structure pyramidale dans laquelle le poids de la hiérarchie est très grand et qui se réplique dans chaque service. Les étudiants étant tout en bas, ils en subissent particulièrement le poids », constate Emmanuelle Godeau, médecin de santé publique et anthropologue.
Maître de conférences en philosophie de la médecine, Céline Lefève note que la relation pédagogique est vécue au « seul prisme d’une relation hiérarchique, elle-même réduite à une relation de domination ». La détresse des étudiants provient du fait que « tout le monde sait » que leurs formations incluent des violences et que l’organisation hospitalière repose sur leur corvéabilité. « Ils se sentent victimes d’une violence produite par l’institution et connue d’elle, alors qu’ils en attendent légitimement soutien et secours », ajoute-t-elle.

Pierre Bienvault

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