mardi 28 février 2017
LC 20170228 La « techno-science-économie » ne viendra pas à bout de l’homme, par Danielle Moyse
En octobre 2016 paraissait un coffret rassemblant les trois films qui constituent Le Cinéma de Pierre Legendre, réalisés par Gérald Caillat sur un texte du psychanalyste, historien du droit : La Fabrique de l’homme occidental ; L’ENA, miroir d’une nation et Dominium Mundi. L’empire du management.
De quoi s’agit-il ? De décrire la « fabrique » de l’homme occidental, comme il pourrait être question de celle de tout autre homme : irréductible à la seule nécessité biologique, la vie humaine doit être instituée. « Venir au monde, déclare Legendre, ce n’est pas seulement naître à ses parents, mais à l’humanité. » Il faut à l’enfant naître à ce qui le dépasse, et apprendre que tout ne dépend pas de son bon vouloir. D’où l’évocation des diverses institutions (hôpital, école, religion, armée, administration) par lesquelles l’homme advient à son humanité.
Il cherche ainsi à donner sens au « mystère d’être là ». Au début de La Fabrique de l’homme occidental, Legendre fait référence à un tableau de Magritte intitulé La Lunette d’approche : une fenêtre au travers de laquelle on apercevait – ou plutôt croyait apercevoir – le ciel et les nuages, s’ouvre sur le Noir. Derrière les images et les perceptions, l’abîme, suggère le peintre. Car, dès qu’il vient au monde, « l’homme entre dans le monde du pourquoi », remarque Legendre. L’homme invente alors cérémonies et emblèmes qui lui permettent de soutenir l’énigme, d’« habiter l’abîme ».
Pour y parvenir, l’homme occidental a « bâti le monde sur l’idée que l’univers a été fabriqué pour lui, qu’il est lui-même au centre et qu’ainsi il maîtrise le néant, en le remplissant ». La religion a d’abord été le moyen de mettre en œuvre cette affirmation de puissance dont Legendre montre les impressionnantes mises en scène lors d’une cérémonie au Vatican.
Mais aujourd’hui, la science est devenue la nouvelle religion. L’homme « naît et meurt dans un théâtre chirurgical », comme dit Legendre et filme Gérald Caillat, en nous faisant assister par exemple à la mise en couveuse d’un nourrisson et à la gestion impeccable, mais inquiétante, d’une transplantation cardiaque. Ce que Legendre appelle « la techno-science-économie » s’est annexé « La fabrique de l’homme occidental » désormais mondialisé. Cette approche de la vie permet-elle encore d’apprivoiser le mystère de vivre ? De la fabrique de l’homme à sa fabrication, sous l’égide de l’économie mondialisée, qui donne une illusion de puissance illimitée, ne s’est-il pas perdu ? N’a-t-il pas sacrifié la part imaginaire qui donnait forme à ses questions par les mythes ? La science ne peut-elle nous dispenser du grand Pourquoi ?
Précisément pas ! Car telle est la force du cinéma de Pierre Legendre qui montre les menaces que fait peser sur notre être « l’empire du management » et l’irréductibilité des efforts par lesquels nous donnons sens à notre existence. « L’étau de notre finitude », que notre monde aimerait déjouer, ainsi que le montre spectaculairement l’entreprise de cryogénisation des corps des humains qui se voudraient immortels (!), « enserre aussi l’empire de l’efficacité ».
Quelque chose d’irréductible en l’homme résiste au démembrement de l’homme !
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