1er décembre 1934
Assassinat de Kirov et purges staliniennes
Le 1er
octobre 1934, Sergheï Kostrikov, dit Kirov (48 ans), est assassiné dans des
conditions mystérieuses à Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg). L'homme
n'est autre que le secrétaire du Parti communiste pour la région de Leningrad.
C'est aussi un proche de Staline et son dauphin présumé.
Sa mort
va être le prétexte à une sinistre vague d'épuration au sein du Parti
communiste de l'Union Soviétique, connue sous le nom de « procès de
Moscou ». Les accusés de ces trois procès, des bolchéviques de la
vieille garde léniniste, plaideront tous coupables et feront amende honorable.
La plupart seront exécutés.
André
Larané
Un prétexte tout trouvé
Staline,
tout-puissant secrétaire général du Parti communiste, a lancé en 1930 la
collectivisation des terres et des usines. Les Soviétiques ont payé ces
initiatives au prix fort : effroyables famines et déportations massives.
Malgré le
renforcement de son autorité sur le Parti, le dictateur a tout lieu de craindre
que la vieille garde bolchevique ne profite de ses difficultés pour le
renverser.
En 1934,
il donne l'impression d'amorcer une réconciliation avec ses principaux
rivaux : Kamenev, Zinoviev et Boukharine... Ces derniers peuvent
s'exprimer librement au cours du XVIIe Congrès du Parti communiste de l'URSS
(Union des Républiques Socialistes Soviétiques), en 1934.
Las, il
ne s'agit que d'une feinte. Le « Vojd » (Guide,
qualificatif officiel de Staline) n'attend que le moment propice pour éliminer
définitivement ses ennemis avérés ou potentiels, autrement dit tous les vieux
bolcheviques de son entourage...
Ce moment
arrive avec l'assassinat de Kirov, à croire que Staline l'aurait lui-même
commandité ! Dès le soir, le dictateur quitte Moscou pour Leningrad et
gifle publiquement le responsable local de la police politique, le NKVD (ex-Guépéou).
Le même
jour, le Comité central, organe suprême du pouvoir, institue une justice
d'exception sous le prétexte de traquer et punir les criminels (pas de défense,
pas de recours en appel possible et exécution immédiate en cas de
condamnation).
Grandes purges
Les « grandes
purges » commencent dès le 16 janvier 1935, avec l'ouverture du procès
de Kamenev, Zinoviev et 17 autres accusés, sous l'inculpation d'avoir « aménagé
le terrain idéologique » à l'assassinat de Kirov avec la complicité du
traître Trotski, en exil. Il ne s'agit que d'une mise en
bouche : Kamenev et Zinoviev s'en tirent pour l'heure avec seulement dix
ans de prison.
– Le
« procès des Seize » (19-24 août 1936)
Les
choses sérieuses débutent en août 1936, avec la mise en accusation d'un
prétendu « Centre trotskiste-zinovieviste unifié ». Kamenev et
Zinoviev n'échappent pas cette fois à une condamnation à mort (douze ans plus
tôt, après la mort de Lénine, ils avaient constitué une première « troïka »avec
Staline, permettant à ce dernier de s'emparer du parti !).
Ce premier des grands procès de
Moscou se tient, comme les suivants, sous la direction du procureur général
Vychinski, en présence de la presse nationale et internationale.
Il
inaugure un scénario mis au point par le chef du NKVD, Yagoda (ou
Iagoda) : il s'agit que les prévenus collaborent à leur mise à mort en
avouant eux-mêmes les complots fantaisistes dont ils sont accusés et en
dénonçant des comparses ! Ils y sont conduits par un reste de fanatisme
ou, plus prosaïquement, par l'espoir de sauver leurs proches.
Dans le
box des accusés, on mélange des révolutionnaires éminents qui se sont ralliés à
Staline, entourés de communistes moins connus et d'inconnus au passé trouble
qui soutiennent les thèses de l'accusation (complot terroriste, actes de
sabotage, activités d'espionnage, contacts avec le « traître »Trotski...).
Les étrangers
eux-mêmes applaudissent aux sentences iniques et sans preuves. En France, la
Ligue des droits de l'Homme, qui s'était illustrée dans la défense d'Alfred
Dreyfus, n'y voit rien à redire dès lors que les accusés se reconnaissent
publiquement coupables !
Yagoda,
malgré sa diligence, est congédié à l'automne et remplacé à la tête du NKVD par
un jeune loup, Nikolaï Ejov (ou Yéjov)
– Le
« procès des Dix-huit » (23-30 janvier 1937)
Le
deuxième grand procès se tient en janvier 1937. Il s'en prend à un « Centre
trotskiste parallèle » qui aurait comploté avec les nazis et les
Japonais contre la patrie. Les accusés (Piatakov, Radek, Sokolnikov,
Serebriakov...) se prêtent aimablement à la farce en s'accusant des pires
malversations avant de recevoir une balle dans la nuque.
Dans les
mois qui suivent, Ejov soumet à Staline des listes de prévenus en lui demandant
son avis. On estime qu'au total, Staline approuvera de la sorte 44.000
condamnations à mort, pudiquement qualifiées de « condamnations au
premier degré ». C'est l'« ejovtchina » (ou « yéjovchtchina »).
À la
différence de la répression ordinaire, qui touche des centaines de milliers de
Soviétiques ordinaires, l'« ejovtchina » frappe l'opinion
internationale car elle concerne des membres dirigeants du pays, du Parti et de
l'armée.
– Les
purges dans l'Armée rouge (11 mai 1937 - mars 1938)
L'armée
est décapitée par une troisième série de procès, entre l'été 1937 et le
printemps 1938. Ceux-là se tiennent à huis clos, devant quelques officiers
généraux, car Staline appréhende malgré tout les protestations des militaires
et des anciens combattants de la Révolution et de la guerre civile.
Le
premier concerné est Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski, un aristocrate
rallié à la Révolution, sans doute le plus brillant militaire de l'Armée rouge.
Nommé maréchal en 1935, à 42 ans, il est démis de ses fonctions deux ans plus
tard, le 11 mai 1937, et fusillé le 12 juin suivant. On suppose qu'il a été
compromis par de faux documents fabriqués par les Allemands, soucieux
d'éliminer un adversaire potentiel.
Au total,
trois maréchaux sur cinq, treize généraux d'armée sur 15, 30 généraux de corps
d'armée sur 58, 110 généraux de division sur 195, 211 colonels sur 406, et au
total 35.000 officiers, soit une bonne moitié des cadres de l'armée, sont
proprement exécutés.
– Le
« procès de la droite » (2-13 mars 1938)
Les
grands procès de Moscou s'achèvent en mars 1938 avec la mise en accusion de 21
prévenus dont Boukharine, l'un des plus illustres chefs bolcheviques, et...
Yagoda. Ce dernier est jugé et exécuté selon le scénario qu'il a lui-même mis
au point à la tête du NKVD ! Son successeur Ejov n'allait d'ailleurs pas
tarder à le suivre dans la mort.
Au terme
de ces trois années, plus de la moitié des élus du Parti ont été éliminés... et
remplacés par de jeunes militants qui n'ont pas connu la Révolution et sont
dévoués à Staline.
Celui-ci
apparaît comme le seul héritier de Lénine après l'élimination de presque tous
les bolcheviques éminents (le survivant Trotski, en exil au Mexique, sera
assassiné sur ordre de Staline en 1940).
Staline a
pu profiter des procès pour faire porter sur les accusés le poids de ses
dramatiques échecs dans la collectivisation des terres et des usines.
Résignation
L'historien
Léon Poliakov s'est interrogé sur l'apathie des responsables soviétiques face à
la répression qui s'est abattue sur eux :
« Un seul général, Ian Gamarnik, le chef de la direction politique de l’armée, choisit de se donner librement la mort. Ainsi donc, une résistance authentique, rébellion, conspiration, ou simple opposition, était pour ces hommes de l’ordre de l’impensable. En regard, que l’on songe aux généraux de Hitler, à ces officiers prussiens auxquels on a beaucoup reproché leur inaction et qui pourtant multiplièrent les tentatives subversives de tout ordre, culminant avec le complot de juillet 1944. On peut croire que ce contraste tenait aux traditions respectives. En effet, les foudres de guerre allemands avaient été nourris de valeurs chrétiennes, tandis que les généraux de Staline avaient adopté, "introjecté", les valeurs marxistes-léninistes ; en résultat, leur discipline révolutionnaire-militaire leur dictait une aveugle obéissance aux ordres du dirigeant suprême. Le déni ou l’oubli d’une morale autonome serait alors la clé de l’action hypnotique exercée par le Vojd sur l’ensemble du Parti, sinon du pays, et à laquelle la caste des officiers supérieurs succomba dans sa totalité »
(Les totalitarismes du XXe siècle, Fayard, 1987).
« Un seul général, Ian Gamarnik, le chef de la direction politique de l’armée, choisit de se donner librement la mort. Ainsi donc, une résistance authentique, rébellion, conspiration, ou simple opposition, était pour ces hommes de l’ordre de l’impensable. En regard, que l’on songe aux généraux de Hitler, à ces officiers prussiens auxquels on a beaucoup reproché leur inaction et qui pourtant multiplièrent les tentatives subversives de tout ordre, culminant avec le complot de juillet 1944. On peut croire que ce contraste tenait aux traditions respectives. En effet, les foudres de guerre allemands avaient été nourris de valeurs chrétiennes, tandis que les généraux de Staline avaient adopté, "introjecté", les valeurs marxistes-léninistes ; en résultat, leur discipline révolutionnaire-militaire leur dictait une aveugle obéissance aux ordres du dirigeant suprême. Le déni ou l’oubli d’une morale autonome serait alors la clé de l’action hypnotique exercée par le Vojd sur l’ensemble du Parti, sinon du pays, et à laquelle la caste des officiers supérieurs succomba dans sa totalité »
(Les totalitarismes du XXe siècle, Fayard, 1987).
Bibliographie
Le
témoignage poignant d'Arthur London, dans son livre L'Aveu (1968), a
permis de mieux comprendre comment tant d'hommes ont pu s'effondrer et
s'accuser en public de crimes imaginaires. L'action se déroule lors de procès
similaires qui se sont tenus à Prague en 1951. Le réalisateur Costa-Gavras en a
tiré un film à succès en 1969 avec Yves Montand dans le rôle principal.
Un autre
témoignage, très instructif, est le témoignage de l'écrivain hongrois Arthur
Koestler : Le Zéro et l'infini (publié en 1940 sous le titre :
Darkness at noon).
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