Quand le
ridicule menace le scientifique
Par Nicolas Nicolino
À trop vouloir prouver, on ne montre jamais que ce
que l’on veut prouver. Cette tautologie vient de trouver une illustration
éclatante à propos d’une maladie épouvantable, le choléra. Et de deux articles
signés du journaliste scientifique Stéphane Foucart dans le journal Le Monde
(13 puis 20 octobre 2014).
Comme il ne s’agit pas d’éreinter qui
que ce soit, on ne citera pas de nom, en préférant se concentrer sur la
signification de ces histoires. Commençons par les faits, que personne ne
discute : en 2010, une épidémie de choléra frappe l’île martyre de Haïti. Elle
a été « importée » sur place par un contingent népalais venu aider le
pays après le terrible tremblement de terre. Que faire ? D’évidence, il faut
utiliser des produits à base de chlore, dont de l’eau de Javel, car ils
permettent de terrasser le vibrion cholérique qui véhicule la maladie. Mais
va-t-on le faire ? Selon un certain nombre d’autorités françaises – pour
l’essentiel des scientifiques – interrogées par Foucart, non. Certains,
jusqu’au sein de la glorieuse Académie des sciences, affirment que l’usage de
produits chlorés aurait été rendu impossible à la suite de pressions «
écolo-précautionnistes ». Le chlore représentant certains dangers avérés
pour la santé, « on » aurait empêché son usage. Certain esprit
écologiste, allié à ce fameux principe de précaution vigoureusement défendu par
l’ancien président Jacques Chirac en 2005, aurait provoqué une catastrophe
humanitaire. Et si ce mot s’impose, c’est que, selon les mêmes, au moins 5 000
morts du choléra auraient pu être évités en Haïti si les écologistes n’avaient
encore frappé. Au reste, racontent-ils à Foucart, un article de la fameuse
revue Science l’atteste. Ce serait insupportable, mais c’est faux. Les
sources évoquées par les défenseurs de ce qu’il faut dès lors appeler une thèse
se révèlent évanescentes, l’article de Science est introuvable, et les
autorités sanitaires ont utilisé du chlore dès que la présence du choléra a été
attestée.
Fin de l’épisode. De l’épisode
seulement, car un autre se profile. La sommité mise en cause la première fois
se défend, ce qui est bien le moins. Et prétend que « l’afaire du choléra » en
Haïti a un précédent. Au Pérou, en 1991, les autorités du pays auraient, elles
aussi, refusé de combattre une grave épidémie de choléra avec du chlore,
condamnant à mort une partie des malades. Les preuves ? Un article d’un
quotidien américain – he Washington Times –, ainsi qu’un papier paru
dans la revue Nature. L’agence fédérale américaine de protection de
l’environnement – l’EPA –, tenue par certains pour « écolo », aurait trouvé le
moyen de convaincre le gouvernement péruvien de ne pas faire usage de chlore.
Mais là encore, tout est faux. Le Pérou a utilisé des produits chlorés.
L’article de Nature, qui n’est pas scientifique, a été écrit par un
journaliste qui demeure très vague sur ses sources, et ne cite qu’un témoin
direct des faits supposés : Fred Reiff. Or ce dernier est aussi celui qui signe
l’article du Washington Times. Se présentant comme retraité d’une
branche de l’OMS, il a plus discrètement été le consultant du Chlorine
Chemistry Council, le syndicat du chlore américain.
Morale de l’affaire ? Elle est assez
limpide. Un scientifique, quelle que soit l’excellence de sa réputation, reste
un homme, soumis à la passion, éventuellement manipulable, capable de laisser
sa raison critique au vestiaire avant d’endosser sa tunique de combat. L’un des
soubassements majeurs de la rumeur est précisément l’envie – le besoin ? – de
croire vrai ce que l’on entend. Il est toujours délicat – et souvent dangereux
– pour un scientifique de sortir de son champ de compétence. Car, hors du
laboratoire où il règne, le ridicule le menace autant que chacun d’entre nous.
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Voilà ce qui arrive quand on veut faire coucou dans le poste (ou occuper la chaire de vérité, ce qui revient maintenant au même). A chacun son métier.
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