Charles
Maurras (1868 - 1952)
La grande solitude de l'Action française
Charles Maurras, poète et écrivain
originaire de Martigues devenu sourd pendant l'adolescence, fut tout au long de
sa vie le maître à penser de L'Action française. Il transforma
cette revue née de l'Affaire Dreyfus en un quotidien
de grande audience couplé à un mouvement politique de masse.
Nationalistes par-dessus tout, le
mouvement Action française et son chef se convertirent au
monarchisme et même à un catholicisme sans foi par une argumentation spécieuse
qui faisait de la tradition le meilleur rempart de la France contre
l'adversité.
Action française annonce
les partis totalitaires de
l'entre-deux-guerres sur le plan idéologique mais aussi en pratique avec
les Camelots du Roi, une force paramilitaire qui défend ses idées à
coup de gourdin...
André
Larané
« Il faut que revienne le roi »
Charles Maurras, poète et écrivain né
à Martigues, près de Marseille, connaît dans sa petite enfance « de
beaux jours filés d’or ». Mais la mort de son père et les premiers
symptômes de la surdité vont assombrir son caractère, l'obliger à renoncer à sa
vocation de marin et contribuer à lui faire perdre la foi.
Élève brillant et prometteur, il doit
renoncer à des études longues en raison de son handicap et s'engage par défaut
dans le journalisme. Il s'impose très vite comme un critique brillant et noue
des liens amicaux avec Maurice Barrès et son aîné Anatole France avant de
se tourner vers la littérature de langue provençale et le Félibrige,
un mouvement régionaliste fondé par Frédéric Mistral en 1854.
Reporter aux premiers Jeux
Olympiques, à Athènes en 1896, il croit percevoir l'abaissement de la
France et commence à songer à la monarchie comme à une solution pour restaurer
la grandeur de la nation : « il nous fallait enfin rétablir
ce régime si nous ne voulions être les derniers des Français. Pour que vécût la
France, il fallait que revînt le roi. »
L'Affaire Dreyfus le décide à
franchir le pas. Il entre résolument en politique dans le camp antidreyfusard,
au côté d'Action française. À peine âgé de
trente ans, il publie de virulents articles dans lesquels il appelle à la « lutte
contre les quatre États confédérés qui menaçaient la France : juif, protestant,
métèque et franc-maçon ».
Puis il publie en 1901 L'Enquête
sur la monarchie afin de convertir ses amis d'Action
française au « nationalisme intégral ».
L'ouvrage est un plaidoyer raisonné en faveur de la monarchie, perçue comme le
seul régime apte à restaurer la grandeur de la France. Il débute par cette
interpellation vigoureuse : « Oui ou non, l’institution d’une
monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée
est-elle de salut public ? »
Charles Maurras en vient aussi à
associer le catholicisme à la monarchie et à la tradition. Il se présente
lui-même comme un catholique de raison, ce qui lui vaut de nouer des liens avec
des écrivains authentiquement catholiques comme Georges Bernanos.
Par son talent de polémiste et
d'écrivain, il transforme peu à peu Action française en
un mouvement politique de masse et sa revue en un quotidien de grande
diffusion. Il est rejoint à la rédaction par un
autre journaliste talentueux, Léon Daudet, fils de l'auteur des Lettres
de mon moulin, et l'historien Jacques Bainville.
En 1908, il rassemble des étudiants
dans une organisation dont la première mission est de vendre à la criée L'Action
française. Ces Camelots du Roi ne vont pas en
rester là. Ils vont multiplier les manifestations et les chahuts pour faire
entendre leurs idées et en venir à des bagarres avec leurs contradicteurs. Ils
s'illustreront en particulier en 1936 lors des funérailles de Jacques Bainville
en passant à tabacLéon Blum, malencontreusement égaré dans le cortège.
Quand éclate la Première Guerre
mondiale en 1914, Maurras s'engage dans l'Union sacrée, sa haine de
l'Allemagne étant plus grande que sa haine de la République. Après la guerre,
d'ailleurs, il va dénoncer la mollesse du traité de Versailles et réclamer le
démembrement de l'Allemagne, avec la caution de Jacques Bainville, historien
visionnaire auteur des Conséquences politiques de la paix (1920).
Toutefois le Saint Siège, qui s'est
raccommodé avec la République française, commence à s'inquiéter de l'influence
du païen Maurras sur les intellectuels catholiques. Beaucoup de catholiques
sont alors confrontés à un cruel dilemme comme le montre ci-après cet article de La Croix (5
octobre 1926) :
Le pape Pie XI clôt le débat par son
allocution du 20 décembre 1926 qui met de nombreux ouvrages de Maurras à l'Index et
interdit aussi la lecture de L'Action françaiseaux catholiques.
Tandis que Bernanos s'éloigne de lui,
Maurras est rejoint par de nouveaux intellectuels antisémites, irréligieux et
hostiles à la République : Brasillach, Rebatet... Ils attendent de lui qu'il
s'empare du pouvoir comme Mussolini et quelques autres. Mais ses
tergiversations lors des émeutes du 6 février 1934 vont les
détourner à leur tour d'Action française.
Malgré son isolement et ses
ambiguïtés, Maurras conserve une grande influence intellectuelle qui lui vaut
d'être élu en 1938 à l'Académie française. Convaincu de l'impréparation
militaire de la France, il approuve les accords de Munich puis, après la
débâcle de 1940, salue l'arrivée du maréchal Pétain à la tête de l'État
français comme une « divine surprise ». Il est vrai que
Pétain va tenter de réformer la France selon les principes maurrassiens, en
oubliant la présence de l'occupant allemand.
Charles Maurras lui-même continue de
publier son journal à Lyon jusqu'en 1944, sans cesser de hurler sa haine de
l'Allemagne ! À la Libération, il est condamné à la réclusion criminelle à
perpétuité. L'Académie française, sommée de l'expulser de ses rangs,
s'abstiendra de lui donner un remplaçant jusqu'à sa mort, en 1952, lors d'une
libération pour raison de santé.
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