mardi 4 novembre 2014

Scientifique ou communicant ?

Quand le ridicule menace le scientifique
Par Nicolas Nicolino
À trop vouloir prouver, on ne montre jamais que ce que l’on veut prouver. Cette tautologie vient de trouver une illustration éclatante à propos d’une maladie épouvantable, le choléra. Et de deux articles signés du journaliste scientifique Stéphane Foucart dans le journal Le Monde (13 puis 20 octobre 2014).

Comme il ne s’agit pas d’éreinter qui que ce soit, on ne citera pas de nom, en préférant se concentrer sur la signification de ces histoires. Commençons par les faits, que personne ne discute : en 2010, une épidémie de choléra frappe l’île martyre de Haïti. Elle a été « importée » sur place par un contingent népalais venu aider le pays après le terrible tremblement de terre. Que faire ? D’évidence, il faut utiliser des produits à base de chlore, dont de l’eau de Javel, car ils permettent de terrasser le vibrion cholérique qui véhicule la maladie. Mais va-t-on le faire ? Selon un certain nombre d’autorités françaises – pour l’essentiel des scientifiques – interrogées par Foucart, non. Certains, jusqu’au sein de la glorieuse Académie des sciences, affirment que l’usage de produits chlorés aurait été rendu impossible à la suite de pressions « écolo-précautionnistes ». Le chlore représentant certains dangers avérés pour la santé, « on » aurait empêché son usage. Certain esprit écologiste, allié à ce fameux principe de précaution vigoureusement défendu par l’ancien président Jacques Chirac en 2005, aurait provoqué une catastrophe humanitaire. Et si ce mot s’impose, c’est que, selon les mêmes, au moins 5 000 morts du choléra auraient pu être évités en Haïti si les écologistes n’avaient encore frappé. Au reste, racontent-ils à Foucart, un article de la fameuse revue Science l’atteste. Ce serait insupportable, mais c’est faux. Les sources évoquées par les défenseurs de ce qu’il faut dès lors appeler une thèse se révèlent évanescentes, l’article de Science est introuvable, et les autorités sanitaires ont utilisé du chlore dès que la présence du choléra a été attestée.

Fin de l’épisode. De l’épisode seulement, car un autre se profile. La sommité mise en cause la première fois se défend, ce qui est bien le moins. Et prétend que « l’afaire du choléra » en Haïti a un précédent. Au Pérou, en 1991, les autorités du pays auraient, elles aussi, refusé de combattre une grave épidémie de choléra avec du chlore, condamnant à mort une partie des malades. Les preuves ? Un article d’un quotidien américain – he Washington Times –, ainsi qu’un papier paru dans la revue Nature. L’agence fédérale américaine de protection de l’environnement – l’EPA –, tenue par certains pour « écolo », aurait trouvé le moyen de convaincre le gouvernement péruvien de ne pas faire usage de chlore. Mais là encore, tout est faux. Le Pérou a utilisé des produits chlorés. L’article de Nature, qui n’est pas scientifique, a été écrit par un journaliste qui demeure très vague sur ses sources, et ne cite qu’un témoin direct des faits supposés : Fred Reiff. Or ce dernier est aussi celui qui signe l’article du Washington Times. Se présentant comme retraité d’une branche de l’OMS, il a plus discrètement été le consultant du Chlorine Chemistry Council, le syndicat du chlore américain.


Morale de l’affaire ? Elle est assez limpide. Un scientifique, quelle que soit l’excellence de sa réputation, reste un homme, soumis à la passion, éventuellement manipulable, capable de laisser sa raison critique au vestiaire avant d’endosser sa tunique de combat. L’un des soubassements majeurs de la rumeur est précisément l’envie – le besoin ? – de croire vrai ce que l’on entend. Il est toujours délicat – et souvent dangereux – pour un scientifique de sortir de son champ de compétence. Car, hors du laboratoire où il règne, le ridicule le menace autant que chacun d’entre nous.

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Voilà ce qui arrive quand on veut faire coucou dans le poste (ou occuper la chaire de vérité, ce qui revient maintenant au même). A chacun son métier.

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