La papauté des origines à l'An Mil
L'évêque de Rome devient le chef de l'Église
On aurait sans doute étonné les premiers chrétiens comme les
officiels romains qui les persécutèrent en tant qu’adeptes d’une
religion déraisonnable et hostile si on leur avait dit qu’un jour le
christianisme serait le marqueur de la romanité !
En effet, en faisant de l'évêque de Rome le chef de l'Église
universelle, la chrétienté occidentale a fini par s'identifier à
l’universalisme romain. Mais ce fut une transition chaotique et
douloureuse, à peine achevée à l'orée de l'An Mil.
Thomas Tanase
Saint Pierre, premier évêque de Rome
La communauté chrétienne de Rome revendique sa filiation avec les
apôtres Pierre et Paul, mis à mort dans la Ville éternelle vers l’an
67, sous le règne de
Néron. La
prédication chrétienne
avait touché l’importante communauté juive de la capitale dès les
années 40 si l’on en croit l'historien Suétone. Celui-ci évoque en effet
l'expulsion par l’empereur Claude
« des Juifs qui fomentaient des troubles à l’instigation de Chrestus ».
À la fin du Ier siècle, l'évêque Clément, qui a connu Pierre,
donne le martyre des deux apôtres en modèle dans une lettre destinée à
la communauté de Corinthe. À Rome comme dans les autres cités
d'Occident, les communautés chrétiennes tirent en effet leur force de
leur
« apostolicité ». C'est le fait d'avoir été fondées par un des apôtres ou l'un de leurs disciples.

Toutes ces communautés s’organisent autour d’un
« superviseur » (
episcopos en grec, d’où le terme français d’
« évêque »).
L'évêque de Lyon saint Irénée dresse vers l’an 189 une liste des
premiers successeurs de saint Pierre et saint Paul à la tête de Rome :
Lin, Anaclet, Clément.
Plus tard, au VIe siècle, les notices biographiques compilées dans le
Liber Pontificalis fixent
la liste devenue canonique à partir du seul saint Pierre considéré
comme le premier évêque de Rome (tandis que saint Paul est laissé de
côté).
La tombe de saint Pierre

Les recherches archéologiques menées sous la
basilique Saint-Pierre
au cours des années 1950 ont mis à jour une nécropole à proximité de
l’ancien cirque de Caligula où, selon la tradition, l’apôtre a été
crucifié.
C'est là que se trouvait l’obélisque qui trône aujourd’hui au milieu de la place Saint-Pierre.
Des inscriptions prouvent que déjà au deuxième siècle, les
croyants venaient vénérer l’apôtre en ce lieu, au-dessus duquel trône
aujourd’hui le baldaquin de bronze conçu par le Bernin. Le pape Paul VI
n'hésita pas en 1968 à déclarer qu'il s'agissait bien du
lieu d'inhumation de saint Pierre.
La conversion de Constantin, une divine surprise
Venant juste après les persécutions de chrétiens par
Dioclétien, la
conversion de Constantin au début du IVe siècle est une surprise de l’Histoire.
À Rome, où l'empereur ne réside plus, l’évêque devient le nouveau
personnage central de la ville. Comme tous les évêques, il est désigné
par l'assemblée des fidèles et se fait appeler avec déférence
pape (du grec
pappas,
« père »).
Saint-Jean de Latran et le palais attenant, première construction
monumentale chrétienne dans Rome, sont édifiés sur un terrain impérial
afin de servir d’église cathédrale.

À
l’autre bout de l’agglomération, Constantin lance la construction d’une
basilique sur le tombeau de saint Pierre, sur la colline du
Vatican. Une autre basilique est construite sur la route d’Ostie, sur le
lieu de sépulture de saint Paul.
Les catacombes, aux portes de la cité, sont aménagées pour commémorer les martyrs romains.
Le prestige de l’évêque de Rome se fait sentir en Italie, voire
même parfois en Gaule ou dans la province romaine d’Afrique (la Tunisie
d’aujourd’hui). Il occupe dans l'Église primitive la même place
d'honneur que les quatre autres patriarches : Antioche, Alexandrie,
Constantinople et Jérusalem.
Néanmoins, son rôle est limité. C'est que le centre de gravité du
christianisme demeure en Orient : c’est là que se trouvent les
provinces les plus riches et l'on ne saurait oublier que le grec est la
langue de rédaction des
Évangiles.
Un signe ne trompe pas : en 324, la
fondation de la deuxième Rome sur les rives du Bosphore, appelée à devenir capitale chrétienne de l'empire.
Les théologiens se déchirent sur le dogme
L’unité doctrinale est garantie par les assemblées d'évêques et
surtout l’empereur. Justement, Constantin réunit en 325 un premier
concile oecuménique à Nicée en vue de définir une profession de foi commune aux chrétiens, le
Credo (
« Je crois en Dieu... »).

Les
théologiens commencent malgré cela à se diviser entre des écoles de
cultures différentes, syrienne (autour d’Antioche), égyptienne (autour
d’Alexandrie) ou gréco-impériale.
Toutes ces querelles sont ressenties à Rome comme de dangereuses
subtilités orientales et l'évêque de Rome commence à faire entendre sa
différence. Dès lors, d'un concile au suivant, il va s'aligner sur la
voie majoritaire, choisissant en toute occasion de s’en tenir à la
tradition
catholique ou
« universelle » (en grec) dont Rome est la dépositaire.
Ce point de vue convient à l'empereur qui règne à Constantinople,
toujours soucieux d'affirmer son autorité dans les différents conciles.
De saint Léon à saint Grégoire, la papauté affirme son autonomie
Un tournant a lieu en 451 avec le
concile de Chalcédoine. En se fondant sur une lettre du pape
Léon 1er (440-461),
reconnu comme le gardien de la tradition apostolique, il fixe de
manière définitive le dogme de la double nature du Christ, humaine et
divine, ainsi que le dogme de la Sainte Trinité.
Mais tandis que débattent les évêques à Chalcédoine, la
décomposition de la partie occidentale de l’empire s'accélère. Rome est
pillée par les
Goths en 410, les Francs s’installent en Gaule et les Huns menacent l’Italie. Le pape Léon 1er convainc en 452
Attila
de renoncer à entrer dans la Ville éternelle. Ainsi la papauté se
substitue-t-elle au pouvoir politique défaillant, tandis que ses bureaux
reprennent les usages impériaux et leur centralisme juridique.
Fort opportunément, entre le IVe et le Ve siècle, la figure de saint Pierre, désormais qualifié de
« prince (princeps) des apôtres », fait passer au second rang celle de saint Paul en vertu du fameux texte de l’Évangile selon
Matthieu :
« Tu es Pierre, et sur cette pierre je fondrai mon église ».

En
conséquence de quoi le pape saint Léon le Grand revendique la vocation
de sa ville à devenir le centre de la chrétienté. On commence à parler
de Rome comme d'une ville à part : le
« Siège apostolique ».
Le pape lui-même, qui s'affirme comme le grand pape du Ve siècle
(il est le seul avec Grégoire 1er et Nicolas 1er à porter le
qualificatif de
Grand), se présente comme le vicaire de saint Pierre. Il est le premier à se faire inhumer au Vatican, auprès de l'apôtre.
Un peu plus tard, en 494, dans une lettre à l’empereur Anastase
qui fera date, le pape Gélase (492-496) établit la distinction entre
l'Église représentée par le pontife et l'empereur.

Dans
son esprit, il ne s’agit que de souligner la nécessité pour les deux
pouvoirs de travailler en bonne harmonie. Mais plus tard, à partir du
XIe siècle et de la
réforme grégorienne,
cette division entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel sera aussi
utilisée pour affirmer la primauté de l’autorité des papes sur le
pouvoir des souverains.
En attendant, la première moitié du VIe siècle voit la reconquête de l’Italie par
Justinien. Mais les troupes de l'empereur ne s'y attardent pas.
C’est dans ce contexte trouble que se déploie l'action du pape
Grégoire le Grand (590-604).
Animé par une dévotion intense, il signe ses lettres d’une formule qui deviendra rituelle :
Servus servorum dei (
« serviteur des serviteurs de Dieu »).
Premier pape évangélisateur, il encourage aussi la prédication
dans les confins barbares. Dans les instructions qu'il donne aux
missionnaires, il insiste sur la nécessité de respecter les coutumes
locales et de faire confiance au temps pour amener les païens au
christianisme :
« Après tout, quand on veut arriver au sommet d'une montagne, on monte pas à pas, on ne s'élève pas par bond »
Ainsi envoie-t-il en 594 un bénédictin de Rome,
Augustin, auprès des Saxons de l’ancienne
Britannia où
il fonde l’évêché de Canterbury. Sur le continent même, les moines
irlandais se montrent particulièrement actifs. Le plus célèbre d’entre
eux,
saint Colomban, arrive jusqu’à Bobbio, en Italie du nord.
Grégoire et Colomban ont un point commun : ils emploient tous les deux le mot
« Europe »
pour désigner ce nouveau monde chrétien en train de naître au nord du
continent, aux marges de ce qui avait été l’empire romain ; un
monde construit autour de l’Église, dépositaire de la culture antique et
connecté à Rome.
La papauté et l'invention de l’Europe
Le VIIe siècle voit la désunion du monde méditerranéen avec la
naissance de l’islam. Les troupes musulmanes arrivent devant Constantinople. À l’ouest, elles font la conquête de l'Afrique du nord puis
débarquent en Espagne avant de se heurter à Poitiers à
Charles Martel en 732.
Charles Martel est le maire du palais d'un lointain descendant de Clovis. C'est l'homme fort du
Regnum francorum, le
« Royaume des Francs »
établi sur les ruines de l'empire romain d'Occident, de part et d'autre
du Rhin et de la Meuse. Lorsqu’en 751, son fils et successeur
Pépin le Bref veut prendre le titre royal en lieu et place du roi mérovingien de la dynastie de Clovis, il sollicite l'avis du pape Zacharie.

Celui-ci,
confronté à la menace des redoutables Lombards, ne peut plus compter
sur la protection de l'empereur de Constantinople, lequel a d'autres
soucis avec les Bulgares et les Arabes. L’empereur a, qui plus est,
décidé d’interdire les images religieuses. Or, le pape condamne
formellement l’
iconoclasme byzantin.
Soucieux d'entrer dans les bonnes grâces des
Pippinides, la famille de Charles Martel et Pépin, Zacharie donne son assentiment au changement de dynastie :
« Il vaut mieux appeler roi celui qui a plutôt que celui qui n'a pas le pouvoir », dit-il en substance. En 754, son successeur le pape Étienne II (752-757) passe les Alpes et procède à Saint-Denis au
sacre de Pépin et de ses fils, Carloman et Charles, futur
Charlemagne.
En retour, Pépin descend avec ses guerriers dans la péninsule italienne pour soumettre les Lombards.
Mieux encore, il fait don au pape de l’Italie centrale,
c’est-à-dire pour l’essentiel l’ancien domaine byzantin dont s’étaient
emparés les Lombards. Le pape devient ainsi le maître d’une véritable
principauté, le
« patrimoine de Saint Pierre » : c’est la
naissance des États pontificaux. Ils vont plus ou moins garantir
jusqu'en 1870 l'indépendance du souverain pontife à l'égard des autres
souverains.

Devenu à son tour
seul roi des Francs en 771, le futur Charlemagne poursuit avec plus d'ampleur la politique de son père et de son grand-père.
Il ceint la couronne des rois lombards. Il convertit de force les Saxons. Il commence aussi à regarder vers les terres slaves.
Il compte sur l’Église pour structurer ce qui va devenir son
empire : c’est autour des grandes abbayes carolingiennes que se fait le
décollage culturel du monde franc.
Charles se veut le restaurateur d’une société chrétienne idéale,
unie par l’Église et placée sous le commandement du roi des Francs,
nouveau David.
Lorsque les Byzantins réunissent un nouveau concile à Nicée en
787 pour condamner l’iconoclasme, ils en transmettent les actes à Rome.
Les représentants de l'Église franque, réunis à Francfort en 794
autour de Charles, prennent aussi connaissance de ces actes mais sur la
base d’une traduction latine erronée. Sur ce malentendu, ils condamnent
les conclusions du concile de Nicée.
Un deuxième malentendu va survenir à propos de la formule du
filioque employée dans le
Credo :
« Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils » ! Contre l'avis des Orientaux, Charles en impose l'usage lors d'un concile tenu à Aix-la-Chapelle en 809.
Quel protecteur pour le pape ?
Le siège apostolique de Rome ne veut pas rompre avec Byzance pour
si peu. Il valide donc les conclusions du concile de Nicée. Et malgré
les pressions de Charlemagne, le pape Léon III (795-816) refuse
également d’adopter le
filioque et de valider les décisions de l’Église franque.
Léon III, d’origine modeste, voit son autorité contestée par les
grandes familles romaines. C'est au demeurant un homme de mœurs
discutables et ses adversaires y voient un motif de le renverser en 799.
Léon III réussit à s’enfuir auprès du roi des Francs.
En 800, celui-ci franchit les Alpes, arrive à Rome et rétablit le
pape dans ses droits. En retour, le jour de Noël, alors que Charles se
rend dans la basilique Saint-Pierre, le pape le couronne et lui confère
le titre inédit d'
« Empereur des Romains ».
Ainsi le roi des Francs entre-t-il en concurrence avec l'autre
empereur, celui de Constantinople, qui est alors... une femme, Irène.
Charlemagne devient le partenaire privilégié du pape.
« Pendant que l'empereur combat, le pape élève les mains vers le ciel »,
écrit-il dans une lettre. Notons cependant que Léon III a couronné
Charles avant de le faire acclamer par les siens, signifiant par là que
c’est le pape qui fait l'empereur, le peuple ne faisant que suivre.
Après la
mort de Charlemagne
en 814, sa dynastie et son empire se décomposent très vite. Rome
elle-même se voit à nouveau menacée. En 846, des pirates musulmans venus
de Sicile remontent le Tibre et mettent à sac la basilique
Saint-Pierre. En réponse, le pape Léon IV (847-855) fait construire des
murailles autour de sa résidence du Vatican, formant ce qu'il est
convenu d'appeler aujourd'hui la
« cité léonine ».
Vraies et fausses décrétales : sacrées histoires !
En dépit de ces épreuves, l’idée d’une primauté pontificale n’est
pas oubliée. Des clercs rédigent vers 850 une importante collection de
décrétales fausses ou réécrites. Passées à l’histoire sous le nom de
Décrétales pseudo-Isidoriennes, elles exaltent la primauté de l'évêque de Rome sur l'Église universelle.
C’est dans ces
Décrétales qu’apparaît pour la première fois un des
« faux » les plus célèbres de l’Histoire : la
Donation de Constantin. Le document reprend une légende élaborée au Ve siècle autour de la figure de Constantin.
L’empereur romain, malade de la lèpre, aurait finalement été
guéri par le baptême que lui aurait administré le pape Sylvestre. Pour
manifester sa reconnaissance, il serait allé à la rencontre du pape et,
humblement, aurait guidé son cheval par les rênes. Puis il aurait décidé
de partir en Orient, en abandonnant au pape le pouvoir impérial pour la
partie occidentale de l’empire, non sans oublier d’affirmer la primauté
du pontife romain sur les Églises d’Orient.
Peut-être ce document a-t-il été composé à Rome un siècle plus
tôt, à l’époque d’Étienne II et de Pépin. Toujours est-il que c’est à
partir de l’œuvre des faussaires francs que la
Donation commence à circuler. Elle est explicitement citée pour la première fois en 979 dans un acte pontifical.
Le pape Nicolas 1er (858-867) se sert de ces
Fausses Décrétales dès 864 pour intervenir dans le mariage du roi Lothaire II et faire sentir son autorité aux grands prélats francs.
Plus encore, il brave le
basileus qui règne à
Constantinople. En effet, un coup de force de sa part avait amené sur le
trône patriarcal de la capitale byzantine un grand lettré, Photios,
avec l’accord des légats romains.
Mais Nicolas 1er désavoue ces derniers, refuse de reconnaître
Photios et informe les Grecs qu’il a le droit de destituer les clercs de
quelque diocèse que ce soit, y compris Constantinople ! Il entre
également en rapport avec les Bulgares, à l’époque de dangereux voisins
pour les Byzantins.
Constantinople répond en excommuniant le pape en 867 et ne se
prive pas de critiquer les usages occidentaux à commencer par l’ajout
unilatéral du
filioque. Comme Photios est destitué à son tour, avant de redevenir patriarche après la mort de son rival, le
« schisme photien » se résorbe rapidement ; il n’en a pas moins valeur de signal.
Rome et Constantinople en concurrence auprès des Slaves
Au Xe siècle, sous la pression des Byzantins et des Francs, l'Europe orientale est à son tour gagnée par le christianisme.

La Moravie, un royaume slave d'Europe centrale, demande des missionnaires au patriarche Photios. Il leur envoie les deux frères
Cyrille et Méthode qui vont mettre au point l’alphabet dit
cyrillique en vue de faciliter la prédication dans les langues slaves.
Malgré ou à cause de leur zèle, ils sont expulsés de Moravie et
doivent chercher refuge à Rome, où Cyrille meurt en 869. Son
frère obtient le soutien du pape Adrien II (867-872). Il est cependant
emprisonné dès son retour en Moravie. Après sa mort, ses disciples sont
expulsés par le parti franc, avec l’aval du pape Étienne V (885-891).
Ils se replient vers la Bulgarie, déjà convertie au christianisme grec.
Ainsi, malgré leurs interventions, les papes n’ont guère
d'influence dans la conversion de ces peuples qui passent sous
l'influence de Constantinople et de son patriarche (à part les Polonais
et les Hongrois).
Scandales en série au palais du Latran
Si le IXe siècle n'a pas profité à la papauté, c'est bien pire
avec le siècle suivant. À cela une raison : avec la décrépitude des rois
carolingiens, les papes se voient privés de leur protecteur naturel. Le
trône de Saint Pierre devient ainsi le jouet des grandes familles
romaines qui manipulent à leur aise l'assemblée des fidèles en charge de
l'élection de leur évêque. Elles font élire des papes insignifiants
et/ou indignes.
Ainsi, en janvier 897, un certain Étienne VI fait-il exhumer et
juger (!) la dépouille d'un prédécesseur, Formose, qui l'avait offensé
de son vivant. Après ce
« concile cadavérique », la dépouille est jetée dans le Tibre.

Serge III (904-911) fait la fortune du clan de
Tusculum, représenté par le comte Théopylacte et son épouse Théodora. Ses opposants l'accusent d’être l’amant de leur fille Marousie.
Pour autant que l’on puisse en juger avec des sources très
médisantes comme la chronique de Liutprand de Crémone, Jean X (914-928)
est à son tour accusé d’être devenu pape pour avoir été l’amant de
Théodora. Il finit en tout cas assassiné par sa fille Marousie.
Le pape Jean XI (931-936) est lui-même le fils de Marousie et, d’après les racontars de l’époque, de Serge III.
Un autre fils de Marousie, Albéric, devient faiseur de papes
après avoir fait enfermer sa mère et son frère Jean XI. Il finit par
faire désigner un de ses fils illégitimes, Octavien (18 ans). Celui-ci,
une fois pape, décide pour la première fois de changer de nom : il se
fait appeler Jean XII (955-963).
Jouisseur invétéré, Jean XII prend le parti du roi de Germanie
Otton contre le roi d'Italie Bérenger II. Il lui confère en 962 le titre
d'
empereur d'Occident pour le remercier de l'avoir secouru. Ainsi renaît le titre impérial laissé en jachère par les descendants de Charlemagne.
Mais à peine Otton 1er a-t-il le dos tourné que Jean XII se
rallie à son ancien ennemi ! L'empereur est obligé de revenir sur ses
pas. Le 6 novembre 963, il fait déposer le pape pour immoralité et le
remplace par Léon VIII.
Les Romains, qui ne veulent rien devoir au nouvel empereur,
rappellent Jean XII. Celui-ci châtie avec férocité ceux qui l'ont trahi
mais il meurt l'année suivante. Les rumeurs parleront de mari jaloux qui
l’aurait assassiné ou de crise d’apoplexie en plein adultère ! Les
Romains élisent à sa place Benoît V. Mais Otton sévit une nouvelle fois
et châtie les partisans de Benoît.
L'empereur et ses successeurs ne vont dès lors cesser
d'intervenir dans les affaires italiennes, en s'autorisant un droit
d'intervention sur les élections pontificales, en concurrence avec les
grandes familles romaines.
Bien sûr, ces scandales ont fait les délices des historiens allemands du XIXe siècle qui ont parlé de
« pornocratie »,
en écho à la légende noire de l’âge féodal, décrit de manière excessive
comme une période de barbarie absolue et de superstition.
L'histoire de Théodora et Marousie a pu aussi donner naissance à la légende de la
« papesse Jeanne »,
une moniale qui aurait réussi à se faire élire en cachant son sexe et
aurait même accouché pendant une procession. Cette légende en a inspiré
une autre selon laquelle le sexe de tout nouveau pape aurait été dès
lors vérifié par palpation sur une chaise percée.
Le salut va venir du clergé régulier, celui qui vit selon une
règle monastique.
L’avènement d’une papauté féodale

À l'orée de l'An Mil, en Occident, le pouvoir se fractionne en une multitude seigneuries liées les une aux autres par les
allégeances féodales.
Le pouvoir d'une famille passe bien des fois par le contrôle d’une
église ou d’un monastère. Aussi les abbés et les évêques sont-ils bien
souvent issus de la noblesse et mènent une vie peu dévote et nourrie
d’intrigues politiques.
Cependant, les ferments de renouveau s'affirment avec l'
abbaye de Cluny.
Fondée en 910 et ne relevant que de l'autorité pontificale, elle porte
l’idée d’une Église dégagée des intrigues seigneuriales.
Et surtout, alors que plus aucun pouvoir temporel n’est en mesure d’unir l’Occident, un nouveau mot désigne ce qui l'unit :
« chrétienté ».
Le jeune empereur allemand
Otton III, au tournant du millénaire, rêve de l'associer à l’universalisme romain.

Il
impose sur le trône de saint Pierre son précepteur Gerbert d’Aurillac,
qui devient pape sous le nom de Sylvestre II (999-1003). Tout un
programme.
Ensemble, Otton et Sylvestre rejouent pour l’
An Mil la geste de l’empereur Constantin et de Sylvestre Ier.
Mais en 1001, à Rome, une émeute chasse l'empereur, qui meurt dans la foulée. C'en est fini du rêve d'unité impériale.
Bibliographie
Ph. Levillain (dir.),
Dictionnaire historique de la papauté, Paris, 2003,
Y.-M. Hilaire (dir.),
Histoire de la papauté. 2000 ans de tribulations, Paris, 2003,
J. Chélini,
Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Paris, 1991,
Y. Sassier,
Royauté et idéologie au Moyen Âge : Bas-Empire, monde franc, France (IVe-XIIe siècle), Paris, 2012.
L'auteur : Thomas Tanase

Thomas Tanase, diplômé de l’Institut d’Études politiques de Paris, est docteur et professeur agrégé d’histoire.
Ancien membre de l’École française de Rome, il a également travaillé à
l'IFEA (Institut français d'études anatoliennes). Il est l'auteur de
travaux sur la papauté et l'Asie, ainsi que d’une biographie de Marco
Polo (Ellipses, 2016).